Spécial Marche verte

De la Quaraouiyine à la Mosquée Hassan II : La foi inscrite dans la pierre

La première mosquée de l'Islam a été la propre demeure du Prophète, à Médine. Plus précisément, c'était l'abri que le Prophète avait fait établir le long d'un des côtés de la cour, grâce à un simple toit de branchages et de terre, soutenu par des troncs d

23 Octobre 2004 À 14:59

Mais les hommes et les peuples qui embrassèrent la nouvelle religion allaient, au fil des siècles, rivaliser d'ardeur et d'imagination pour porter ce schéma et ce noyau matriciel de la mosquée, aux plus hauts degrés de l'art et de la beauté.

Quel a été l'apport du Maroc à cette magnifique aventure de la fois s'inscrivant dans la pierre ?
Et si nous commençions l'histoire de cet apport marocain, en la plaçant sous le signe du don ?
Le don d'une grande dame nommée Oum Al Banine Fatima al Fihriya. Lorsque son père, un émigré kairouanais, meurt, cette femme de grande piété décida de consacrer l'immense fortune qu'elle héritait à l'édification d'une " maison de Dieu ”.
Ce sera la Quaraouiyine, dont les premiers travaux d'édification commencèrent en 859, sous le règne des Idrissides.
La Quaraouiyine d'aujourd'hui est le fruit d'une œuvre ininterrompue d'édification et de réédification, de sauvegarde et d'embellissement. Après l'érection d'un beau minaret et un agrandissement important de l'édifice sous les Zénètes, c'est sous les Almoravides, au faîte de leur ascension, que la Qaraouiyine va enregistrer sa refonte architectonique la plus importante. Elle sera dotée par là même, d'une œuvre ornementale prestigieuse, où l'art andalou- maghrébin allait s'exprimer au plus haut de son apogée.

Sur le plan socioculturel, dès le Xème siècle, la Quaraouiyine avait commencé à s'affirmer comme un centre d'enseignement, comme un élément dynamique par lequel l'espace social pouvait trouver, dans la conscience musulmane qui se l'appropriait, sa signification et sa prégnance.

Au XII siècle, toute une série de noms parmi les plus grands, vont être associés d'une manière ou d'une autre à la Quaraouiyine : les grands précurseurs du taçawwouf, tels Ben Mchich, les philosophes Ibn Baja et Ibn Rochd, pour ne citer que ceux-là. Fès allait devenir, selon l'expression de J. Berque, " un centre initiatique ”, grâce à la Quaraouiyine qui se présentait alors comme la première université du monde musulman.

En outre, avec la création des médersas, elle allait être dotée d'une structuration des plus élaborées de l'institution d'enseignement en Islam.
Si les Almoravides apportèrent une contribution décisive à la refonte de la Quaraouiyine, il faut signaler qu'ils s'avérèrent aussi de grands bâtisseurs de mosquées dans l'empire qu'ils contrôlaient.
A elle seule, l'Algérie leur en doit trois : la mosquée d'Alger, bâtie vers 1096, celle de Nedroma et celle de Tlemcen.

La salle de prière de cette dernière, construite vers 1082, allait recevoir en 1136 des embellissements révélant l'influence de l'Andalousie.
C'est à l'imitation de la grande mosquée de Cordoue en effet, que celle de Tlemcen doit le somptueux cadre de son mihrâb et la coupole sur nervures qui le précède.

Tout aussi grands bâtisseurs que les Almoravides, allaient se révéler leurs successeurs, les Almohades.
Des nombreux édifices religieux que bâtirent les souverains de cette dynastie, cinq mosquées seulement nous sont actuellement connues.
Les deux principales datent de Abdel El Moumen (1130-1163), la mosquée de Tinmall et la Koutoubia. Les trois autres mosquées furent construites par Abou Yaccoub Youssouf (1163-1184) et Yacoub El Mansour (1184-1198).
Les règnes de ces deux souverains, celui du second surtout, voient l'apogée de la puissance almohade.

La mosquée Hassan, que Yacoub Al Mansour bâtit à Rabat, était plus spacieuse encore que la grande mosquée de Séville, mais ne fut jamais terminée. L'architecture et le décor du minaret de la Koutoubia (terminé en 1196), ceux de la Tour Hassan et de la Giralda, diffèrent par les matériaux employés.
L'élégant minaret de la Koutoubia est en moellons, la robuste Tour Hassan en pierre de taille et la Giralda doit à la brique la grâce de sa parure. L'ordonnance générale et les dispositions intérieures sont les mêmes.
Les éléments du décor étaient également fixés, mais ils prêtaient à une variété de composition qui créait la personnalité de l'édifice.

Enfin, n'omettons pas de signaler, outre les mosquées, ces œuvres caractéristiques de l'art almohade : les portes monumentales (à Rabat par exemple, Bab Rouah et la porte des Oudaïas), à la fois œuvre de défense et symboles de majesté du souverain.
Dans la première moitié du XIIIème siècle, le grand empire maghrébo-andalou des Almohades éclatait en quatre Etats : Nasrides à Grenade, Hafcides à Tunis, Zayyanides à Tlemecen et Mérinides à Fès. Sous ces derniers,
les mosquées se caractériseront par une ordonnance plus simple et des dimensions plus réduites que celles des mosquées almohades.

En outre, la cour carrée est un trait commun des mosquées de cette époque.
Parmi les mosquées édifiées par les Mérinides dans l'Algérie actuelle, citons : la grande mosquée de Mansoura (1336), ville bâtie par les Mérinides aux portes de Tlemcen. Les deux mosquées élevées dans la banlieue de cette dernière ville, celle de Sidi l'Haloui, et la mosquée d'Al-Oubbad, jointe au tombeau du grand soufi Abou Madyane.
A Fès, à l'exception de Jama' Al Hamra, qui présente avec les mosquées de Tlemcen précitées les plus frappantes analogies, les mosquées de la capitale des Mérinides appartiennent à un tout autre type, apparemment très ancien. Les nefs de la prière sont orientées, non plus perpendiculairement au mur du fond, mais parallèlement à ce mur.

Telles sont la petite mosquée Ez-Zhar, la mosquée Chrabliyin, dans Fès Jdid, la mosquée d'Abou l'Hassan (1341) dans la petite Tal'a.
Mais c'est dans la création de multiples médersas, que les Mérinides allaient enrichir l'art architectural marocain. Les dispositions de ces médresas ne sont pas sans analogies avec celles des ribâts : la cour, au centre occupé par un bassin, est généralement encadrée par des galeries sur lesquelles s'ouvrent des cellules ; sur un des côtés, s'étend la façade d'une grande salle pourvue d'un mihrâb, à la fois salle de cours et oratoire collectif.

Les Mérinides édifièrent de nombreuses médersas dans les villes importantes de leur empire : Fès, Salé, Meknès, Taza, Tlemcen, et même à Alger. Leur capitale fut naturellement la plus généreusement dotée. Les médersas d'Es-Sahrij et d'El Attatine sont au nombre des œuvres les plus parfaites qu'ait créées l'art musulman.
De même que la médersa Bou Inâniya, la plus monumentale, mosquée en même temps que collège, pourvue d'un minaret et d'une chaire à prêcher, et qui, avec ses deux salles à coupoles occupant les milieux des côtés de sa vaste cour, évoque les médresas à iwans de Syrie et d'Egypte.

De l'époque mérinide, il faut signaler aussi la fondation de Chellah, qui, avant de devenir nécropole royale, avait joué le rôle de zaouia et de ribat à la fois .
L'hégémonie des Turcs Ottomans, qui allait couvrir tout le domaine méditerranéen de l'Islam, s'attêtera vers l'Ouest à la Moulouya. L'art marocain restera fidèle à ses techniques et ses formules.

Un art marocain spécifique grâce à une indépendance sauvegardée
Sous Ahmed Al Mansour, dans le dernier quart du XVIème siècle, on assiste à une reprise de l'activité architecturale, dont Marrakech bénéficiera en premier.
Déjà, un prédécesseur d'Al Mansour, Moulay Abdellah (1557-1574), y avait fondé la médersa Ben Youssef, de plan classique et de proportions majestueuses ; la mère du même Al Mansour y avait fait bâtir en 1557, la mosquée de Bab Doukkala, ou se décèle l'influence de la tradition almohade locale. A Al Mansour, ce Souverain opulent surnommé Addahbi, Marrakech doit le fameux palais du Badï, dont la construction nécessita qui ze ans de travaux.

Cependant, l'ensemble architectural saâdien le plus notable et le plus connu, est leur nécropole. Tout voisin de la mosquée almohade de la Kasbah, ce cimetière royal contient deux mausolées élevés, l'un vers 1557, l'autre vers 1603. Le premier est du type traditionnel des qoubbas maghrébines.
Le second, d'un plan plus compliqué, comprend trois salles, celle du centre contenant la sépullture d'Al Mansour. Avant de passer à l'époque Alaouite, il faut signaler que l'arrivée au Maroc des Morisques, expulsés d'Espagne par Philippe III, en 1610, allait profiter à une ville comme Rabat, dont l'architecture de plusieurs maisons accuse encore aujourd'hui cette empreinte.

Avec Moulay Ismaïl l'Alaouite (1672-1727), c'est la ville de Meknès qui va être promue au rang de capitale. Dans un quartier s'étendant au Sud-Est, et vaste comme la ville même, Moulay Imaïl donnera libre cours à toute sa passion de bâtisseur : constructions aux murs énormes, casernes de la garde noire, enclos, écuries, magasins entrecoupés de plantations et de bassins entrecoupés de plantations et de bassins.

Le goût de la grandeur qui inspirait ce Souverain marocain, va se retrouver dans les fondations de ses successeurs, dans la mosquée de Meknès dite Jama'Roua, œuvre de son petit-fils Mohamed Ben Abdallah (1757-1789).
Il se révèla aussi dans les portes dont fut dotée la capitale. La plus monumentale est Bab Mansour El-Alj, avec son cadre incrusté de faïence et ses deux tours flanquantes posées sur deux loggias à colonnes. Face à la nouvelle capitale, Fès gardait tout son prestige religieux.

En 1670, Moulay Rachid y entreprit la construction de la médersa Cherratine, qui se distingue de ses aînées par l'importance des logements affectés aux étudiants : trois ou quatre étages de cellules. En 1822, Moulay Abderrahmane manifestait sa vénération pour le fondateur de la ville en rebâtissant le sanctuaire de Moulay Idriss. Un gage pour l'avenir Pour clore ce tour d'horizon ?
L'aventure de l'inscription de la foi dans la pierre au Maroc, dont nous avons esquissé un si bref survol historique, retiendra pour ce XXè siècle finissant cette date capitale : le 30 août 1993. Ce jour-là en effet, S.M. Hassan II inaugurait à Casablanca la Mosquée qui restera liée à Son nom. Que dire encore de cette œuvre culturelle et civilisationnelle majeure ?

" …les gypsoplastes savent encore sculpter le struc appliqué en revêtement sur la maçonnerie ; les menuisers connaissant encore l'art de tailler des prismes de bois qui composent les stalactites ; les marqueteurs restent d'une habileté étonnante pour découper à la martelette dans la terre émaillée les éléments des zellige… ”.
Grâce à la Mosquée Hassan II, un savoir-faire ancestral, celui des artisans, des m'allems marocains, a eu l'occasion de d'affirmer pleinement, de s'enrichir.

Ces artisans dessinèrent en effet pas moins de quatre-vingts nouveaux motifs de zellige, élaborèrent un nouveau rouge qu'ils baptisèrent : " Rouge de Casablanca ”, conçurent une nouvelle architecture de coupole à laquelle ils donnèrent le nom de " Qoubba Hassania”. C'est là le meilleur gage pour l'avenir, au Maroc, d'un art islamique millénaire mais qui sait s'incorporer et intégrer les acquis de pointe de la science et de la technologie de son temps.
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