Fête du Trône 2006

Après le décès du général Mohamed Belhaj : le devoir de reconnaissance

Le Maroc vient de perdre l’un de ses grands hommes : le général Mohamed Belhaj qui a dirigé pendant de longues années deux institutions militaires phares : l’école de perfectionnement des cadres de Kénitra et l’Académie Royale militaire

18 Septembre 2004 À 18:17

J’ai eu le plaisir de connaître cet homme pendant plus de 15 ans et je voudrais ici lui rendre un hommage appuyé, d’abord pour l’homme, ensuite pour le militaire et enfin pour l’ami.

Le général Belhaj faisait partie de ces rares hommes et femmes qui ont servi avec abnégation leur pays, qui ont sacrifié leurs vies pour les bonnes causes et donné le meilleur d’eux-mêmes pour positiver et faire avancer les choses.
Cet homme est entré dans la vie active très tôt, à l’âge de 16 ans, pour s’associer au mouvement de Libération nationale et depuis son itinéraire sera marqué par des actes de bravoure, d’engagement et de patriotisme.

Cet homme a connu la prison, la guerre (notamment au Moyen-Orient et au Sahara), les privations, la solitude, mais rien ne l’a affaibli, ni découragé, ni démotivé.
C’était un patriote au sens noble du mot, possédant les valeurs intrinsèques de loyauté, de fidélité et d’engagement citoyen.

L’homme vivait une sorte de gloire permanente parce qu’il était contre le défaitisme, l’immobilisme et la désespérance. L’homme était habité par l’optimisme.

Tous ceux qui l’ont côtoyé directement ou indirectement peuvent aujourd’hui témoigner de la singularité de cet homme dans ses rapports avec le travail, la monarchie et globalement la partie.

Cet homme est exceptionnel par sa dimension humaine, son intelligence débordante, sa fidélité authentique, son dévouement intarissable, sa générosité abondante et sa courtoisie exemplaire.
Durant toute son existence, le général Mohamed Belhaj s’est détaché des aspects matériels et mesquins de la vie.

Il était dépourvu d’égoïsme personnel et de vanité. L’homme évitait la futilité. Il n’avait pas de temps à perdre pour les actions stériles, inopportunes et inutiles.
L’homme fonctionnait comme une machine en mouvement permanent produisant inlassablement des idées et surtout des projets.

Il était infatigable, en perpétuel éveil, réactif, n’ayant jamais connu ni repos ni répit. Sa devise se résumait en un seul mot : le travail et toujours le travail.
Ceux qui l’ont rapproché ou travaillé avec lui peuvent témoigner qu’il était un militaire hors du commun, ayant le goût du risque, le sens de l’organisation, la gestion des hommes et des difficultés. Pour lui, il n’y a jamais de problèmes, il n’y a que des solutions. L’exemple de l’Académie Royale militaire est édifiant à cet égard. Il suffit de voir ce qu’était cette institution dès son arrivée au début des années 1990 et ce qu’elle est devenue aujourd’hui : une école entièrement rénovée, reconstruite qui fait honneur au pays, à sa vocation et à ses militaires.

L’homme nous a légué une école moderne avec un contenant et un contenu. Les militaires formés dans cette école sont tristes aujourd’hui et doivent le pleurer non seulement parce qu’il était un excellent directeur de l’ARM, mais parce qu’il a introduit au sein de cette institution des pratiques déontologiques nouvelles, des valeurs du mérite, de l’équité, de l’excellence, de la performance et de la transparence, transcendant les pratiques abusives du clientélisme, du favoritisme et du laxisme.

C’est pour cela que le général Belhaj n’était pas apprécié par beaucoup de gens. Cet homme veillait au petit grain, au détail. C’était un perfectionniste.
Il voulait que tout soit parfait, de l’architecture d’une salle jusqu’à la disposition des tableaux d’art ou le choix de la peinture. L’homme portait un intérêt particulier pour les belles choses, pour une qualité de vie meilleure.

Et pour cela, le mode de vie et de fonctionnement au sein de l’ARM a beaucoup changé. Les militaires sur place et les élèves en formation peuvent en témoigner. L’encadrement pédagogique et social témoigne de la générosité et de la grandeur de cet homme. Le général Belhaj apprenait à ses élèves l’amour de la partie et la culture de l’engagement public.

Il avait un seul objectif : celui de former des militaires capables d’incarner un Maroc renouvelé, moderne, stable, sécurisé et démocratique. Il avait le don de faire de meilleurs êtres humains. Le général Belhaj était l’exemplarité faite homme.

Il a, durant sa vie, réussi cette rare combinaison entre fierté et dignité, courage et volonté, probité et responsabilité, respect et tolérance, nuance et humilité, gestion et efficacité. J’ai eu l’immense privilège de croiser un individu de cette trempe.

Tous ceux qui ont connu le général Belhaj, soit à l’école des cadres de Kénitra ou à l’ARM ou ailleurs, garderont de lui l’image d’un homme affable, souriant, courtois, convivial, attachant, généreux, hospitalier, éloquent et intelligent. Il avait un grand respect pour la communauté scientifique et particulièrement les professeurs et les maîtres du savoir.
Les professeurs qui ont enseigné dans les deux institutions garderont de lui une image de noblesse d’un homme accueillant, chaleureux, prêt à débattre sur des problématiques plus complexes et plus diverses.

Le général prêtait une attention particulière aux événements, à l’actualité, à l’échange et au débat. C’était aussi un érudit et un grand lecteur. Nous pleurons aujourd’hui le général Belhaj ; nous partageons la peine de sa famille, de ses proches et de tous ceux qui l’ont apprécié, non pas pour son rang et son grade, mais pour l’homme qu’il a incarné ; un homme d’une pureté morale insoupçonnable, ayant servi loyalement son pays et son Roi. L’homme était un grand serviteur doublé d’une loyauté sans faille ayant évité pendant toute sa vie de tomber dans le jeu de l’allégeance primaire ou de la servitude volontaire.

Au cours de ces trois dernières années, le défaut laissait apparaître une sorte de lassitude, une envie de départ, un besoin de retraite. Ses gestes et ses paroles laissaient présager quelque chose d’éminent, d’irréversible et de définitif.
Pendant ces trois dernières années et à la fin de chaque année académique, le général ramassait tout ce qui traînait sur son bureau, allant jusqu’à même remettre les clés et donner toutes les consignes de sa succession comme si l’homme savait qu’il n’allait pas y retourner, et en tout cas, il se préparait pour le grand départ.
Il exprimait sans arrêt une angoisse : celle de sa succession. L’homme priait incessamment Dieu pour que son successeur soit à la hauteur de la tâche qui l’attend.

Usé par le travail, le manque de repos, l’effort physique permanent, son cœur, qui était toujours au garde -à-vous l’a lâché, le jour son anniversaire, le 24 août 2004. La fête s’est transformée en deuil. Ainsi, sa vie était programmée, quel destin !
Son départ laissera un vide immense, mais son souvenir continuera à remplir le cœur et l’âme de ceux qui l’on vraiment connu.
Aux grands hommes, la nation doit être reconnaissante.

(*) Universitaire, membre du Groupement Espace et Territoires.
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