Spécial Marche verte

Dar Dbagh de Fès : voyage dans l'univers des tanneurs

Dabbagha, Dar d'bagh, les appellations des tanneurs différent, mais le contexte est le même. R>Nous avons franchi le monde de ces mains d'or et nous avons partagé avec eux leurs moments de travail.
>Et si ces personnes s'activent à la tache c'est au

09 Juin 2004 À 16:10

Dans les petites ruelles de l'ancienne médina, qui mènent au grand chantier des tanneurs, le chemin est long. Encore quelques minutes de marche nous dira M. 14 ans guide occasionnel. Il s'est proposé de nous y emmené «mon père y travaille, je vais vous le présenter». Avant d'arriver chez les tanneurs, un arrêt s'est marqué devant un grand magasin à plusieurs niveaux. Ils y vendent des sacs, des vestes et des objets d'artisanat le tout fait en cuir, le point fort de ce magasin est que sa terrasse donne sur la grande place des tanneurs ce qui lui fait un plus car les touristes et les curieux sont attirés par la découverte de ce monde très sombre.

Du jour au lendemain on retrouve des vestes bien coupées et des manteaux en cuir et on se demande par quel miracle ils sont devenus ainsi ceci tout en sachant que les machines industrielles n'ont pas encore fait leur intrusion dans ce monde.
De la terrasse de ce grand magasin une grande vue s'offre sur l'ensemble de la grande place «il faut faire attention, ça glisse» indique Salahdine El Motakine, l'un des gérants du magasin.

Plus on y approche et plus l'odeur se fait forte. Il ne reste que quelques marches et on est face à de grands bassins aux couleurs variées au fond des jeunes hommes et des petits garçons pantalons remontés sont entrain de travailler les peaux. «il faut payer 10 dirhams droit d'entrée» indique Salahedinne. Ces dix dirhams sont en fait versés au gardien qui ne perçoit aucun salaire mis à part ce que lui donne les visiteurs qui sont toutefois très rares. L'odeur qui se dégage de cette « industrie» est trop forte, les conditions aussi n'offrent pas une belle promenade.

600 à 700 personnes travaillent dans ces tanneries ou Dar D'barah appelée il y a quelques années la maison d'or vu le prix trop élevé de cette industrie. Toutes les personnes qui y travaillent sont occasionnelles, aucune garantie ni reconnaissance au moment où toutes les conventions internationales combattent le travail en noir et où un nouveau code de travail est mis en application au Maroc, des centaines voir des milliers de personnes travaillent au ban de la société, tout effort fournis est non reconnu. Payés à la pièce, des fois le salaire mensuel n'est même pas capable de répondre aux nécessités de la vie quotidienne.

Mustapha qui doit avoir environ 13 ou 14 ans nous raconte son histoire «je n'ai pas terminer mes études. Je dois reconnaître qu'a l'époque je me disais que je n'étais pas fait pour aller à l'école. Alors, mon père m'a ramené ici. Je travaille toute la journée et ça ne ma rapporte pas beaucoup. Des fois on travaille jusqu'a 1000 peaux de moutons par jour et c'est très fatiguant.
Quelque part, je regrette ma décision mais c'est trop tard».

Mustapha ne fait pas l'unanimité dans ce grand chantier, beaucoup de petits garons travaillent avec lui. Leur âge varie entre 8 et 12 ans, leur travail se fait en noir, ils n'ont aucune garantie ni assurance tout en sachant que c'est une rude tâche qu'ils effectuent, un travail qui se répercute à long terme sur leur santé.
Pour mieux comprendre le chemin que traversent des peaux nous avons suivi leur cheminement.

Première étape, les tanneurs ramènent les peaux de moutons des abattoirs «il y a trois sortes de peaux, de mouton, chèvre et dromadaire» explique Salahedine.

La peau de mouton coûte entre 35 et 80 dirhams. Les tanneurs ont leurs réseaux dans les abattoirs soit ils font de la sous-traitance et c'est une personne qui les livrent soit ils se rendent sur place pour s'occuper eux-mêmes de cette opération. Dans ce cas là, les viandes sont vendues à part. D'ailleurs, la haute saison pour ce secteur est l'été mis à part le soleil qui est l'un des facteurs essentiels dans leur tache, pendant cette période il y a plus de mariage et de fêtes.

Une fois que ces peaux atterrissent chez les tanneurs, ils sont traités dans la partie blanche où il y a un mixage d'eau, de sel, de chaux et la fion des pigeons.

La fion des pigeons est rassemblée et vendue par des commerçants. Des fois le kilo peut atteindre 5 dhs alors qu'en temps normal il est à 3 dh ce qui fait une moyenne de 150 dh le sachet de 50 kg. «on ne peut pas s'en passer malgré le prix qui monte en flèche en hiver parce que c'est l'un des éléments fondamentaux de notre travail» explique Salahedine

La chaux facilite la levée de la laine et la fion des pigeons contient de l'acide et de l'ammoniaque et donne une souplesse à la peau ce qui facilite son traitement par la suite.

La peau reste dans les grands bacs blancs pendant 15 jours et après elles sont lavées à fond, des fois ça peut prendre même trois heures.
L'étape la plus importante est la teinture, elle se fait sur commande explique Salaheddine. La couleur la plus demandée est le rouge.

Il faut dire que dans ces cas, la mode a son mot à dire. Les peaux ne sont pas teintes au robots mais plutôt au pistolet. Ce qui relève un autre problème. Les personnes qui y sont chargées travaillent à la main, elles sont toute la journée exposées à toutes sortes de dangers. Même pas un masque pour les préserver des odeurs qui se dégagent d'une part de la teinture et d'autre part du cuir traité.
Les couleurs sont traitées à part à base de plantes et des fois d'épices.

Le rouge est obtenu à base des coquelicots. Bleu, l'indigo, le vert est à la base de la menthe sauvage rassemblée aux bords des rivières. Le marron est à la base de la takaouth, une plante très célèbre utilisée dans la médecine traditionnelle. L'orange est le dérivé du henné. Et le noir est le mélange du k'hol et des plantes.

Exception faite pour le jaune qui n'est pas traité dans les cuves mais directement sur les terrasses. Il est obtenu à partir du safran et de la peau de grenadine et donc, un prix élevé et beaucoup de moyens en comparaison avec les autres couleurs. Et ce n'est pas fini pour cette couleur, car il faut la fixer et c'est avec de l'huile de l'olive que cette opération peut s'accomplir ce qui rends encore plus difficile et plus chère son application.

Une fois que les peaux sont teintées, elles doivent sécher sur les terrasses ou à l'extérieur de la médina cela dépends du climat et des conditions de travail.
L'opération suivante est le travail de la peau. Car il faut non seulement l'adoucir mais aussi l'élargir pour en obtenir le maximum.
Et pour ce faire, une équipe est chargée de gratter la peau jusqu'à ce qu'elle obtienne le résultat souhaité.

Une fois traitées et adoucies, les peaux sont acheminées vers les usines de cuir qui se chargent de mettre en application des commandes soit des modèles qui sont des fois commercialisés au Maroc et à une plus grande échelle à l'étranger.
Dans certains cas, les usines à l'étranger préfèrent importer le cuir et se charger eux mêmes de la fabrication pour le commercialiser à leur tours.
La Suisse et la France sont l'un des plus gros clients de Dar D'baghas de Fès.

Le revers de la médaille

Laver, teindre, sécher et relaver pour obtenir à la fin des peaux qui coûtent très chers face à des salaires qui n'ont aucun rapport avec la nature du travail effectué sans oublier les risques que peuvent engendrés de telles taches.
A commencer par la chaux qui est travaillée sans aucune précaution, des enfants employées alors que leur place normale est un banc de l'école et non pas le ban de la société.

La pollution engendrée par la tannerie «il y a la rivière qui est très grande et je crois pas que ça dérange» explique Salaheddine. Oui, il y a un dérangement non seulement pour le voisinage mais pour toute une ville.
Et des industriels qui viennent prendre la plus grande part du gâteau. la coopérative est pointée du doigt par une bonne partie des employés. «Il y a beaucoup de commandes qui nous sont adressées mais c'est la coopérative qui les emportent».

Il est clair que chaque groupe de tanneurs a son «cachet» avec lequel il se présente dans le souk pour la vente aux enchères entre industriels mais ce sont toujours selon l'un des ouvrier «les grosses têtes qui gagnent».
Le marché des tanneurs de Fès offrent deux images controversées. L'une relevant le caractère traditionnel d'une ville qui a toujours émue et attirée plus d'une personne. Cette même ville qui regorge d'artisans qui détiennent le secret de leurs métiers. Un métier où le mot d'ordre est savoir faire et finesse. Cette belle image est faussée par la spéculation et des industriels qui ont fait une entrée en force dans tous les domaines en l'occurrence chez les tanneurs et ont détenu le monopole faisant ainsi travailler des personnes en toute illégalité.
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