Atika Sermouh, Chef du service de production en langue française de la chaîne inter : la voix-soleil de la radio
Elle promène une regard joyeux sur le monde, les Hommes et les choses. Elle adhère souvent au parti d’en rire. Mais attention, derrière son immense sourire se cache, toute recroquevillée, l’âme, au sens jazzy du mot, d’une écorchée vive.
LE MATIN
22 Février 2004
À 19:01
Atika Sermouh, nommée il y a quelques semaines à peine, chef du service de production en langue française de la radio nationale, celle-là même qui gère désormais une équipe de 22 personnes vit sa nomination plus comme un « changement heureux », plutôt qu’une promotion. Elle est ainsi, la Meknassi, entière, engagée, passionnée mais tellement détachée.
Son appartement, dans le quartier de l’Agdal à Rabat, lui ressemble. La journaliste polyvalente, plus sur le terrain que derrière un bureau, y a convoqué mémoire et culture. Un musée où le patrimoine d’ici, portes anciennes transformées en table, haïk devenu immense fresque murale, paravent en bois sculpté, un espace de convivialité, une invitation au voyage et à la connaissance de l’Autre, aussi. Des dizaines de poupées, devenues collection au fil des ans, des pérégrinations, des reportages, sont autant de jalons des expéditions de celle qui a aimé la radio, fréquence libre, à son éclosion en 1981 à Paris. Atika Sermouh venait de terminer Sciences Po, « Radio Soleil » venait de naître, elle est tentée par l’aventure radiophonique. L’aventure est devenue passion- c’est cette même passion qu’elle essaie de transmettre aujourd’hui aux étudiants de l’institut de journalisme- avant d’être carrière et elle dure depuis 22 ans.
Atika Sermouh est une voix. Rauque, belle, généreuse. Tous les vendredis, entre 14 heures et 15 heures, elle raconte sa saga des femmes. Autant de portraits de femmes parce que sont « des femmes formidables, qui ont toutes quelque chose dire, à raconter ». Dans le microcosme médiatique, on parle volontiers « des vendredis heureux de Atika ». En ces instants dédiés à la moitié du ciel, des histoires d’amitié sont nées. Des parcours ont éclos. Etrangement, la radio et ses ondes magiques ont donné de la visibilité aux femmes avant même que la vague ne fasse surfer.
Puis un jour, la voix s’est arrêtée. Pendant plusieurs années.
Des années de trop. Atika lâche dans un souffle, la gorge nouée, des larmes qui coulent doucement comme creusant un très léger sillon : «gros deuil, voix étouffée. Je ne voulais surtout pas que les auditeurs soient le réceptacle de mon malaise ». Son époux, le socio-économiste Mohamed Salahdine, disciple de Paul Pascon, venait de disparaître tragiquement. Elle était sa compagne et sa muse. Son premier public exigeant. Il n’avait de cesse de promouvoir son travail à elle. Elle dit : « en perdant Salahedine, j’ai beaucoup perdu ».
Trop plein d’émotion. Silence. Abyssale, la plaie est toujours vivace. Atika Sermouh dit Salahedine quand elle parle de son mari, père de ses deux enfants aujourd’hui étudiants en France. Elle l’appelait « le petit père du secteur informel ». La flamme est entretenue. Pas de manière «souvenir figé ». Plutôt dans l’action, l’engagement, le mouvement associatif. Alors, elle est aussi naturellement que spontanément, membre fondateur de l’Association Marocaine de Solidarité et Développement, l’AMSED.
Créée en 1993, cette Ong dont elle est aujourd’hui le secrétaire général travaille en partenariat avec pas moins de 400 associations locales et brasse un budget annuel de 500 000 dirhams.
Celle qui a découvert la radio, lorsque la bande FM a explosé sous Miterrand, attend sur ses gardes la libéralisation audiovisuelle en terre marocaine. Elle explique: « tous mes sens sont en alerte face à cette concurrence qui va surgir d’un jour à l’autre. A la radio, nous n’exploitons pas tout notre potentiel. Par manque de moyens, par paresse aussi.
Il y a aussi une motivation en dents de scie ». Cette ex-chef du service de programmation de la chaîne internationale qui a été également productrice d’émissions culturelles destinées aux échanges avec des radios partenaires avec la radio marocaine est une adepte de la qualité et de la rigueur, n’hésitant jamais à se remettre en jeu pour mieux se renouveler. Puis s’en va-t-en-guerre contre le clientélisme et le « deux poids-deux mesures ». Atika Sermouh sourit. Et son sourire est presque un rire. « Parfois j’ai presque envie de réprimer mon sourire ». Non, surtout pas Atika…