LE MATIN
14 Août 2004
À 16:28
Sa fille Lamia que nous avons eu la chance de rencontrer au lendemain de la cérémonie des funérailles témoigne : «Ma mère a vraiment eu la chance de vivre et de mourir au Maroc, parce que parmi tous les pays arabes, le Maroc est le seul pays qui a su sauvegarder son authenticité et notre réel patrimoine culturel arabo-andalou.
Pour elle, le Maroc était un paradis architectural». Son parcours artistique était à la fois riche en création calligraphique et en lutte pour la réhabilitation de la poésie féminine arabe. Son choix poétique n'était pas fortuit.
Il émanait d'une grande profondeur. Elle a à la fois incarné et transcendé les grandes œuvres culturelles arabes. Lamia souligne qu'«une femme calligraphe est un peu rare dans le monde rare. Cette touche féminine dans cet
art est très importante.
Pour moi, la défunte était assez avant-gardiste dans le domaine de la calligraphie, en cherchant souvent à mettre en scène les grands poètes arabes et surtout la poésie féminine arabe». Elle ajoute : « ma mère a surtout souffert de l'appréhension.
C'était très dure pour elle de supporter et de contrecarrer la maladie de mon père. Chaque hospitalisation de mon père était une dépression pour elle».
C'est en 1976 que l'artiste a entamé une étude sur les différents types de la calligraphie arabe koufie et une recherche sur l'histoire de la calligraphie arabo-musulmane.
Elle s'est spécialisée dans le
design de la joaillerie musulmane depuis l'année 1977 jusqu' à 1981, date à laquelle, elle intégra l'Institut d'enseignement de calligraphie arabo-mulmane au Centre culturel irakien à
Paris. Elle y étudia le koufi simple avec le grand calligraphe Dr. Abdelghani El Ani, très célèbre pour ses œuvres pleines de force.
Yassar Nehme Safieddine compte à son actif de nombreuses expositions collectives et participations aux festivals sur la calligraphie arabo-musulmane à Rabat, Casablanca et Marrakech, ainsi que des expositions individuelles et conférences à Abidjan (Côte d'Ivoire), Anvers (Belgique), Beyrouth (Liban)… Deux de ses cartes sont sélectionnées par l'UNICEF. Elles seront rééditées deux fois en 1993 et en 1997. Ses œuvres expriment cette calligraphie qui appartient à la nature, tout en mettant en scène de grands poètes arabes.
C'est une femme qui a su donner une forme à la poésie arabe. Nabil, fils aîné de la défunte, tient à préciser: «Ma mère a toujours eu des sensibilités artistiques depuis notre jeune âge. C'est une femme trop passionnée et il n'y a pas de compromis dans sa passion. Elle était très influencée par les grands calligraphes arabo-musulmans. En 1978, elle avait commencé à Abidjan à réaliser ses premières œuvres sur l'ivoire et l'or rouge. Mais, c'est le Maroc qu'elle a choisi pour s'y installer définitivement. Le Maroc offre la possibilité de rencontres avec des milieux hautement cultivés, que ce soient des Marocains ou des étrangers. De là, elle a créé la troisième dimension de la calligraphie arabe». Pour le mari de Lamia, Dominique Delapierre, « la disparition de ma belle-mère est une grande perte pour la famille.
C'est une grande dame qu'on vient de perdre subitement».
Passionnée de poésie, Yassar s'était éprise des versifications du grand poète perse Omar El Khayyam autour duquel elle réalisa un portfolio appelé «Chants de rubis». Il se compose de huit planches lithographiées. Chaque planche représente un quartain d'El Khayyam.
Après l'œuvre réalisée sur Omar El Khayyam, Yassar Nehme Safieddine comptait créer un autre portfolio autour du poète libanais Jabrane Khalil Jabrane.
Pour rendre hommage et pérenniser l'œuvre de Yassar, son mari et ses cinq enfants envisagent d'écrire un ouvrage biographique.