Brahim Abou El Abbes, président de l'Association marocaine pour l'écotourisme et la protection de la nature : «Nous étudions la possibilité d'intégrer l'éducation environnementale relative à la Maâmora dans le cursus scolaire des écoles de la ré
Reconstruire l'histoire de la forêt de la Maâmora dans un espace dit " écomusée " et qui verra le jour dans les prochaines semaines est la meilleure façon de sensibiliser le grand public. Entretien avec Brahim Abou El Abbes, président de l'Association mar
LE MATIN
25 Décembre 2004
À 19:32
Vous êtes président de l'Association marocaine pour l'écotourisme et la protection de la nature dont l'un des ses objectifs est la contribution à la conservation du patrimoine naturel et vous travaillez sur la sauvegarde de la forêt de la Maâmora. Aujourd'hui, quels sont les principaux dangers qui guettent cette forêt ?
Effectivement notre association s'intéresse particulièrement à la forêt de la Maâmora dont l'importance écologique, socioéconomique et récréative n'est guère une chose à démontrer. En réponse à votre question, je m'attacherai plutôt à un aspect qui me paraît essentiel ayant attiré notre attention, en l'occurrence l'augmentation de la fréquentation de la forêt de la Maâmora par les citadins de la Wilaya de Rabat-Salé et qui prend remarquablement de l'ampleur d'une année à l'autre.
C'est l'un des problèmes auquel la forêt doit faire face dans les prochaines années et qui représente à notre égard un réel danger qui, s'il n'est pas bien géré, s'ajoutera aux problèmes classiques de la Maâmora aussi bien naturel que social et économique, chose qui ne peut qu'accélérer le processus de sa disparition.
Selon notre enquête réalisée auprès des visiteurs de la Maâmora dans le cadre du projet que nous menons actuellement en partenariat avec le Haut commissariat aux eaux et forêts et à la lutte contre la désertification, le département de l'Environnement et la préfecture de Salé, cette forêt accueille annuellement plus de 300 000 visiteurs issus en grande partie de Rabat et Salé.
Elle devient un espace récréatif déterminant dans la vie citadine de la région.
En effet, en l'absence de l'infrastructure d'accueil, de canalisation et de sensibilisation de ces flux de visiteurs hebdomadaires dans la forêt, l'impact s'amplifiera pour fragiliser davantage l'écosystème forestier en dégradant son cortège floristique et faunistique, en réduisant le couvert végétal et en affectant négativement le chêne liège.
Ce nombre de visiteurs est relativement élevé par rapport à la superficie fréquentée et par voie de conséquence l'impact est remarquablement senti après chaque fin de semaine.
Dans votre démarche, vous privilégiez l'éducation environnementale par la création d'un écomusée. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à choisir cette piste ?
La problématique que je viens de citer ci-dessus en est la principale raison qui nous a motivé pour le choix de cette démarche. En effet, reconstruire l'histoire de la forêt de la Maâmora dans un espace dit " écomusée " et qui verra le jour dans les prochaines semaines est la meilleure façon de sensibiliser le grand public. Il s'agit en fait de donner l'occasion à cette forêt de s'exprimer sur ses potentialités, son histoire naturelle et culturelle, ses problèmes quotidiens et surtout son devenir si les efforts ne se multiplient pas pour sa sauvegarde.
L'écomusée de la forêt de la Maâmora sera le lieu d'accueil et d'information du visiteur, du chercheur, du naturaliste, du touriste et même des décideurs où ils découvriront la fragilité du fonctionnement de l'écosystème forestier et la nécessité de contribuer à sa sauvegarde. Selon les moyens dont nous disposons, nous allons essayer d'exposer l'évolution de la forêt ainsi que toutes ses composantes. Notre centre d'intérêt dans toute cette affaire est que nos groupes cibles puissent découvrir dans un cadre très simplifié, la richesse naturelle que recèle la Maâmora, le rôle qu'elle joue dans le maintien de l'équilibre naturel et ses enjeux économiques et sociaux auxquels elle fait face.
La visite de l'écomusée sera complétée également par un circuit didactique au niveau de la forêt pour permettre aux visiteurs surtout les écoliers et les enfants de voir sur le terrain les composantes de la forêt de la Maâmora et les problèmes auxquels elle se heurte.
Vous voulez également promouvoir la culture environnementale dans les écoles de la région. Concrètement, que proposez-vous aux établissements scolaires limitrophes ?
L'éducation environnementale au niveau des écoles se trouvant à l'intérieur ou aux alentours de la forêt de la Maâmora est aussi l'une de nos principales actions. En effet, nous disposons actuellement d'une équipe qui a commencé à travailler sur la conception de ce programme. Les cadres du Haut commissariat des eaux et forêts et de la lutte contre la désertification ont donné leur accord de principe pour contribuer efficacement au programme notamment en matière d'animation de séances pratiques sur les efforts déployés par leur département pour la reconstitution de la forêt et particulièrement toutes les techniques mise en œuvre à cet effet.
Autre possibilité pour sensibiliser le public, la création du Club d'amis de la Maâmora. Comment se présente ce projet ?
L'idée de création du Club des amis de la forêt de la Maâmora (CAFM) au sein de notre association est aussi, comme vous l'avez précisé, une autre forme de sensibilisation du public. Sauf que cette fois, il s'agit de créer un forum régional sur la problématique de cette forêt regroupant des volontaires, des chercheurs, des étudiants, des ONG, des habitants locaux qui s'intéressent à la préservation de la Maâmora.
Le rôle du CAFM est d'offrir un espace de dialogue, d'ateliers, de réunions et de diverses manifestations pouvant servir à dégager éventuellement une ou des solutions concrètes à la sauvegarde de ce patrimoine naturel.
En effet, le nombre de visiteurs de la forêt de la Maâmora s'élève à 30.000 lors de chaque fin de semaine surtout printaniere, et généralement concentré sur une superficie ne dépassant pas 400 ha ce qui dépasse de loin la capacité de charge de ces milieux. Le rôle du CAFM dans ce cas est d'essayer de canaliser ces flux de visiteurs, de les sensibiliser et de les inviter à adopter le code des bonnes pratiques envers la forêt
Concernant la conservation de cette forêt, vous proposez des micro-projets liés à l'écotourisme. Quelle est la nature de ces projets ? Toujours concernant le tourisme rural, il semble que vous n'êtes pas satisfait des conditions d'accueil dans les auberges et gîtes ruraux, que leur reprochez-vous ?
Pour ce qui est des microprojets liés à l'écotourisme, nous visons en effet, à proposer une autre forme d'exploitation de la forêt autre que l'exploitation traditionnelle (coupes de bois et de produits) en maintenant le niveau de sa rentabilité économique mais en même temps en assurant sa durabilité. La promotion du tourisme rural peut représenter une bonne alternative à cette surexploitation du fait qu'on peut vendre un circuit naturel, un très bon paysage, une biodiversité remarquable et spectaculaire, une aire pure, un produit de terroir, un savoir-faire en artisanat local, une tradition ancestrale en voie de disparition, etc.
Ce sont pratiquement les points forts que recèlent les écosystèmes forestiers qui malheureusement ne sont pas perçus par les acteurs locaux qui ne voient en la forêt que la valeur commerciale de l'arbre.
A travers des actions de démonstration, nous visons la promotion de petits métiers au niveau de la forêt de la Maâmora à savoir : le guidage " âniers ou muletiers " pour donner aux citadins le sentiment de vivre des moments de l'activité rurale à travers des randonnées à dos d'ânes ou de mulets. Les randonnées équestres à travers la location de chevaux, la formation en métier d'artisanat local conçu par la femme rurale. La formation des animateurs et guides écologiques en forêt.
En matière du tourisme rural, vous avez soulevé un point très important auquel nous devons prendre garde, il s'agit des conditions d'accueil dans les auberges et les gîtes ruraux. En effet, on ne peut pas seulement exprimer la non satisfaction à l'égard des conditions d'accueil actuelles, mais je dirai qu'il faut tirer la sonnette d'alarme si nous voulons vraiment réaliser les performances visées à l'horizon 2010 pour recevoir les 10 millions de touristes.
En réponse, je dirai qu'il est absolument illusoire de penser que le tourisme rural au Maroc contribuera au plan 2010 si les conditions actuelles persistent ou si des mesures concrètes ne sont pas prises au sérieux pour remettre à niveau nos capacités d'accueil dans le monde rural.
La majorité des structures d'accueil spécialisées en tourisme rural sont malheureusement dans un état qui ne permet ni un minimum de confort pour les touristes ni même un peu d'effort dans l'accueil et les services fournis par les " petits promoteurs" sans parler bien sûr de la propreté des locaux et même des personnes chargées de la gestion. Cela est dû en fait à un énorme manque de formation et d'accompagnement des propriétaires et des gestionnaires de ces unités d'accueil.
A mon sens, les gîtes doivent être classés tout d'abord selon leur emplacement, l'architecture utilisée qui doit impérativement répondre aux normes locales, l'état des constructions, les différents services et l'équipement interne qui doit comprendre uniquement les produits locaux. La majorité des gîtes que j'ai eu l'occasion de visiter, que ça soit au haut Toubkal, la région d'Azilal ou l'Atlas oriental même s'ils sont très éloignés, utilisent, à titre d'exemple, des tables et des chaises en plastique et propose du fromage industriel.
En matière de tourisme rural, il faut dire qu'on est au stade zéro. C'est une bonne chose dans la mesure où on peut considérer que c'est le moment propice pour démarrer ce secteur et offrir un écotourisme de qualité. Plusieurs bailleurs de fonds financent des micro-projets dans ce secteur qui, dans la majorité des cas, se limitent à l'aménagement et la réalisation de gîtes chez l'habitant sans tenir compte ni des principes fondamentaux de l'écotourisme, ni l'accompagnement des bénéficiaires, ni même l'étude de faisabilité ou du marché ce qui peut mener facilement à développer le bas de gamme anarchique. En effet, il est temps de fédérer toutes les initiatives visant le développement du tourisme rural de manière à mettre en place, voire à exiger des normes de qualité dans les structures d'accueil .
Le ministère du Tourisme a développé une nouvelle stratégie de développement du tourisme rural intitulé " Pays d'Accueil Touristique " c'est une stratégie ambitieuse qui peut donner des résultats satisfaisants si : (a) une révision du statut des guides de montagne : en effet, nous avons besoin de former des promoteurs locaux spécialisés en tourisme rural qui peuvent monter des petites entreprises complètes allant de la mise en place de l'unité d'accueil à la commercialisation de leur produit, (b) revoir le statut des gîtes de manière à redéfinir des normes qui répondent aux consommateurs (touristes) et pas à la capacité d'investissement (c) revoir la totalité des gîtes pour leur mise à niveau sur les plans architecture, équipement et la propreté et (d) que je considère le plus important et le moteur même du développement du tourisme rural, c'est la formation et la formation continue des promoteurs ruraux. Il incombe impérativement au ministère de tutelle d'investir dans ce volet à fin de combler un vide remarquablement manifesté au niveau local.