L'humain au centre de l'action future

«De chair et de sens» de Jean-Jacques Gérard et Bertrand Bergier : chute et rédemption

De chair et de sens est un livre terrible. C’est le témoignage d’un homme dont le fils, âgé de 9 ans a été violé puis sauvagement assassiné. Jean-Jacques Gérard, qui vit actuellement au Maroc où il anime un centre de prévention des comportemen

18 Mars 2004 À 20:25

Une initiation salutaire.
Il y a des livres qu’on hésite à ouvrir, non en raison de leur manque d’intérêt pour nous, mais de peur qu’il remue les terribles angoisses qui sont enfouies au tréfonds de nous-même ; la crainte d’être poussé aux limites de l’insoutenable, celui au-delà duquel on bascule dans le précipice du non sens et de la folie. « De chair et de sens » de Jean-Jacques Gérard est de ceux-là. Terriblement éprouvant et cependant terriblement irrésistible, une fois qu’on s’y est plongé.

Tout comme son titre le laisse entendre, il s’agit d’une expérience des plus douloureuse, vécue par l’auteur au plus profond de sa chair, qui bouleverse le cours normal de sa vie et le plonge dans les abîmes du désespoir et de la dépression avant de se transformer en une sorte de grâce qui guide le supplicié dans sa quête tortueuse mais non moins salutaire de sens.
C’est ce chemin de croix et de rédemption dont Jean-jacques Gérard fait le récit dans ce livre bouleversant écrit avec la collaboration du sociologue Bertrand Bergier.
« Je me sens de plus en plus pacifié, écrit-il à la fin du livre, en contact avec mon trait d’union, celui entre Jean et Jacques. Ça circule mieux entre mon cœur et mon esprit, entre ce que je ressens et mes pensées. C’est comme une nouvelle alliance, je peux désormais me retrouver avec moi-même, me recueillir au sens le plus fort. Je suis passé de la survivance à la vie ».
En effet, toute la vie de Jean-Jacques Gérard n’a été, depuis l’âge de quatre ans, que survivance. Survivance à la maltraitance d’une mère indigne, qui lui lacère le dos, pour un oui pour un non, avec un martinet, l’enferme dans le cabanon ou pis encore, lui verse de l’eau froide sur le corps, en plein hiver.

Survivance à la misère et à la violence dans ces « cités d’urgence » en banlieue parisienne d’après guerre, où il fallait apprendre à jouer des poings et de la langue pour se faire sa petite place dans la jungle de la rue. « Je suis battu et rebattu, mais je ne comprend pas (…) C’est quoi le mal ? D’être battu, ça me fait rentré dans un monde bizarre : petit à petit, je suis vraiment comme un mauvais ». C’est sans doute ce sentiment de culpabilité, de désordre de sens qui balisera le chemin du petit Jean-Jacques vers la délinquance.

Cela commence par des bagarres entre adolescents, puis l’abandon de l’école avant de se terminer dans l’enfer de la drogue et le vol. A 14 ans il est déjà complice dans une histoire de hold-up, dans un bureau de poste. Heureusement pour lui, contrairement à ses copains, il réussit à s’extirper d’un tel milieu, en commençant à suivre des cours de formation avant de décrocher un poste de cadre commercial dans une entreprise.

Désormais sa vie de misère est derrière lui, il peut rouler des mécaniques, s’offrir la maison de ses rêves et trouver l’âme sœur qui lui donnera deux enfants François et Samuel.

Jusque là, son histoire, malgré les soubresauts, aura été banale n’eut été cet événement tragique qui vient le secouer et faire basculer sa vie dans l’horreur : Son fils aîné, François, âgé de 9 ans est trouvé mort sans une clairière. Son assassin, un jeune homme de 18 ans, l’ayant sauvagement battu avant de le violer. La nouvelle lui fait l’effet d’un coup de massue. Le père est effondré, sombrant dans une obscure dépression. Ironie du sort, il s’apprêtait à ouvrir, en collaboration avec sa sœur, une psychothérapeute, un centre d’accueil pour adolescents en difficulté. Il avait même suivi une formation en la matière. Et voilà que l’un de ces adolescents assassine son fils. Le comble de l’ignominie, c’est qu’au bout d’un long et pénible procès l’assassin est déclaré innocent pour…vice de forme.

Rétablir la justice est désormais devenue l’unique raison d’être de J.J Gérard. Il y en a, peut-être, une autre : comprendre comment un assassin se «fabrique » « comment on en vient là ». « Je le dis comme ça aujourd’hui, j’étais fait du même bois dont ont fait des assassins, pas forcément des assassins d’enfant, mais des assassins tout de même. Je prends conscience que sa problématique ressemble à la mienne à 18 ans ! L’envie de tuer, j’ai connu ».
Une démarche qui s’avère salutaire pour lui. Son désir de comprendre, de remonter à la source du comportement criminel le conduit par des chemins de traverses, vers la rencontre avec lui-même : « Il aurait fallu que j’aille dans les méandres personnels pour comprendre comment ça se fabrique ».
C’est cette quête de l’autre en soi même qui donne du sens à la vie de Gérard, lui fait prendre goût une nouvelle fois à la vie, alors qu’il s’en voulait jusque là de continuer à vivre.

Mieux, Jean-Jacques Gérard trouve dans son malheur les ressorts pour faire aboutir son projet de centre d’accueil pour adolescents en difficulté. Il en reçoit des dizaines avec lesquels il va mener un travail de thérapie. Il va également sillonner la France pour soutenir les familles qui ont eu à affronter le même drame que le sien.

Jean-Jacques Gérard a finit par élire domicile au Maroc, notamment à Asni, où il s’occupe d’un petit centre d’hébergement et de thérapie. Il est également l’initiateur d’un projet d’association pour la prévention des comportement violents et des récidives baptisé « Soldats de la Paix».
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