Dites-nous Didier Quef, responsable de l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Lyon : l’école est l’unique terreau de formation d’une société citoyenne
Didier Quef, le responsable de l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Lyon est en visite à Rabat. Il a rencontré la directrice de L’Académie régionale de l’Education et de la Formation de Rabat-Salé-Zemmour-Zaër. L’ob
LE MATIN
21 Juin 2004
À 15:43
Dans quel cadre entre votre visite à Rabat ?
Ma visite entre dans le cadre de la politique du Centre culturel français et d’Espace Bleu sous le pilotage de Jean Marc Margiante. L’objectif est d’établir un rapprochement entre nos pratiques de formations des enseignants et celles du Centre de Formation des Instituteurs (CFI) et Centre Pédagogique Régional (CPR) de Rabat. On a rencontré la directrice de l’Académie régionale de l’Education et de la Formation, les coordonnateurs des corps d’inspection ainsi que les formateurs du CFI et du CPR. Ma mission consistait à découvrir un système éducatif que je ne connaissais que de réputation, découvrir des collègues qui font le même travail que je fais en France, des collègues qui s’investissent, qui sont prêts à collaborer et à produire un partenariat qui pourrait toucher à plusieurs champs.
D’abord, la recherche pédagogique. On peut travailler ensemble sur des questions qui nous préoccupent en commun. En France, par exemple, nous attendons de la part de nos collègues un soutien sur la problématique du Français langue étrangère ou du Français langue seconde. Nous avons en effet un peu de mal à former des enseignants en France à cette problématique-là. La recherche que vous conduisez ici ou que nous conduisons à Lyon sous la direction de M. Meirieu qui est un auteur très connu pour ses écrits sur les sciences de l’éducation, nous intéresse. Donc partenariat autour de la recherche et éventuellement autour de la formation des formateurs, car pour pouvoir former des enseignants, il faut être soi-même en formation continue et permanente.
Et puis troisième élément, assez central à mon sens, il semblerait que l’intention de la directrice de l’Académie régionale et des deux directeurs du CPR et du CFI soit de développer la formation continue au sein de leurs établissements respectifs, et là nous avons une expérience que nous pouvons mutualiser.
Un partenariat suppose un apport réciproque. Comment l’Académie régionale peut-elle vous aider ?
Je ne sais pas s’il s’agit d’une relation d’aide. Notre conception et celle des collègues que j’ai rencontré, c’est partager un système de valeurs par rapport à un projet éducatif. Travailler ensemble plus que de s’aider mutuellement. L’idée, c’est de réfléchir et d’établir ensemble des plans de formations qui permettent de diminuer les effets de rupture du système éducatif, des plans qui permettent de mesurer l’impact des formations des enseignants sur les apprentissages scolaires des élèves et qui permettent également de mesurer l’impact de nos pratiques en formation continue sur la transformation des pratiques enseignantes. J’ai rencontré deux équipes de collègues qui ont des compétences, des savoir-faire que nous n’avons pas, qui- d’une manière ou d’une autre- nous laisse un espoir de pouvoir travailler ensemble.
Vous avez parlé de valeurs communes. Cela veut dire quoi concrètement ?
Cela veut dire que nous pensons ensemble que former des enseignants n’est pas une science exacte. Il n’y a pas de bonnes pratiques pédagogiques en classe, par contre il y a le fait de conduire les enseignants à faire des choix conscients et lucides. Ça, c’est un système de valeurs, on est dans la même logique de respect de l’autre, du respect des domaines de compétences des uns et des autres. Et aussi du respect du droit à l’erreur. On peut faire des choix sur lesquels on reviendrait par la suite. Faire de la recherche pédagogique, c’est aussi pouvoir démontrer qu’on s’est trompé à un moment donné.
Voilà, ce que j’entends par système de valeurs partagées. Il ne s’agit pas de dire tout simplement tout va bien dans le meilleur des mondes. Il s’agit surtout d’être honnête, et de reconnaître que former des enseignants, contient aussi une part d’incertitude.
Au Maroc, il y a tout un débat sur la mission que doit remplir l’école dans la lutte contre l’intolérance ? penser vous que l’école a un rôle à jouer dans ce sens ?
Alors ça, j’en suis radicalement convaincu. Pour moi, l’école est un outil au service d’un projet de société. Si, à l’école, on ne développe pas les valeurs du respect mutuel, de la tolérance, on ne peut pas s’attendre à ce que les futurs adultes que nous formons exercent en tant qu’adultes un projet citoyen. En France, On est très attaché à ce que l’école remplisse d’abord cette mission qui est la formation des enfants, non pas à une doctrine de la tolérance, mais à une imprégnation du respect des autres. L’école est un lieu de société dans lequel les enfants et les adolescents apprennent à vivre ensemble, comprennent que l’autre est différent, que l’autre se fait, peut-être, des représentations différentes du Monde et qui ne sont ni meilleures ni mondaines et qui sont à partager.
Bien entendu, l’école est de ce point de vue-là, l’unique terreau de formation d’une société citoyenne.
Existe-t-il d’après vous des recettes pour faire de l’école ce terreau de la société citoyenne ?
Il faut agir sur les enseignants. En exigeant d’eux, par un contrat clair lors du recrutement ou de la formation initiale ou continue, qu’ils occupent eux-même une posture citoyenne. On ne peut pas demander à l’apprenant de devenir citoyen si les adultes autour de lui ne se comportent pas en tant que tel.
Deuxième chose, Il faudrait donner la parole à l’enfant, en lui laissant la possibilité de se faire reconnaître en tant que ce qu’il est et non pas en tant que ce que l’on veut qu’il soit.
Troisième chose, l’honnêteté de la relation. Cela veut dire que chaque enfant quel qu’il soit, quelle que soit sa couleur de peau, sa langue, sa capacité d’apprentissage, doit être traité par le monde adulte enseignant de la même façon, avec les mêmes droits. C’est fondamental.
Que répondriez-vous à ceux qui disent que l’échec du système scolaire marocain est dû au fait qu’il a été calqué sur le système français ?
Je pense que de la même façon qu’on ne peut enseigner le français à l’école en tant que langue seconde sans centrer cet enseignement dans la culture de la langue d’origine, de la même façon, on ne peut pas enseigner l’Arabe dans les collèges français, sans centrer cet enseignement dans la culture des pays arabophones. De la même façon également, calquer un système éducatif d’une culture qui est autre et venant d’un espace qui est différent, c’est-à-dire procéder par reproduction, est toujours une fausse piste en matière d’ingénierie.
Concernant la première partie de votre question-votre assertion plutôt, l’échec du système scolaire marocain, je ne le connais pas, c’est vous qui le dites. Si échec il y a, peut-être est-il dû, en partie à la reproduction d’un système, sans acculturation de ce modèle, c’est-à-dire sans imprégnation dans la culture marocaine et arabophone d’un système éducatif qui n’avait pas été créé dans cette culture.