«Œdipe : l’odyssée d’un mythe » d’El Houcine M’Rabet : le théâtre, de Sophocle à Taoufiq Al Hakim
«Œdipe : l’odyssée d’un mythe » d’El Houcine M’Rabet essaie, à travers une étude comparative des différentes versions de ce de mythe, de mettre en relief les différents usages que les dramaturges ont pu en faire depuis l’
23 Septembre 2004
À 16:21
Le mythe d’Œdipe qui remonte à des temps immémoriaux continue encore de nos jours de susciter de l’intérêt auprès des chercheurs.
Depuis quelques décennies, à cause des grandes transformations de la société moderne, l’homme d’aujourd’hui n’a plus le même engouement pour la littérature dite classique que par le passé. Subjugué par les nouvelles technologies, d’autres préoccupations et d’autres champs d’investigation l’interpellent.
Cependant, tel le Phénix qui renaît de ses cendres, ces chefs- d’œuvre de la littérature universelle, dont la source est si lointaine qu’on la croyait à jamais tarie, connaissent à des intervalles plus au moins longs de nouvelles vies. En effet, sous un éclairage nouveau et un habillage différent, ils refont surface comme une nature qui se recycle à travers les métamorphoses des quatre saisons.
Au passage de ce mythe à travers les âges, chaque civilisation, qui l’a intercepté, a voulu lui imprégner sa marque, lui donner une nouvelle identité.
Les mythes portés à la scène pendant le Ve siècle avant notre ère sont toujours et ne sont jamais les mêmes. On peut distinguer aisément une œuvre de Sophocle de celle d’Eschyle traitant un même sujet ce qui explique qu’un même mythe puisse au moins d’une génération prendre un sens différent.
La permanence ainsi que l’engouement et l’intérêt sans cesse renouvelés qu’on porte au mythe depuis les temps anciens s’explique par cette interpénétration entre le mythe, la civilisation et le théâtre. Le mythe n’est pas seulement une histoire dont les événements se suivent et s’enchaînent.
« Ce qui importe dans le mythe n’est pas seulement la succession des événements mais aussi la signification symbolique des vocables ». a écrit G.Durand dans « Les structures anthropologiques de l’imaginaire ». Pour A. Breton : « Nous ne pouvons douter qu’il exprime une vérité commune, éternelle ; qu’il traduise dans la langue allégorique une série d’observations fondées qui ne sauraient admettre d’autres champs que l’existence humaine».
Pour ce qui est du deuxième élément qui est celui de la civilisation, il ne se limite pas aux seuls vestiges archéologiques ou à un ensemble de recueils littéraires qui nous parviennent de telle ou telle société et qui nous renseignent sur le degré d’évolution de cette société humaine. La civilisation, en dehors des réalisations artistiques, littéraires ou scientifiques se mesure aussi et avant tout par la condition des hommes qui la forment, leurs espoirs, leurs idéologies et leurs préoccupations des valeurs morales.
Dans son étude socio-psychanalitique des rêves dans la dramaturgie grecque, G. Devereux, dit à peu près ceci : « Ces gens n’étaient pas des statues, des pièces de monnaie ou des vestiges archéologiques, mais ils étaient des hommes ».
Le troisième élément, celui du théâtre, nous permet de constater qu’il va lui aussi dans les sens des deux autres, à savoir qu’il a le souci de se préoccuper de l’homme et tout ce qui touche la société humaine de prés ou de loin.
Dans son analyse des œuvres de Sophocle à la lumière de la civilisation grecque au Ve siècle, Cedric Whitman nous dit que « Les œuvres de Sophocle ne sont pas le fait d’un homme qui écrit tout en étant renfermé sur lui-même ou tout à fait isolé de son environnement social, produisant des œuvres qui ne soient pas en rapport avec la vie de son siècle, mais ces œuvres constituent de précieux documents sur le mode de vie des Athéniens et leurs préoccupations morales et spirituelles ».
L’homme est le centre des préoccupations de Sophocle, cependant il nous peint cet homme avec un peu d’idéalisme. Bien qu’il se soit écarté de la majesté exagérée dont Eschyle peint ses personnages, il ne parvient pas cependant à se placer au niveau rationnel et vraisemblable comme c’est le cas chez Euripide : Aristote nous dit que Sophocle peint les hommes comme ils devraient être, alors qu’Euripide les peint comme ils sont.
Bien qu’ayant renouvelé les sujets tragiques en attribuant une large part à la volonté et aux passions dans la direction des événements, Sophocle n’a pas exclu pour autant la fatalité. Œdipe ne fait réélu de ce qu’il croit faire. Ses vertus comme ses travers sont indistinctement employés pour sa perte. La volonté est ici représentée comme impuissante, jouet des caprices, du sort. C’est ainsi que fatalité et volonté constituent les deux ressorts principaux de ce drame sophocléen. Sophocle apparaît d’une foi plus sûre et plus profonde que celle d’un homme normal.
Cependant, bien qu’il soit très respectueux des croyances et des cultes de l’époque, il ne craint pas non plus de les dépasser. Il s’accorde avec Eschyle pour croire que l’univers est soumis à des lois divines qui ne sont pas nées d’hier ni d’aujourd’hui, mais qui existent partout et par tous les temps, sans que l’homme sache vraiment depuis quand elles existent. Ces lois ne furent pas gravées sur de la pierre, mais dans les cœurs humains et dans leur conscience.
Pour Sophocle, le destin de l’homme est d’affronter l’inconnu et il est vain de vouloir planifier l’avenir même le plus proche. Les héros sophocléens vont à la mort par leur propre choix et, hormis les peines et les désolations qui accompagnent cette mort, ces héros quittent la vie et le monde qui les entoure à la manière d’une séparation de deux êtres qui s’aiment.
Cette fatalité du destin de l’homme, Sophocle la souligne à plus d’un endroit, il la met en évidence à la fin de son Œdipe-Roi quand le coryphée annonce : « Thébains mes compatriotes, regardez cet Œdipe qui a su résoudre les fameuses énigmes et fut un homme très puissant. Est-il un des concitoyens qui n’ait jugé son sort enviable ? Vous voyez quels remous d’infortune l’entraînent ? Il n’est point de mortel, à le suivre des yeux jusqu’à son dernier jour, qu’il faille féliciter avant qu’il ait franchi le terme sans avoir connu la souffrance ».
«Œdipe : l’odyssée d’un mythe », El Houcine M’Rabet – édité en juillet 2004, 192 pages