Commerce à Derb Ghallef : un cas d'école pour l'économie informelle
Le fameux Derb Ghallef fait, certes, la joie de beaucoup de commerçants qui y sont installés, mais cette aubaine se fait au détriment des secteurs organisés. Chaque jour, des centaines de citoyens, issus de toutes les couches sociales, se bousculent dans
LE MATIN
05 Juillet 2004
À 16:20
« Je suis sûr et certains que mes recettes annuelles que me procure mon magasin dépassent ce que peut gagner un vendeur au Twin Center, mais je ne vous dirai pas combien» affirme Taher, vendeur des antiquités à la joutia (l'autre surnom de Derb Ghallef), et ajoute : « ma chaâ Allah wa la haoula wa la kouat ila bi Allah », (réplique que les gens utilisent souvent pour éloigner le mauvais sort). Ce souk, dit-il, est un gisement pour les commerçants. Cet avis est également celui de plusieurs autres qui sont largement satisfaits de leurs commerces.
Pertes
Ce sentiment n'est pas du tout celui des responsables de certaines entreprises qui sont touchées directement par cette économie parallèle. C'est le cas de Tarik, responsable de comptabilité à Microsoft Maroc, qui voit d'un mauvais œil ce commerce. A en croire ces propos, les pertes subies par son entreprise sont colossales. « Malheureusement, dit-il, je n'ai pas de chiffre exact » Un logiciel windows 98 se vend moyennement à 400 DH par les vendeurs agréés, alors qu'on le trouve à seulement 10 DH à la joutia. En vendant 1.000 exemplaires par jour, ces commerçants causent une perte quotidienne de l'ordre de 390.000 DH dont le tiers est sous forme de taxes pour l' Etat via les impôts directs et indirects. Ce constat est valable pour l'ensemble des autres accessoires informatiques et électroniques.
Marouane, responsable commercial à Méditel, est confronté au même problème que Tarik puisqu'il révèle que son entreprise dépense un million de DH pour le codage des GSM alors qu'à Derb Ghallef on les décodent à 20 DH. Preuve que notre investissement est anéanti. Le total des pertes subies depuis l'implantation de la société au Maroc à cause de ce souk informel se chiffre à 4 millions de DH. Et d'ajouter que l'Etat doit intervenir pour contrecarrer cette hémorragie. Ce constat est presque le même pour l'ensemble des entreprises y compris les PME.
L'exemple avec les opticiens. A ce sujet, Younes, opticien, en veut à mort à ce marché puisque son chiffre d'affaire n'a pas cessé de baisser depuis 5 ans à cause de la concurrence illégale des montures de ce souk. Celles-ci ne sont en réalité que des imitations. Cette baisse du régime est due également à l'avènement sur le marché d'un nombre important d'opticiens. Du coup, la menace de la faillite plane sur Younes et son cabinet.
L'autre aspect du piratage récurrent à Derb Ghallef est le flashage des récepteurs numériques.
En Europe, l'accès aux chaînes câblées se fait moyennant un abonnement mensuel de 20 Euro minimum ; alors qu'au Maroc, il suffit juste de flasher son récepteur ou faire la mise à jour de sa carte TPS moyennant 20 ou 50 DH pour recevoir gratuitement tous les programmes de télévisions satellitaires. « Cette pratique prive l'Etat d'une manne importante qui va directement à la caisse des commerçants affirme avec un pincement au cœur Jaouad, ingénieur en télécommunication en France de passage au Maroc ». Ce système, dit-il, pourrait générer 5 MDH à l'Etat en plus de la création de 500 emplois s'il était mis en place.
Derb Ghallef se présente ainsi comme un cas d'école de l'économie informelle au Maroc, conclu Ali El Baz, chercheur en économie.
Bien entendu, beaucoup de gens se sont enrichis grâce à ce souk mais ils n'ont pas investi leurs gains dans des projets rentables susceptibles de créer la richesse à l'Etat. Au contraire, ils ont choisi le vieux adage marocain qui dit : « suit la fonction de ton père pour qu'ils ne te vainc pas ». Résultat, la plupart se sont procurés d'autres magasins à la même adresse augmentant par la même occasion les pertes de l'Etat. Un choix confirmé par Said, un grand vendeur de produits alimentaires, qui a ouvert 4 magasin en l'espace de 10 années. Ce dernier compte continuer sur la même voie. En cas de décès, son fils Ahmed prendra le relais.