«Au nom de la Torah» de Yakov M. Rabkin : histoire de l'opposition juive au sionisme
Le 27 avril dernier, à l'occasion du 56e anniversaire de la création d'Israël, un nombre important de juifs orthodoxes avaient manifesté pour signaler leur opposition au sionisme et à l'Etat qui l'incarne. Cette fracture entre le sionisme et la tradition
LE MATIN
13 Mai 2004
À 15:59
Comme l'ont été nombre d'écrivains étrangers qui se sont, peu ou prou, intéressés à la nature véritable du sionisme ; L'ouvrage en question touche, en effet, à une problématique taboue : l'opposition juive au sionisme. Non seulement il sape l'un des fondements majeurs de la propagande sioniste, mais il nous rappelle à nous-même et à notre histoire. Notamment celle de cet Empire du Couchant où Musulmans et Juifs ont toujours harmonieusement coexisté.
Belle en a été la description faite par la veuve du rabbin Blau, Amron. Parlant de l'exode des juifs marocains vers Israël, elle a eu ce cri de cœur. « Tous ces visages exprimaient la bonté, la simplicité et une très grande pureté. … Où sont-ils maintenant ? … Sont-ils en Eretz Israël ? Ressemblent-ils encore, simplement, à des juifs ? ».
A cette question, son mari avait préalablement répondu que non. Selon lui, le sionisme aurait, à cet égard, infligé plus de dégâts aux juifs qu'aux autres peuples de la région. « Si les Arabes ont perdu leur leurs territoires et leurs maisons, les juifs ont perdu leur identité historique en acceptant le sionisme ». Une idéologie qui, à l'instar du communisme, propose « une identité laïque aux juifs en tant que nation à la place de l'identité orthodoxe traditionnelle exprimée en termes religieux ». Ce qui la situe clairement en rupture par rapport au judaïsme et à l'histoire juive, c'est l'effet sécularisant du sionisme qui constitue sûrement l'article d'accusation le plus grave que formulent ses adversaires au nom du judaïsme.
Certains vont jusqu'à souligner que l'assimilation que subissent les juifs en Israël est plus profonde que celle qu'ont subie les juifs en U. Il existe donc désormais un écart entre le symbole spirituel et la praxis historique dans le rapport que les juifs maintiennent avec la terre d'Israël. En effet, il s'agit d'un écart transculturel qui s'explique par une incompatibilité conceptuelle difficile à résoudre.
A titre d'exemple, la culture juive traditionnelle décourage tout activisme politique et militaire, en particulier en Terre d'Israël. Ce qui n'est pas le cas pour le sionisme. Lequel est bâti sur une volonté d'agression et de conquête. Ce qui donne un sens tragique à cette interrogation de l'un des rabbins les plus hostiles à ce dévoiement irrédentiste. « Combien de sang juif faut-il verser pour qu'ils [les sionistes ] puissent maintenir leur but de soi-disant Etat juif ? », s'est-il écrié .
L'auteur y répond qu'en réitérant leur soumission inconditionnelle à Dieu, au « Roi de tous les Rois », les rabbins traditionalistes soulignent que « notre souci pour l'honneur du Roi nous rend plus, et non pas moins sensibles au sort des victimes des rebelles dans l'enceinte du palais royal ». Un abîme s'ouvre ainsi entre la sensibilité historique de la tradition juive et celle des sionistes inspirés par le nationalisme romantique européen. Il n'est donc pas étonnant que les autorités rabbiniques antisionistes aient tenté de conclure des ententes séparées avec les leaders arabes tout au long des années 1920 et 30 et organisé des manifestations sous les drapeaux blancs, en 1948 à la suite de la déclaration de l'indépendance par Ben Gourion.
Laquelle déclaration avait signé le véritable acte de naissance de ce « mouvement» qui ne ressemble à aucun autre. Si les véritables mouvements de libération nationale ont eu pour finalité d'affranchir leurs peuples de la domination étrangère et de leur permettre d'établir leur contrôle sur leur propre territoire national, le sionisme se fixait comme but de créer une langue, de former une conscience nationale, de transporter le peuple qui la cultive dans un autre coin de la planète, de remplacer la population locale et de se défendre contre les tentatives de cette dernière de reprendre ses biens ainsi spoliés.
Citée par Rabkin, une historienne israélienne précise à ce propos que « la psychologie sioniste se forme de deux paramètres contradictoire : un mouvement de libération nationale et un mouvement de colonisation européenne d'un pays du Moyen Orient ». C'est ce dernier point qui a causé tellement de tort non seulement aux pays de la région, mais à l'ensemble des pays de la planète.
«Au nom de la Torah, une histoire de l'opposition juive au sionisme», Yakov M. Rabkin, Ed. Presse de l'Université Laval, Quebec 2004, 278 pages.