Thriller : «In the cut» de Jane Campion : la mythologie contemporaine de l'amour
Un thriller sulfureux dans Lower Manhatan pour le retour de Jane Campion : dans In the cut, la réalisatrice néo-zélandaise de La leçon de piano dresse le portrait d'une femme introvertie soudain désarçonnée par un mélange de désir et de peur. Avec, dans l
LE MATIN
30 Décembre 2003
À 19:19
Méconnaissable Meg Ryan. La route de cette jolie blonde américaine, égérie des romances prudes (Quand Harry rencontre Sally, Nuits Blanches a Seattle, Vous avez un message ou French Kiss), a croisé celle de la réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion. L'équivalent d'une " bombe dans la vie créative " de la comédienne. Après Holly Hunter pour La Leçon de piano et Nicole Kidman pour Portrait de femme, Jane Campion s'est emparée de Meg Ryan pour la glisser dans la peau d'un personnage aux antipodes de tout ce qu'elle avait l'habitude de jouer.
Frannie (Meg Ryan donc) vit seule dans Lower Manhattan, un quartier foisonnant de New York, populaire et cosmopolite. Professeur de lettres, elle n'a d'obsession que pour les mots : son appartement est parsemé de courts poèmes ou aphorismes glanés dans le métro et d'expressions et définitions à intégrer à son étude sur l'argot new-yorkais. Elle paraît un peu coupée du monde, sans homme et sans amies. Elle passe son temps à éviter un ancien amant instable et collant (Kevin Bacon) et semble ne fréquenter que sa jeune sœur (Jennifer Jason Leigh) qui habite dans un quartier louche. Frannie a l'air d'une femme qui a enterré le prince charmant après qu'il l'ait déçue voilà quelques années. Intelligente mais désillusionnée et sur la défensive, elle est surtout terriblement solitaire.
Un après-midi d'été, elle surprend une scène très privée dans les toilettes d'un bar. Avant de s'enfuir perturbée, elle prend le temps de noter des détails insolites comme la couleur des ongles de la femme, le tatouage de l'homme… Cette scène provoque comme un électrochoc qui rompt son isolement intérieur et réveille en elle des sentiments endormis. Elle en est à s'avouer ses nouveaux troubles quand elle apprend qu'une femme a été assassinée sous sa fenêtre et que suspect et victime présentent d'étranges similitudes avec le couple surpris dans le bar. C'est le détective Malloy qui vient l'interroger. Séduisant, très sûr de lui et de son pouvoir sur les femmes, il lui fait immédiatement une impression forte.
Entre la proximité du serial killer et l'attraction surprenante qu'elle ressent pour le détective, Frannie assiste à la montée parallèle de sa peur et de son désir, l'un accentuant l'autre dans un duo trouble qui la fascine. Au point qu'elle ne sait plus où situer le danger ni à qui faire confiance.
Un climat sulfureux
Une femme introvertie soudain désarçonnée par des pulsions inattendues : tel est le nouveau portrait que dresse Jane Campion, toujours curieuse des arcanes de la féminité. Elle l'a voulu sulfureux, vénéneux, pour mieux illustrer le trajet du désir qui serpente entre la volonté et les remontées inconscientes dans un contexte de folie meurtrière et sanguinaire. "Le film explore la mythologie contemporaine de l'amour et du sexe et la tentative de s'unir à une autre personne (…) au beau milieu du chaos grouillant d'une ville moderne, explique la réalisatrice. Frannie rencontre les problèmes que beaucoup de gens affrontent dans la vie citadine d'aujourd'hui. Elle s'interroge sur la sexualité, la honte, le désir et la peur des choses qui semblent n'avoir aucune logique, aucun ordre." Plus qu'un thriller psychologique ou érotique, In the cut est un film noir et brûlant. Dans un style visuel inspiré de Taxi driver (Martin Scorsese) et French connection (William Friedkin) il installe un climat dérangeant, proche du cauchemar.
Le suspens ne vient pas des agissements du tueur mais de la confusion calme du personnage et du fait que, pour une fois, l'excitation n'est pas l'apanage du prédateur mais de la proie. Frannie ne panique pas, elle cède peu à peu, devient docile, prête à se livrer… Pour sa première expérience aux Etats-Unis, Jane Campion a choisi d'adapter un roman de Susanna Moore, A vif, qu'elle finit par trahir dans une fin très hollywoodienne. Comme si elle n'avait pas su (ou osé ?) aller au bout de ce que le roman lui avait inspiré. Elle aussi perd ses repères en prenant le parti d'une certaine naïveté et d'une relative innocence. Elle laisse le spectateur sans filet devant un objet étrange, lent et mouvant, dont la partie policière est négligée.
En revanche, la réalisatrice a réussi à dompter Meg Ryan et New York (si souvent filmée) et à capter en elles une lumière différente. Pour leur offrir, in fine, un nouveau visage.
In the cut, film américain de Jane Campion avec Meg Ryan, Jennifer Jason Leigh, Mark Ruffalo, Michael Nuccio.
La leçon de Jane Jane Campion est venue tard au cinéma. Née le 30 Avril 1954 à Wellington (Nouvelle-Zélande), elle s'était d'abord destinée à la peinture et au théâtre avant de prendre des cours à l'Australian Film Television and Radio School de Sidney, en Australie. Ses premiers films ont immédiatement été remarqués : son premier court-métrage, Peel, a reçu le Prix de la spécialité au Festival de Cannes en 1982. En 1989, Sweetie, son premier long-métrage, suscite une controverse à ce même festival et elle doit attendre le Festival de Venise en 1990 pour voir Un ange à ma table récompensé par le Prix du jury. Toujours attachée à décrire des personnages féminin en marge, Jane Campion connaît un succès mondial avec La Leçon de piano en 1994 (César du Meilleur film étranger) avec Holly Hunter dans le rôle principal. Nicole Kidman prend la suite en 1996 dans Portrait de femme, un drame historique sur les conventions victoriennes adapté de Henry James. Puis elle revient vers l'enfance et les variations sur la féminité en 1999 avec Holy Smoke, une road-movie philosophique. Avant de préparer In the cut, une adaptation du roman de Susanna Moore, A vif. In the cut (2002), thriller avec Meg Ryan, Jennifer Jason Leigh Holy Smoke (1998), comédie dramatique avec Harvey Keitel, Kate Winslet Mishaps of Seduction and Conquest (1998), court métrage. Portrait de femme (The Portrait of a Lady) (1996), comédie dramatique avec Nicole Kidman, John Malkovich La Leçon de piano (1993), comédie dramatique avec Holly Hunter, Harvey Keitel Un ange à ma table (1990), comédie dramatique avec Kerry Fox, Alexia Keogh.... Sweetie, comédie dramatique avec Genevieve Lemon, Karen Colston.... Peau (Peel) (1982) court métrage avec Tim Pye, Katie Pye