Fête du Trône 2006

Cérémonies et traditions : Les joutes poétiques du mariage chez les Aït Hdiddou

Chez les Ait Hdiddou, comme partout dans le monde amazigh, tous les événements importants de la vie - en particulier les moments décisifs tels que le mariage et la circoncision – sont accompagnés de chant et de danse (par exemple l'ahidous célébré à l'occ

31 Décembre 2004 À 15:49

Ce genre de cérémonies (du mariage) commence d'abord par des préliminaires tels que le choix de la mariée (tislit).
Les femmes mandatées par la famille du marié (isli) en rendant visite à la famille de la mariée commencent par des paroles significatives qui portent sur les qualités et les caractéristiques auxquelles doit répondre la femme désirée par leur fils (mais beaucoup plus par la famille) :

mayd ittunadan ? ifsan ighudan ayd ittunadan
Que cherche-t-on ? Ce sont les bonnes graines qui se cherchent.

A travers ce vers chanté, on annonce les caractéristiques de la mariée qui doit se distinguer non seulement par sa beauté, sa pureté, sa noblesse mais aussi par sa fertilité d'où l'emploi métaphorique de la construction prédicative «de bonnes graines » ; les graines sont le symbole d'amour, de fécondité, de productivité, bref de la vie.

Après la demande en mariage, vient ensuite l'envoi du trousseau pour la mariée et qui est accompagné par le chant aussi:
win mi d ujellab ? win nne-m a tislit
A qui est cette djellaba ? C'est à toi, ô mariée !
D'après notre informatrice « jellab» représente ici le trousseau offert à la mariée. Il se compose d'un mouton, d'une grande galette dite «abadir » que la famille de la mariée découpe en petit morceau et distribue aux invités et d'un habit blanc du mari (d'où l'appellation du trousseau «jellabi»). La famille de la mariée accueille chaleureusement celle du marié en disant :
afrah ur da nezzan, lehbab ay ten itteggan
La joie ne se vend pas, ce sont les proches qui la provoquent.
En effet, la gaieté et la joie ne se vendent pas, il faut être en famille pour la créer.

Implicitement, ce vers chanté montre que les relations sont inévitables. Il faut bien les sauvegarder, les entretenir.
Alors la grande cérémonie du henné prend lieu. Un groupe de femmes entoure la mariée et entame le fameux rituel du henné tout en chantant, elles commencent à faire des éloges de la mariée :
a tenwwert a tislit am uldji y awragh
Tu seras rayonnante, ô mariée comme l'est une fleur jaune !
Alors la cérémonie d'imposition du henné commence par les chants suivants :
henna nne-m d amezwaru, tislit
Ô la mariée, c'est la première fois qu'on t'applique du henné !
ad am d imun sseâd izlin a tislit !
La bonne chance accompagnera ce henné, ô la mariée !
A travers ces chants, on souhaite que la chance accompagne la mariée, que cette cérémonie lui soit de bon augure.

Alors, une femme âgée commence à marquer quelques articulations de la mariée en commençant surtout par le côté droit ; en ce moment, les femmes mandatées par la famille du marié s'adressent à celle de la mariée pour leur demander :
may d as ighemmun i tislit ?
Qui est en train d'appliquer le henné à la mariée ?
La famille de la mariée répond :
alla fatim z-zehra ay d as ighemmun i tislit
C'est Lalla Fatima Zehra (fille du Prophète) qui est en train d'appliquer du henné à la mariée.

Cette réplique montre le sacré du rituel du henné ; les femmes invoquent la fille du Prophète Mahomet pour qu'elle porte bonheur à la mariée, pour qu'elle soit belle et respectée mais surtout fertile (la fille du prophète avait donné naissance à deux jumeaux, Hassan et Hussein). Outre son aspect esthétique, au henné sont attribués des pouvoirs prophylactiques, de protection et de fécondité. Une fois l'imposition du henné est terminée, la femme âgée se sert d'un fil de laine en entrelacs et relie à la base des doigts les deux mains de la mariée (izlumen). Ensuite, elle la fait vêtir d'un habit blanc celui offert par le mari (aqidur), quant à ses cheveux, elle les coiffe et les peigne en forme saillante appelé communément «abey». Une fois habillée et coiffée, la vieille femme met sur son visage un voile en soie appelé «tasbiniyet» et un collier «luban » autour de son cou.

Enfin, la mère de la mariée met une sorte de cape ou couverture «izar » sur les épaules de sa fille en l'agrafant par des fibules dit «tisughnas». Une fois la mariée chaussée de babouches «tikurbiyyin » le rituel du henné prend fin. C'est alors qu'on fait des éloges de la mariée et on reprend le premier vers chanté au début du cérémonial :
a tenewwert a tislit am uledji y awragh
Tu seras rayonnante, ô mariée comme l'est une fleur jaune.

Ainsi habillée et parée, la jeune mariée ressemble à une fleur jaune.
Après la cérémonie du henné, la porte s'ouvre enfin, le cortège nuptial entame une sérénade de triomphe et d'éloge. La mariée se prépare alors à quitter le bercail paternel, transbahutée sur une mule en portant derrière elle un petit garçon jusqu'au domicile conjugal.

Il faut seulement rappeler, ici, qu'il y a quelques décennies, l'enlèvement était encore simulé au moment où le cortège nuptial emmenait la mariée vers sa nouvelle demeure, c'est pourquoi ledit cortège est protégé par la famille du marié.
La cérémonie du mariage chez les Ait Hdiddou consiste à montrer, par une mise en scène, par une sorte de théâtralisation, que l'alliance ne peut être scellée qu'en vainquant la résistance de la famille de la mariée. C'est le moment propice où les deux familles vont se mesurer en honneur. La famille du marié, quel que soit son rang, est toujours en position de demande : les femmes seront soumises à l'épreuve de la parole (poésie chantée).

Quant à la famille de la mariée, elle doit montrer par un ensemble de procédés (chants, danse et d'autres formes rituelles) qu'elle ne donne sa fille qu'après avoir reconnu celle du marié comme son égal en honneur. Les joutes poétiques ainsi que les différentes formes de cartel ont pour objectif de confirmer et d'attester publiquement au su de toute la tribu l'égalité en honneur des deux familles. Cette résistance est traduite par une joute oratoire chantée ; la famille de la mariée commence par un chant d'éloge :
a tistlit ad am izwur mulana
Ô la mariée, que Dieu te devance
isegged sseâd nnem ad am ig am ughanim
Et que ta chance soit aussi droite qu'un roseau !
Tout en chantant ces vers où la mariée est comparée à un roseau, le père essaye de chasser la famille du marié par un roseau. Pourquoi l'emploi d'une telle figure, d'une telle métaphore ? Pourquoi les chanteuses comparent-elles la mariée à un roseau ? Le roseau dans la culture berbère, notamment chez les Ait Hdiddou, symbolise la prospérité, la vie, il vit dans l'eau ; il est admiré grâce à sa finesse, à sa souplesse mais aussi à sa verdure.

Les femmes souhaitent non seulement que la mariée soit belle, fine et souple tel un roseau mais féconde; ce vers chanté traduit incontestablement un rituel de fécondité qui est indissolublement liée à celle de la terre.
La famille du marié enchaîne en faisant les éloges du marié et dit :
annaygh aberrad ha d lkis dat-as,
Je vois la théière et le verre devant elle
a wenna t isghan ami llan y ufus
C'est celui qui l'a acheté qui le possède.

Ici la famille du marié compare leur fils à une théière «aberrad» qui renvoie à un rite social, c'est le symbole de la bienvenue, de la générosité et des festivités. L'image incarnée dans le vers chanté transmet au marié la propriété du «protecteur », du «donneur», du «dominant », de la «personne la plus imposante», quant à la mariée, elle est représentée par translation de sens par un verre ; donc la relation entre le mari et sa femme est à dégager de celle qui lit la théière au verre.

En concevant la relation maritale de cette façon, les chanteuses (les jouteurs) tiennent à montrer du point de vue culturel l'alliance sacrée qui unit les deux époux : le service du thé n'est possible qu'à travers cette conjugaison complémentaire entre la théière et le verre ; autrement dit, la théière est au verre ce que le mari est à sa femme.

En chantant ce vers, les femmes tiennent à montrer que la mariée n'appartient plus à sa famille mais à son mari puisque c'est lui qui a payé sa dot.
La famille de la mariée riposte à son tour pour mettre en valeur les qualités de leur fille :
ay uli-nu, mer c uggin waman
Ô, mon cœur ! si l'eau te submergeait !
ak issird ufus a bu-gas-tira
Ainsi, la main te lavera, ô le sans écriture!
Les jouteurs font du mari un objet extérieur que la mariée lavera pour effacer ce qui est gravé sur lui, qui est loin d'être une écriture (écriture sacrée, savoir, etc.) mais une saleté. La femme va être une sorte de purification pour son mari.

La famille du marié s'exalte et met elle aussi les qualités du marié :
a tislit, iga urgaz nne-m am nneânaâ
Ô la marié, ton mari est comme de la menthe !
a tislit, a wayd zziy-s ibbin yan ucettuh
Ô la mariée, si je pouvais en avoir une tige!
La menthe est une plante très aimée dans le milieu amazigh, c'est le symbole du cérémonial et de la munificence, sa couleur verte évoque la somptuosité, le faste et la magnificence, cette plante incarne le signe du bon augure, d'où la comparaison du marié à cette plante.

Arrivée à sa destination, le cortège fait le tour du ksar trois fois en répétant les formules rituelles du salut au Prophète Mahomet. Là un dernier ahidous est offert à l'honneur de la mariée.

En guise de conclusion, ô combien limitée, on pourra dire que la poésie et en particulier les chants du mariage sont tributaires de leur contexte d'énonciation ; ils traduisent le mode de vie, la culture ainsi que les différents rites et coutumes des tribus.
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