Témoignage : quel dialogue entre l’Islam et l’Occident ?
«Je choisis pêle-mêle au gré de mes lectures quelques extraits disparates que je juge représentatifs du déballage d’idées qui ponctue le monde.
>A tout seigneur, tout honneur, commençons par une voix écoutée des Etats-Unis, celle de Robert Kagan.
«Le temps est arrivé de mettre fin à l’idée qu’Européens et Américains partagent la même vision du monde, ou même qu’il fassent parti du même monde. Sur toutes les questions importantes relatives au pouvoir - son efficacité, sa moralité, son volontarisme - les perspectives des Américains et des Européens sont divergentes».
Plus loin, l’auteur récuse le concept d’un Occident monolithique, tel qu’il a prévalu pendant la guerre froide.
«Quand l’administration de George Bush est venue aux commandes en janvier 2001, apportant avec elle le nationalisme réaliste des républicains dans les années 90, l’Occident, comme vecteur de la politique étrangères américaine, est devenu dormant. Quand les terroristes ont frappé les Etats-Unis huit mois après, l’équation de la guerre froide fut inversée. Maintenant que la menace a touché directement le sol américain, enjambant ses alliés, la priorité des priorités est l’épreuve américaine seule, sa vulnérabilité et non l’Occident.
Le déclin de l’Occident comme principe régissant la politique extérieure n’est pas seulement un phénomène américain, pour autant. Pour l’Europe de l’après-guerre froide, la grande question n’est plus l’Occident, mais plutôt l’Europe».
L’auteur explicite une opinion originale sur les configurations de l’Amérique après le 11 septembre. L’hégémonisme de l’Amérique s’inscrit dans un cours normal de l’histoire des Etats-Unis. Il correspond à sa vocation, celle imprimée par les pères fondateurs;
«L’Amérique n’a pas changé avec le 11 septembre. Elle est devenue elle-même. Pas de mystère quant au cours que l’Amérique a empruntée, ou avait empruntée, pas seulement au cours des années passées, ou à la décennie écoulée, mais tout au long des six décennies écoulées».
Arrêtons-nous maintenant sur cette vieille Europe décriée et particulièrement en France. C’est un autre son de cloche. Régis Debray dans un livre qui a eu plus d’échos aux Etats-Unis qu’en France, «L’édit de Carcalla» dit ceci :
«L’Europe unie pourrait être autre chose qu’une douce anesthésie collective, si des hommes et des femmes de cœur lui redonnent demain le goût perdu du risque et de l’effort ? Un républicain démocrate tient l’espèce humaine pour un seul peuple. Il ne saurait se résigner au mur d’indifférence dressé entre un Occident oublieux de ses dettes et l’Afrique, l’Amérique latine et le monde arabe rabaissés en réservoir de vauriens, de sous-hommes taillables, corvéables, bombardables et justiciables à merci. L’Islam n’est pas notre ennemi mais un cousin en difficulté, auquel nous devons donner le temps et les moyens de rejoindre notre époque». P, XXVII.
L’Islam n’est pas notre ennemi mais un cousin en difficulté
Je change de registre, c’est une voix islamiste de chez nous qui parle, celle d’une femme de surcroît, en français s’il vous plaît. Dans le chapitre «un ennemi à abattre» de son livre «Toutes voiles dehors», la confusion laisse toutes les options possibles, l’Islam victime d’une diabolidation de l’Occident qui fait de lui l’ennemi à abattre, tout comme l’Occident pourrait être l’ennemi avec qui il faut en découdre. Écoutons-la :
« L’Occident entretient en parallèle avec ses discours universalistes et humanitaires une attitude belliqueuse séculaire et une volonté de domination que seules les inconditionnels du modernisme ne perçoivent pas. La guerre moderne est nucléaire ou informelle. Le nucléaire est laissé pour les solutions extrêmes, la désinformation pour la guerre d’usure (…)».
Plus loin, elle dit sans ambages :
«L’Islam, plus que toute autre adversaire, est perçu comme ce rebelle de toujours; l’ennemi en puissance, objet de toutes les haines. Il fut pour l’Europe croisée de jadis un rival avéré; il reste pour l’Occident d’aujourd’hui un rival éventuel. Même à terre, même désarmé, le monde musulman suscite encore les angoisses quand il ne réveille pas les convoitises».
L’œuvre de destruction est communément menée par les Occidentaux que par de «mercenaires» nationaux, qui sous-traitent pour leurs maîtres.
«Portant des noms de l’Islam et un cœur d’ailleurs, les mercenaires cognent plus fort que les autres sur leur propre identité et s’évertuent à frapper au visage leur culture là où les experts leur suggèrent de le faire».. P. 164.
Je ne change pas de lieu mais je change de discours. C’est un Marocain qui parle, un berbériste, qui décline une nouvelle identité politique greffée sur une revendication culturelle. Il met en garde contre le panarabe prêt à pactiser avec l’islamiste. Il faut chercher autre chose, quelque chose émanant des contours d’une Afrique du Nord émancipée et unifiée. Le contraste veut que le berbériste s’exprime dans son livre «L’automne de la rage» en arabe, en arabe châtié, quand l’islamiste a choisi la langue de Molière.
«L’après 11 septembre m’ouvre des perspectives que je ne peux me cacher aujourd’hui. Je ne peux ne pas soumettre mon patrimoine autant que la civilisation à laquelle j’appartiens à la critique et à l’étude. Il y a quelque chose de pourri dans toute pensée religieuse quand elle vient à régenter la vie publique. Car la religion, toute religion, procède d’une vérité absolue, alors que l’espace public est relatif. Le dysfonctionnement est inévitable quand on soumet le relatif à l’absolu. Que de tragédies qui ont ponctué l’Histoire à cause de cette relation contre-nature (…).
Il n’y a d’issue cher ami, que de soumettre ce grand héritage à la critique pour voir les choses telles qu’elles étaient réellement et non telles qu’on a voulu qu’ils fussent. C’est la priorité dont je t’avais parlé. Cioran disait que l’archaïsme est l’idolâtrie des commencements. Je dirais, la modernité est de soumettre les commencements à la loupe de la critique».
L’archaïsme est l’idolâtrie des commencements
Dernier tour d’horizon, mais dernière lecture, de quelqu’un à mi-chemin, français d’origine marocaine, il est aussi laïc de confession juive. Il disserte sur l’islamisme, ou sur les connexions du terrorisme. Bernard Henri Levy y met du sien dans son livre «Qui a tué Daniel Pearl». Les mentors du terrorisme islamiste sont bel et bien des produits de l’Occident. Le personnage d’Omar qui serait dans son romanquête, le commanditaire de l’assassinat de Daniel Pearl est fascinant.
Il ne laisse pas indifférent. Voilà un pur produit de l’Occident qui a basculé. Ce n’est donc pas un simple fait divers, car Levy se pose et pose des questions qui engagent le monde :
«Qui aura raison de l’autre : les héritiers de ce très ancien commerce des hommes et des cultures qui va d’Avicenne à Mahfouz en passant par les sages de Courdoue- ou les furieux des camps de Peshawar qui appellent au jihad et, le ventre bardé d’explosifs, aspirent à mourir en martyrs ? C’est la grande affaire du siècle qui commence». p. 535.
En somme, le clivage sera entre les enfants de Rifaa (Attahtaoui) (le réformiste égyptien), pour reprendre l’expression de Guy Sorman, ou les Epigones de Ben Laden.
Je m’arrête là. Je vous fais grâce des représentations journalistiques ici et là.
Au-delà des lectures, il faut que je donne un sens, à un faisceau de facteurs, de représentations, d’interprétations. Musulman, arabo-berbère, ou berbéro-arabe, marquée dans ma façon de voir que d’agir par l’Occident, mon identité n’est pas après tout que ce que je décide qu’elle soit. Mon islamité elle aussi, puisque je le suis et le revendique, ne sera en dernier ressort que ce que je décide qu’elle soit.
Une société est autant marquée par une religion, qu’elle façonne à sa manière. Dans cette partie du monde, la plus proche, géographiquement que culturellement de l’Europe, l’Afrique du Nord, les autochtones n’ont donné à l’Islam que ce qu’ils ont emprunté à leurs pratiques ancestrales. Autant de pratiques qui sont passées du christianisme quand l’Afrique du Nord était chrétienne, à l’Islam, que celles qui transcendent jusqu’à l’heure, autant le dogme musulman que juif.
Demain on peut parler sans ambages d’un islam français
Un ministre des Affaires du culte avait dit récemment qu’il faut respecter la carte des rites dans le monde musulman. Il n’avait pas tort. Il aurait dû ajouter, parce que ceux-ci sont l’expression d’une culture, le produit d’un cheminement, la maturation d’un processus. Le hanafisme en vogue en Irak correspond à une culture libérale, fruit d’interactions avec moult cultures, religions et sectes. Le malékisme en Afrique du Nord correspond à une culture rigoriste, puisée dans le fond berbère. On peut parler de plusieurs islams. Demain on peut parler sans ambages d’un islam français.
C’est une première constatation
L’Occident est une notion vague. Si je m’en tiens à une définition qui repose sur les valeurs de rationalité, de modernité, de relativité, de respect des droit de l’Homme, je suis moi-même occidental. Pas besoin d’être né à Amsterdam ou à Berlin pour adhérer à ces valeurs. Par ricochet je sais qu’à Paris, à Washington, à Tel Aviv, existe une pensée ou plutôt des courants d’idées qui idéalisent une race, diabolisent l’autre, croient fermement à une vérité absolue dont ils seraient les détenteurs et les dépositaires.
Au nom de ces représentations, un fervent hassidim a tiré à Hébron, sur des croyants musulmans ; faisant une cinquantaine de morts. Il était pourtant natif de New York, et médecin de métier. On ne peut parler d’un détraqué ou d’un désœuvré. Ici, un marocain a été jeté dans la Seine, pour délit de faciès. Il en est mort. Je sais aussi, qu’à Londres, comme à Bruxelles ou Milan des fanatiques musulmans, font un usage de l’Islam, fait de haine et d’exclusion. Récapitulons, l’Occident est en nous, autant que l’extrémisme religieux, musulman ou autre est chez vous. Mieux ou pire, il trouve des complicités dans des officines bien pensantes et influentes de chez vous.
Quand j’ai reproché à un journaliste du très respectueux Monde, avant que sa face cachée ne soit dévoilée, d’avoir reproduit des extraits d’un pamphlet d’un islamiste radical, il m’a rétorqué que c’était un phénomène porteur. Les mots ne sont jamais innocents, mais lui n’avait cure de leur conséquence, puisque cela se passe chez les «bougnoules» que nous sommes. Il se trompe allègrement. S’il y a une mondialisation bien réussie c’est celle de la terreur hélas.
Je ne peux donc aborder un terrain aussi escarpé, aussi sinueux, que le monde musulman et l’Occident sans m’armer des nuances. Je ne peux m’y aventurer sans l’exercice de la pensée, qui est le sens des nuances par excellence. Les idéologies toutes faites, les représentations prêts-à-porter ne peuvent que nous fourvoyer. On ne peut faire l’économie de connaissances profondes pour des analyse pertinentes. On ne peut se satisfaire d’impressions de journalistes, ou l’oracle d’experts vedettes. Vos universités autant que les nôtre, sans oublier les officines de recherche ont du pain sur la planche. Elles doivent servir à quelque chose en ces temps troubles.
Il faut que je décline ma définition de l’Islam. L’Islam est certes une religion, c’est-à-dire une foi, une foi en un absolu, tel qu’on pourrait puiser dans le texte du Coran, ou tel qu’on se le présente par la raison. Cette problématique n’est pas nouvelle, elle avait départagé les clercs musulmans entre les tenants du texte, ou pour être fidèle au terme utilisé, le copiage (naql), et les tenants de la raison (al aql), qui arguent que texte et raison convergent en dernier ressort.
La foi est un sentiment individuel même si la pratique peut être collective. Elle ne se commande pas. Le Coran le dit clairement «Point de contrainte en religion» . J’ai lu tout récemment que les pontes de la Salafia Jihadia, cet autre avatar de l’islamisme, passent sous silence ce verset. La foi n’a de sens que si elle donne sens à la vie. Elle ne peut être négation de la vie. Elle ne l’est pas en Islam, autant que dans les trois religions monothéistes. Cette religion mène à la voix juste, dit un Verset.
Il ne saurait être autrement.
L’Islam est aussi une culture. Nous l’avons dit, il subit l’influence de son milieu, mais il façonne son environnement. Des gens qui n’ont pas la foi, subissent l’influence culturelle d’un environnement musulman. Rawandi, athée notoire, car les athées ont existé dans la civilisation musulmane, autant qu’un agnostique comme Abou Al Ala Al Maâri, font partie de la culture musulmane.
D’autres personnes de confessions différentes font partie de la culture musulmane, s’ils y vivent. Hunain Ibn Ishaq, le grand traducteur chrétien de Bayt Al Hikma, autant que Maïmonide, de confession juive, ont leur place dans cette culture ou cette civilisation, qu’ils ont de surcroît nourri.
C’est aussi une civilisation. Ce liant se projette dans le temps et dans l’espace. Un sentiment d’appartenance à une civilisation commune, celle qui a donné un Razi, un Avicenne, un Averroès, un Omar Khyam, Alambra, ou Taj Mahal. Ce sentiment est réel, comme était ou est toujours le sentiment de chrétienté. Je préfère pour ma part, ce sentiment de civilisation musulmane à celui de Umma. Le sentiment d’appartenance à une civilisation est culturel, celui de la Umma est idéologique.
Il y a tout un héritage de véritables humanistes musulmans
Ces trois strates s’interagissent mais peuvent exister séparément. Il demeure difficile de dissocier une culture de sa religion, ou une religion de sa culture. La laïcité, est l’aboutissement d’un processus historique et n’est donc pas transposable à d’autres sociétés. La laïcité est une forme de sécularisation, la plus orthodoxe. La sécularisation est un phénomène universel. La laïcité est un produit fini. La sécularisation est un processus. La laïcité une marque brevetée. La sécularisation est une formule. Dans nos universités des sciences on explique le monde par la science et non par la religion. Nos systèmes juridiques sont d’inspiration napoléonienne, c’est-à-dire qu’ils sont positifs.
Cela est valable pour la quasi-totalité des pays arabes. Il est utile, voire nécessaire de dégager une éthique de sa propre culture, la religion étant un des facteurs les plus marquants d’une culture. Il est plus simple de se conformer à un ordre moral puisé de sa propre culture que d’un ordre d’emprunt. Au risque de me tromper j’avance que l’éthique musulmane est le grand absent dans les productions de nos clercs, dans nos systèmes éducatifs. Il y a tout un héritage de véritables humanistes musulmans, tels Ibn Maskawaih, Abu Hayan Tawhidi, Ibn Hazm, Ibn Arabi. Leur humanisme et leur éthique sont le produit d’interactions avec d’autres cultures et d’autres religions.
«Ce que tu hérites de ton père acquiers-le pour le posséder», comme disait Gœthe. Cette appropriation ne peut se faire sans repenser l’Islam. De vaillants penseurs l’ont fait et le font. Je pense à Taha Mahmoud le Soudanais, un véritable Luther de l’Islam. Il avait pour péché d’être venu trop tôt, et d’être Soudanais. Il paya de sa vie une interprétation originale et courageuse de l’Islam, en faisant le distinguo entre les versets historiques qui répondent aux contingences de l’époque du Prophète et les versets qui transcendent temps et espace. Je pense à Nasr Abu Zaïd, en m’arrêtant sur un détail, un simple détail, son dernier livre «Ainsi parla Ibn Arabi», cette voix de l’humanisme musulman. Le regard critique qu’il a projeté sur le texte, ne l’excommunie pas de la civilisation musulmane, même si d’autres l’ont excommunié.
On est l’ennemi de ce qu’on ne connaît pas
L’Islam peut être une idéologie. C’est cette représentation qui pose problème, car au nom d’une idéologie islamiste, d’aucuns légitiment la violence. Cela a été le cas chez des mouvements de contestation à l’orée de l’Islam, kharéjites, chi’ites, ismaélites, quaramates, tout comme cela est le cas avec les mouvements islamistes, qu’on appelle Islam politique. Il ont de tout temps ponctué l’histoire de l’Islam. La raison et l’engagement sont l’antidote aux dérives extrémistes.
Dialogue, je vous entend murmurer. Lequel? Il y a d’abord une nécessité de connaissance comme je viens de le signaler plus haut. On est l’ennemi de ce qu’on ne connaît pas, dit un proverbe arabe.
La connaissance est la voie vers la paix. «Les connaissances» en vogue sont obérées par des prismes, par un effet de vedettariat, par la paresse. Chez moi, des experts confirmés de l’islamisme ne pipent mot en arabe. De grands sociologues sont plus friands des rencontres huppées, à l’initiative de telle association, qui fait dans le public relation, ou le politically correct. Tout au mieux nos vaillants experts sont des orientaux orientalistes. Le terrain, connais-pas.
Dialogue bien ordonné commence par soi-même. Car le clash des civilisations n’est plus un spectre mais une réalité. Ce n’est pas comme l’avait prédit Huntington un clash entre Occident et Islam, mais un clash au sein de l’Islam. A Bali, à Karachi, à Imbaba, à Riad, à Jerba, à Média, à Casablanca… Ce ne sont pas les frontières de l’Islam qui sont sanglantes, comme disait Brezenzski, mais ses entrailles.
Dans l’absence de ce dialogue, il y a un œcuménisme sauvage et dangereux qui s’est fait sous nos barbes. Un œcuménisme qui puise autant du sunnisme que du chiisme les idées qui confortent la grande subversion. Arrêtons-nous sur quelques idées et pratiques hétérodoxes et qu’on retrouve dans l’Islam des mouvements, radicaux pourtant sunnites. Le culte de la mort, ou le suicide militant, idée puisée dans le chiisme ismaélite, actualisé par le grand inspirateur de la Révolution iranienne Ali Chariati, est passé chez des sunnites. Elle a fait ravage à Casablanca un 16 mai.
Telle autre idée de mariage du plaisir, une forme de concubinage pratique on ne peut plus chiite, mais qui s’apparente désormais au viol légitimé, qu’on retrouve chez les militants du GIA. Telle autre pratique takia, la retenue ou clandestinité, devient le modus operandi de tous les mouvements islamistes. Les prémices du terrorisme existaient déjà chez les Kharéjites qui ont voué aux gémonies la communauté des musulmans, dont les membres sont passibles tous de mort y compris leurs enfants ou les membres de la famille. Un tract à Casablanca circulait dans les mosquées menaçant les serviteurs de l’Etat ainsi que leurs enfants et leurs femmes de mort. Les femmes peuvent devenir le cas échéant des tributs de guerre, fay’, une autre idée qui légitime le banditisme et la rapine.
Il est donc indispensable d’envisager un concile musulman. Une instance qui fixe les prix, régule les flux, un dialogue entre musulmans d’abord. Entre chîites et sunnites, musulmans conservateurs et progressistes, entre laïcs et pratiquants, entre clercs et intellectuels. Un véritable dialogue qui dégagera le sens, et apaisera la tension, réelle, d’un monde aux prises de la frustration, de la pauvreté, de l’occupation, de la trahison des clercs, d’élites occidentalisées arrogantes et suffisantes.
Quant à l’Occident, il est tout aussi souhaitable d’encourager les bonnes initiatives de savoir, de dialogue. C’est indispensable, mais plus important la grande contribution de l’Occident ou pour être plus précis l’Europe, au dialogue des civilisations est l’aide au développement. L’autre facette de l’islamisme que j’ai oublié de souligner est la misère, qu’il sait instrumentaliser. C’est la misère qui fait le lit à toutes les dérives. Un Islam humaniste et serein ne peut fleurir dans des terreaux de misère. Un propos qu’on prête au quatrième calife bien guidé, Ali, disait que la pauvreté est presque l’expression d’impiété.
Je termine par le même exercice par lequel j’ai commencé : une citation. Elle émane d’un haut responsable français, qui parle au nom de la France, le ministre français des Affaires étrangères M. Dominique de Villepin. Il ne faut pas tomber dans le piège de la puissance, tout au contraire il faut privilégier la voix (la voie) du dialogue. Je cite :
«Ceux qui vivent côte à côte doivent apprendre à vivre ensemble, faute de quoi ils finissent inexorablement par s’opposer et plonger dans le monde de la guerre. Il nous revient de lutter contre ce vertige et de nouer patiemment tous les fils d’un dialogue animé par le respect et la curiosité de l’autre (…) Au cœur de ce débat, la France et l’Europe ont une vocation particulière. Par leur géographie, tournée vers toutes les régions et tous les peuples. Par leur culture, riche de gloires et d’apprentissages parfois tragiques, des guerres de religion aux conflits du XXe siècle. Mais aussi par leur formidable volonté issue des Lumières, de partager avec les autres leurs grands idéaux».
Je souscris totalement, venant d’où je suis, à cette façon de voir.
Texte de la communication que M. Hassan Aourid, membre du Centre d’études et de recherches Tarik Ibn Zyad a prononcée le 10 juillet dernier à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris.
(*) (membre du Centre Tarik Ibn Zyad)