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Ahmed Herzenni : «Je ne suis pas une victime»

"Je ne suis pas une victime mais un militant opposé à toutes formes d'injustice, d'exploitation et d'arrogance", a déclaré l'ancien détenu Ahmed Herzenni, lors de son témoignage dans le cadre de la deuxième séance des auditions publiques, diffusée en dire

25 Décembre 2004 À 17:24

M. Herzenni a rappelé que sa première action politique fut l'acquisition du portrait de Feu SM Mohammed V au marché de la ville de Sefrou et ce, le jour de l'annonce de l'indépendance du Maroc, le 18 novembre 1955.

Ce jour là, se souvient-il, mon père nous a donné l'équivalent d'un dirham et nous nous sommes dirigés vers le marché de Sefrou pour acheter un portrait de Feu SM Mohammed V et, depuis lors jusqu'à mon entrée au lycée, je n'avais jamais raté le passage d'un cortège royal dans les villes où je me trouvais", a-t-il dit.
"Nous étions toujours les premiers, comme l'indiquait la radio à l'époque, à participer avec enthousiasme à l'accueil du cortège du Roi" , a-t-il poursuivi.

Il a rappelé qu'il s'était "engagé volontairement dans l'opposition après avoir senti, comme d'autres jeunes issus de couches populaires, que l'un des acquis de l'indépendance, à savoir le droit à l'enseignement et à l'ascension sociale à travers l'école, a été menacé tout d'abord par l'exclusion des élèves et par une dégradation du niveau et du rayonnement de l'école publique au profit des écoles des missions étrangères".

Après avoir rappelé qu'il est devenu un opposant dans les années 60 en étant disposé à faire face à la répression, M. Herzenni a indiqué que ce qu'il reproche à l'Etat marocain durant cette période, ce n'est pas le seul fait de l'avoir opprimé, mais plutôt que la répression était disproportionnée par rapport aux actes commis.
"Nous voulions le combattre (l'Etat) , alors qu'il avait réagi en utilisant des chars et des tanks", a dit M. Herzenni.

Il a indiqué que Feu Abderrahim Bouabid lui a rendu visite avant le début de son procès et qu'il était mandaté par l'avocat, "le martyr du mouvement démocratique marocain, Omar Benjelloun, arrêté lui-même dans une autre affaire. Après avoir pris connaissance des chefs d'accusation, Feu Bouabid a affirmé que l'affaire toute entière n'est en fait qu'un simple délit de presse et qu'elle ne méritait qu'une peine de trois mois dans le pire des cas.

Au contraire, a-t-il dit, j'ai écopé d'une peine de 15 ans de prison ", estimant que la sentence aurait été plus sévère s'il n'était pas l'un des premiers détenus, comme ce fut le cas pour des adolescents qui ont été condamnés à la perpétuité. Cela " renvoie à une question d'une grande gravité à savoir l'absence de l'indépendance de la justice à l'époque", a dit M. Herzenni, qui s'est demandé si l'on doit reprocher cet état de fait à l'Etat ou à des juges pris individuellement.

Dans "sa répression, l'Etat ne s'était pas contenté des personnes concernées mais il est allé au delà en s'en prenant à leurs proches et parents et dans certains cas, à leurs lignages", a souligné M. Herzenni. Il a raconté qu'il avait été incarcéré avec les deux frères de son _camarade, frère et ami , Mohamed Bari, qui était alors adolescent, ajoutant que ce dernier a passé au commissariat plus de temps que les autres détenus. Il s'est rappelé qu'après leur libération, l'un des deux frères a quitté le Maroc sans jamais y retourner.

Mon épouse d'alors, relate-t-il, a été également incarcérée au même moment et a dû passer plus de temps que moi dans le commissariat , ajoutant qu'elle était en compagnie de l'épouse de son meilleur ami qui a fait une fausse couche à cause de ce qu'elle a enduré. M. Herzenni a raconté comment ses soeurs Latifa, Khadija et Amina, ainsi que son frère cadet Driss, qui étaient alors au primaire et au secondaire, ont été harcelés par des gens proches des milieux sécuritaires qui n'ont ressenti aucune gêne à les poursuivre durant plusieurs semaines sinon des mois en proférant des injures à l'encontre de leurs frères Abdellah et lui-même. Evoquant la torture qu'il a subie, Herzenni note qu'il a eu sa part, qui "reste en deçà de ce que bien d'autres personnes ont enduré". "J'ai tendance à éprouver de la pitié envers les tortionnaires qui ne sauraient, en dépit de leurs méthodes, porter atteinte à la dignité des gens dignes".

Malgré tout cela, le moment d'équité et de réconciliation que "nous vivons m'impose d'avouer que la période passée n'était pas qu'obscurité et que ses hommes n'étaient pas tous symboles du mal absolu", a-t-il fait remarquer, expliquant qu'un minimum de libertés publiques a pu être préservé, dont les libertés de réunion, d'organisation et d'expression.

Il a en outre mis en exergue les réalisations accomplies en ce qui concerne la préservation de l'intégrité territoriale et en matière de politique extérieure et de développement économique. Dans ce cadre, il considère qu'"il est difficile de ne pas reconnaitre le rôle joué par feu SM Hassan II, que Dieu ait son âme". En revanche, il a avoué qu'il n'était pas un "ange" et que sa culture n'était pas forcément démocratique dans la mesure où il n'excluait pas le recours à la violence en tant que moyen pour mettre en oeuvre ce qu'il croyait être "la juste voie". Dans son témoignage, il a élevé des prières pour le repos de l'âme de feu SM Hassan II et de bien d'autres disparus, dont Mehdi Ben Barka, Omar Dahkoun, Mahmoud Bennouna, Jbiha Rahal, Mustapha Ouali, Brahim Tizniti, Zeroual et Saida Mnebhi.

Il a également prié le Tout-puissant d'accorder longue vie à SM le Roi Mohammed VI qui, "sans Sa fibre démocratique et Sa volonté de mettre Son pays à l'abri de tout danger, notre réunion d'aujourd'hui n'aurait pas eu lieu pour inaugurer, ensemble, une nouvelle ère de réconciliation du Maroc avec lui-même, d'essor et de gloire". M. Herzenni a également souhaité plein succès aux collaborateurs du Souverain et à leur tête les membres de l'Instance Equité et Réconciliation, aux militants des droits de l'homme et à tous ceux qui sont soucieux de l'avenir du Maroc.

Si "l'on disait du Maroc un pays d'opportunités perdues", il importe de ne pas rater "celle qui se présente à nous aujourd'hui", a indiqué M. Herzenni, soulignant que le peuple et les jeunes marocains feront bloc contre tous ceux, conservateurs déclarés ou prétendants au changement radical et global, qui voudraient anéantir cette chance. "Pour abandonner définitivement le despotisme, le sous-développement et la dissension, le pays a besoin d'une école nationale publique capable de qualifier notre jeunesse et de lui offrir des chances égales d'ascension sociale, une école pour apprendre le savoir et inculquer l'essence d'une vie digne", a-t-il soutenu.

"Le besoin est pressant pour une justice indépendante où le magistrat doit s'en tenir rigoureusement au texte juridique et à ce que lui dicte sa conscience ", a-t-il poursuivi, ajoutant que "nous avons tous besoin d'apprendre quelque chose appelé la responsabilité individuelle dans la punition comme dans la rétribution", au lieu d'étendre la répression, comme ce fut le cas par le passé, à la famille et aux proches de l'auteur d'un délit. Pour ce faire, il importe, selon lui, de reconsidérer la question de l'école et de l'enseignement sous le prisme du contenu, qui devrait ancrer le sens de la dignité de l'individu, à travers un enseignement basé sur l'identité marocaine et ouvert sur les valeurs de la justice et de la vertu.

"C'est bien là la véritable indemnisation à laquelle j'aspire", a-t-il dit. "Que mes enfants, mes proches et mes amis tiennent ce propos pour testament que je ne modifierais point aussi longtemps que je vivrais et que vive le Maroc", a-t-il conclu.
Né en 1948, Ahmed Herzenni a été arrêté, le 22 février1972. Il est resté en détention, jusqu'au 10 mars de la même année, à Derb Moulay Chrif à Casablanca, avant d'être transféré à la prison civile "Ghbila" dans la même ville où il a séjourné jusqu'en août 1973. A cette date, il a été conduit à la prison centrale de Kénitra, d'où il a été libéré le 22 août en 1984.
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