Mondial de l'Automobile 2006

Témoignage : Izetbegovic, mon ami

Izetbegovic était mon ami. Je l’ai connu au tout début de la guerre de Bosnie, en mai 1992, à l’époque où il n’y avait pas encore de pont aérien et où il fallait traverser les lignes serbes pour entrer dans Sarajevo assiégée. La première

20 Octobre 2003 À 20:23

Car c’était ça la grandeur d’Izetbegovic : cette façon, comme disait Malraux, de faire la guerre sans l’aimer ; cette façon, quand on a l’âme d’un Léon Blum, de devenir le de Gaulle bosniaque ; cette façon de devenir un grand résistant, un héros, l’incarnation de l’héroïsme de son pays, alors que l’on est fait pour la méditation et le bonheur. «C’est toute la différence entre de Gaulle et moi, m’a-t-il dit», une nuit, dans son palais bombardé, à la lueur de la dernière bougie qu’avait allumée son aide de camp. Lui était fait pour le rôle.
Toute sa vie l’y avait préparé. Moi j’étais un intellectuel , un homme de parole et de piété. Et il m’est tombé dessus, ce rôle, alors que rien ne m’y préparait. Alors, bon, j’ai fait face. J’ai fait de mon mieux.
«Vous avez fait mieux que votre mieux, Alija ! Vous avez été le symbole, le drapeau, l’incarnation du courage et de la grandeur bosniaques ! Vous avez été l’âme de la Bosnie à l’époque où tous, Européens et Français compris, l’avaient condamnée et avaient pris leur parti de sa mort».
Car c’est un autre point sur lequel je veux insister.
L’Alija Izetbegovic que j’ai connu et aimé était un musulman certes. Mais il n’était pas que cela.
Il était aussi un Bosniaque, c’est-à-dire un apôtre du mélange des cultures, de la cœxistence et du croisement des identités, du dialogue - loin, comme je le lis sous la plume de commentateurs pressés, d’avoir milité pour une Bosnie islamique, voire islamiste; il a été l’un des derniers à croire en cette grande Bosnie citoyenne, cosmopolite et démocratique dont l’Islam eut été la composante essentielle mais pas la seule. Autant dire que vient de mourir avec lui l’un des porte-drapeaux de cet Islam modéré pour lequel nous sommes si nombreux, en France et au Maroc, à nous battre. Autant dire que cette mort s’ajoute à celle, il y a deux ans, d’un autre de mes amis, le commandant Massoud, pour affaiblir, hélas, le camp de ceux qui résistent à l’intégrisme et à la barbarie.
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