Spécial Roman noir : les maîtres du suspense se déchaînent
R>Le roman policier est un genre particulier qui a ses adeptes et ses fans. La page livre de cette semaine est dédiée aux maîtres du suspense et du crime. >Un entretien avec Koffel, le spécialiste du policier marocain, place ce genre dans son véritabl
LE MATIN
20 Février 2003
À 17:58
Né à Casablanca en 1932, agrégé de Lettres classiques, poète et professeur de français pour plusieurs générations de lycéens, Jean-Pierre Koffel est, depuis 1994, connu et reconnu comme l'un des meilleurs auteurs de polar au Maroc. « Nous l'appellerons Mehdi », son premier livre, a reçu le Prix Atlas en 1995. Il ne sera pas le dernier car bientôt suivi d'autres dont « Des pruneaux dans le tagine », « Pas de visa pour le paradis d'Allah », « La Cavale assassinée » etc.
Autant que je sache, depuis « Nous l'appellerons Mehdi », votre premier ouvrage sorti en 1994, votre choix semble avoir été fait pour le roman policier. Depuis, il y a eu, en effet, Des pruneaux dans le tagine, Pas de visa pour le paradis d'Allah et bien d'autres. Que cherchez-vous à travers ce genre que d'aucuns ne reconnaissent pas comme de la littérature ? Eh bien surtout, à ne pas faire de la littérature. A ne pas me prendre la tête en écrivant. A m'amuser. C'est peut-être le meilleur moyen de ne pas ennuyer le lecteur. Patricia Highsmith, mon idole, dit que la première personne de qui il faille se soucier de plaire quand on écrit, c'est soi-même. Certes, le roman policier, dit encore polar ou roman noir, a mauvaise réputation et le nombre d'ouvrages dans le genre est phénoménal et il y a indiscutablement, dans le tas, des catastrophes. Vite écrit, bâclé, vite lu, pas cher, fait en séries comme les casseroles, vite revendu ou oublié dans un train, le polar ne vaut pas lourd. Pourtant, le genre a ses maîtres, ses chefs-d'œuvre, sa clientèle, ses fans. Ne pas oublier Chase, Highsmith, Christie, Himes, Goodis, Irish, Simenon, pour ne nommer que les plus essentiels. Mais ce sont des écrivains tout court. De tels maîtres ne me font pas honte, surtout, que Balzac, Hugo, Racine, Sophocle, Flaubert, Dumas ..., qui les ont précédés sont tout aussi – sinon plus – noirs qu'eux. Mais, encore une fois, dans le genre noir, il y a un déchet terrible et surtout, un comble ! beaucoup d'ouvrages ennuyeux, besogneux, calamiteux. Beaucoup, que c'en est gênant d'être dans le même panier qu'eux. Permettez-moi de ne nommer personne.
En fait, les thèmes que vous traitez dans vos romans sont puisés dans l'actualité, le terrorisme international, les réalités sociales au Maroc, etc. N'êtes-vous pas en train de créer un genre nouveau qui serait une sorte de croisement entre le polar et la «littérature» disons classique ? Mon éducation politique fait que j'ai une vision marxiste-léniniste de l'œuvre d'art, de la création littéraire. J'ai dévoré « Les chemins de la liberté » (les trois tomes) de Sartre comme un polar. Un roman, pour moi, doit être engagé et c'est bien ce que je retrouve dans la grande littérature noire américaine. Les casses de banque, le milieu des petits malfrats, la traite des Blanches, les histoires de drogue, très peu pour moi. Ces sujets-là m'ennuient. Je préfère ceux qui luttent à leur façon contre les brutalités et l'insupportable supériorité coloniales, contre le racisme, le fascisme, l'exploitation des enfants, les assassins de ce sentiment merveilleux qui s'appelle l'amour. Il faut qu'un écrit, qu'un film, un poème, un opéra, un tableau servent à quelque chose, à faire bouger le monde. Pour moi, à ma petite échelle, dans un roman, il faut montrer que les gens bien, ça existe, des gens qui n'ont pas peur de prendre des risques pour faire reculer le nombre et le pouvoir des salauds ? C'est à ça que sert un roman de la série noire et je suis content d'avoir donné au Maroc une place dans le genre. Mais je ne suis ni le premier, ni le dernier, des écrivains de série noire au Maroc. Je connais de bons écrivains qui sont très proches du souffle et de l'atmosphère du polar, du thriller, comme Moha Souag, Hoceïn Faraj, Miloud Hafidi, Omar Chafik, Anas Guessous, Jacob Cohen, Abdelghafour Laraqui, Myriam Jebbor s'y met et d'autres, y compris des policiers. Donner au polar ses lettres de noblesse, c'est mon ambition.
Quelles sont les sources de votre inspiration : des faits réels, l'imagination ? Les deux, bien évidemment ! j'observe avec un soin maniaque la réalité. J'aime les manières de parler. J'écoute beaucoup les gens, notamment ceux qui s'expriment à la radio. J'ai fait à pied, par souci de vérité, tous les itinéraires de mon roman « Nous l'appellerons Mehdi ». Je fais partie de ceux qui choisissent les noms et prénoms de leurs personnages dans les Bottin, c'est-à-dire dans la vie, même quand ça n'a pas l'air vrai. Quand j'entends quelqu'un qui s'appelle pour de bon Basket, ou Socrate, ou Ghazoual prononcé Gazoual, je jubile et crève d'impatience d'en faire un personnage. Mais en vérité, comme les naturalistes, j'ai tout inventé, donc tout est vrai.
Votre style d'écriture, phrases courtes, tournures empruntées à la langue parlée, usage de l'humour et de l'ironie, ce qui rappelle le style d'un certain Exbrayat. Y a-t-il une parenté entre vous deux ? Sans doute, mais pas seulement avec lui. L'humour (noir), le recours aux langues parlées, le rythme rapide quand la narration s'accélère et qu'on est dans le suspens, sont des lois du genre. Et Exbrayat a très bien démarré avec Vous souvenez-vous de Paco ? qui est un très bon polar tripal. Après, il est devenu plus gentil. En fait, dans la série noire on est des grands méchants au cœur large comme ça. Les écrivains noirs français que j'aime bien, c'est Exbrayat, Boileau-Narcejac et...Tito Topin, né à Casablanca en 1932 et qui est l'auteur de cinq polars marocains pur sucre. Vous savez quoi ? Allez voir Ahmed Bouanani : il a des polars de sa main qu'il cache dans ses tiroirs, le coquin !