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Drame : La couleur du mensonge (The Human Stain) de Robert Benton : chacun sa tache

Dans La Tache, roman enfiévré contre le puritanisme américain à l’heure de l’affaire Lewinski, l’écrivain Philip Roth tire à vue sur le politiquement correct et ausculte les conséquences du mensonge dans la vie d’un homme. En lR

07 Février 2004 À 19:26

La tache «est en chacun, inhérente, à demeure, définitoire, elle qui préexiste à la désobéissance, qui englobe la désobéissance, défie toute explication, toute compréhension. C'est pourquoi laver cette souillure n'est qu'une plaisanterie de barbare et le fantasme de pureté terrifiant » écrit le romancier Philip Roth dans La Tache dont La Couleur du mensonge est tiré. Comment vivre avec ses souillures ? C’est ce que le réalisateur Robert Benton semble avoir retenu de ce roman plusieurs fois primé en 2002.

Soit Coleman (Anthony Hopkins), un brillant professeur de lettres classiques qui se voit accusé de racisme dans son université du Massachussets et perd son poste et sa femme dans la foulée. Passé prématurément dans l’ère de la retraite et du veuvage, il achève de soigner le mensonge qui a marqué toute sa vie en s’autorisant une aventure amoureuse pleine de fougue et de scandale. Sa sensuelle conquête, Faunia (Nicole Kidman), femme de ménage, vachère, et prétendument illettrée est de trente ans sa cadette. En outre, meurtrie par une succession de drames, elle est poursuivie par son ex-mari (Ed Harris) dangereux vétéran du Vietnam atteint de psychose post-traumatique. Causes et conséquences des souillures de chacun, c’est Nathan (Gary Sinise), écrivain reclus au bord d’un lac pour cause de croyances perdues, qui, par amitié pour Coleman, se charge de remonter les pistes.

Robert Benton hésite entre le portrait peu banal de Coleman, homme vieillissant marqué au fer rouge par un quiproquo ethnique, et la galerie de portraits qui servirait le propos principal. Vieux jours d’un homme vivant son dernier amour et rebonds des écorchés qui l’entourent, le réalisateur se perd en plans trop serrés.

Plans trop serrés

Après Pastorale américaine, qui brossait l’explosion contestataire des années Nixon et J'ai épousé un communiste, qui radiographiait la peur du rouge sous Eisenhower, Philip Roth, un des plus grands et plus misanthropes écrivains américains contemporains, bouclait avec La Tache une trilogie sur l’identité américaine. Roman charge contre le puritanisme à l’heure où l’affaire Monica Lewinski faisait ployer le président Clinton, le romancier s’y attaquait rageusement aux désastres engendrés par le politiquement correct.

Il reste peu de traces de l’esprit frondeur de Philip Roth dans La Couleur du mensonge. Pas de double fond sur la société américaine « autoritaire et coercitive » de l’après chute du communisme et de l’avant Ben Laden. Des personnages outragés mais pas vraiment outrageants. Robert Benton parvient à retranscrire la lutte identitaire d’un individu contre sa communauté dans l’Amérique d’après guerre.
Mais le puritanisme, l’affaire Lewinski et les crevasses laissées par la guerre du Vietnam font figure d’illustrations, maintenant ou brouillant la chronologie. Plutôt que de s’attaquer au chapitre de la satire de la société américaine, le réalisateur a préféré s’en tenir aux destins individuels entrelacés. Avec une narration ultra classique en flash back, il évacue le suspens entretenu par le romancier. Et il troque le ton énergique et plein d’humour caractéristique de Philip Roth contre une mélancolie légèrement amère.

Reste un drame carré mais un peu statique, très bien servi au demeurant par Anthony Hopkins et Gary Sinise (Nicole Kidman manifestant plus de sensualité que de crédibilité). Mais que de conventions pour une fresque dénonçant le politiquement correct !

Film américain de Robert Benton avec Anthony Hopkins, Nicole Kidman, Gary Sinise, Ed Harris.
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