Fête du Trône 2006

Rencontre autour du théme : “quel journal pour quel lecteur“?

Quel journal pour quel lecteur ? est le thème d'une rencontre organisée, vendredi à Casablanca, par la Société arabo-africaine de distribution, d'édition et de presse (Sapress) pour fêter le 25e anniversaire de sa création. Pour M. Mohamed Berrada, P-DG d

13 Janvier 2003 À 17:36

Les organisateurs ont choisi de placer la problématique dans le contexte maghrébin, arabe et francophone en faisant appel à un panel composé d'éminents experts aussi bien marocains qu'étrangers.
C'est ainsi que M. Moncef Gouja, P-DG du groupe tunisien La Presse, a exposé le parcours de son journal depuis sa création en 1936, qui, aujourd'hui tire en moyenne 60.000 exemplaires/jour avec un taux d'invendus de 10%, contre un taux moyen d'invendus de 27% pour l'ensemble des journaux de ce pays.
Selon M. Gouja, c'est grâce à sa ligne éditoriale, faite de rigueur et de professionnalisme que La presse résiste et avance.
Tout en étant le journal qui reflète la politique du gouvernement, il favorise l'information de proximité et permet aux 70 journalistes qui le font de bénéficier de nombreux avantages matériels et sociaux.
De son côté, M. Ali Djerri, P-DG du groupe algérien Al Khabar, a rappelé la lutte menée par la presse algérienne indépendante pour asseoir les bases de la démocratie en Algérie et le prix cher qu'elle a payé pour atteindre cet objectif, d'où l'engouement d'un public de plus en plus sceptique vis-à-vis de la presse partisane et de plus en plus méfiant des médias publics.
Cet état de choses a favorisé l'émergence d'une concurrence loyale entre les titres sur des bases uniquement professionnelles en dehors de tout schisme linguistique entre arabophone et francophone.
M. Djerri, dont le journal tire à 450.000 exemplaires, a mis l'accent sur l'importance de la participation du journaliste dans l'organisation de l'entreprise de presse pour raffermir davantage son indépendance et ce, à travers notamment sa présence au sein des comités de rédaction. Le prémunir de l'influence du pouvoir politique et du pouvoir l'argent revêtent autant d'importance sans oublier d'autres impératifs tel l'accès à la source de l'information.
M. Ali Djerri a, par ailleurs, plaidé pour un nouveau positionnement de la presse écrite en adoptant des stratégies à même de répondre aux défis des nouvelles technologies dans le strict respect de l'éthique et de la déontologie professionnelle.
Avis partagé par M.O. Abrous, directeur général du journal algérien Liberté, qui a fait part à l'assistance de l'expérience de cette publication qui tire à 146.000 exemplaires.
Le Pr Mohamed Alami Machichi, universitaire, a, quant à lui, abordé la problématique en privilégiant l'aspect lecteur-client arguant du fait que la société marocaine, à l'instar d'autres sociétés, subit une véritable tornade de commercialisation de tout ce qui y existe.
La presse n'a guère échappé à cette logique. En est pour preuve le code du commerce de 1996 qui déclare commerciale toute activité d'imprimerie, d'édition quels qu'en soient le support et la forme. Peut-on désormais considérer encore la presse écrite comme une activité intellectuelle pure où comme une activité commerciale semblable sinon identique aux autres ? s'est-il interrogé.
Pour M. Alami Machichi, opter pour la commercialité pure et simple risque de déformer tout discours sur les affaires publiques et réduire le public de la presse écrite à un ensemble de clients, un fonds de commerce comme les autres, de considérer les unités de presse comme des entreprises commerciales et les journalistes comme des salariés juridiquement et économiquement subordonnés en dehors de toute considération de la mission intellectuelle et sociale concernée. Inversement, persister à croire en une nature d'intérêt public sans nuances, on fait une abstraction non moins dangereuse de la réalité.

Condition humaine

C'est pourquoi, l'essence de la presse écrite doit rester, selon lui, une créativité de communication d'un contenu d'intérêt public tendant à l'amélioration de la condition humaine dans sa vie quotidienne, politique, sociale, économique et culturelle, et, si la progression de la commercialisation semble incontournable, la déontologie reste le seul espoir pour lui imposer une limite.
Pour l'intervenant, toute presse doit être indépendante dans les idées et les informations qu'elle publie ou qu'elle défend.
Quel que soit le lecteur ou le client, il doit avoir accès à cette presse.
En conséquence, le calcul du prix à lui imposer ne doit pas retenir exclusivement l'impératif commercial.
En ce qui concerne le Maroc, le principal défi pour la presse écrite se situe, a-t-il ajouté, dans sa force de résistance aux nouvelles valeurs matérialistes et sa capacité de les transformer en moyen de développement des idéaux et des missions d'intérêt public inséparables de la conception de la presse écrite, estimant, toutefois, que la phase de gestation que vit la société marocaine empêche de pronostiquer le sens de l'avenir avec lucidité. L'intervention du secrétaire général de l'Union internationale de la presse francophone, M. Georges Gros était axée sur les défis à relever par les hommes et les femmes de presse jamais autant interpellés qu'ils ne le sont aujourd'hui où l'information est à la fois un ressort et un enjeu du conflit en cours.
Celui-ci se profile, a-t-il relevé, dans une lutte terroriste qui consiste avant tout à manipuler des opinions publiques par la peur, et une vision du monde moderne, ouverte, tolérante et libérale promue par les médias audiovisuels modernes.
Les journalistes doivent se garder de fournir des interprétations trop rapides et simplistes, car les vérités sont complexes et la circulation des images et des médias oblige à tenir compte de cette complexité, a-t-il estimé.
Au cours du débat Mme Nadia Salah, rédactrice en chef du quotidien L'Economiste, a brossé un tableau peu reluisant de la situation de la presse au Maroc. Elle a, ainsi, rappelé qu'au 230.000 enseignants que compte le Royaume s'ajoutent 4 millions de personnes qui travaillent dans des secteurs plus au moins modernes ayant besoin tous les jours de savoir et d'être informés pourtant pas un seul journal marocain ne tire à plus de 100.000 exemplaires.
Pour elle, la thèse du prix, prise toute seule, est fausse sur le moyen et le long termes.
Cette situation est d'autant plus paradoxale que le nombre de paquets de cigarettes qui s'achètent chaque jour est de 1,9 million de paquets, a-t-elle indiqué lançant, pour l'occasion, le slogan «Fumons moins et lisons plus». Pour le secrétaire général du SNPM, M. Younès Moujahid, il faut tenir compte d'autres paramètres pour promouvoir la presse écrite au Maroc tels la création d'un organe reflétant la réalité des ventes et revoir les critères de la répartition de la manne publicitaire et l'instauration de conventions collectives préservant les intérêts de chaque partie. La réception offerte à cette occasion a été marquée par la présentation aux invités, parmi lesquels plusieurs ministres et le wali du Grand Casablanca, d'un prototype du kiosque conçu par Sapress qui répond à des normes fonctionnelles esthétiques et modernes.
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