Spécial Marche verte

Driss Abbadi, juriste, expert en environnement-gestion des déchets et professeur à l'Université Hassan II de Mohammedia : «Il est urgent de mettre en place une stratégie nationale de traitement des déchets»

Avec la croissance démographique, la production des ordures augmente et porte un préjudice pour l'environnement. Entretien avec Driss Abbadi, juriste, professeur à l'Université Hassan II de Mohammedia et président du Centre marocain de la gouvernance.

20 Novembre 2004 À 19:49

Le Maroc a signé des conventions internationales en matière de protection de l'environnement, pourtant il ne semble pas que celles-ci fonctionnent quant à la gestion des déchets solides. Pourquoi ?

Il est vrai en effet que le Maroc a été parmi les premiers pays en développement à signer des conventions internationales en matière de protection de l'environnement et a été très actif dans les manifestations internationales : Sommet de Rio et celui de Johanesbourg.

En plus des traités internationaux, il s'est, très tôt, doté d'une réglementation pour la protection de l'environnement. Concernant la gestion des déchets, au Maroc, le cadre juridique et réglementaire existe depuis le début du Protectorat.
Pour répondre à votre question sur la non-application de ces lois, il faut dire d'abord que ces textes demeurent inconnus en amont et en aval de leur approbation.

Avant leur adoption, ces textes ne sont pas soumis à la discussion et au débat public. De même que la sensibilisation à cette réglementation demeure absente sinon rudimentaire. Sur le plan qualitatif, cet arsenal juridique demeure insuffisant car la gestion des déchets pose le problème du dépôt des déchets et du site d'accueil, c'est-à-dire ce qu'on appelle les décharges publiques.

Le problème avec ces décharges qui entourent toutes les villes marocaines, est que, vu que ces cités urbaines se développent avec la croissance démographique, la production de déchets augmente également, ces décharges deviennent incapables d'accueillir cette production croissante de déchets et pose de graves problèmes pour l'environnement et la santé des habitants.

Pour pallier ce problème, les autorités locales ferment les anciennes décharges et en ouvrent de nouvelles à proximité ou pas très loin. Or il s'agit d'un cercle vicieux, car si on continue dans cette lancée, nos villes seront entourées de décharges publiques.

Pour remédier à cet état de chose, il est urgent de mettre en place une stratégie nationale de traitement des déchets. Sur le plan juridique, il n'existe pas au Maroc un cadre juridique, réglementaire et institutionnel spécifique au traitement des déchets solides, il n'existe que la réglementation relative à la gestion des déchets.

D'autre part, un projet de loi relative à la gestion des déchets solides et leur élimination. Ce projet est en cours de promulgation qui a été élaboré depuis plus de cinq ans par le département ministériel chargé de l'environnement. Actuellement, ce projet (n°28-00) se trouve au Secrétariat général du gouvernement pour étude avant son adoption par le Conseil des ministres et son vote par le Parlement.

L'une des finalités majeures de ce projet de loi est de jeter les bases d'une politique «déchets» qui s'articule autour d'un double objectif : moderniser les processus de gestion en vigueur dans le secteur et réduire autant que possible les impacts négatifs des déchets sur la santé et l'environnement. Ce texte prévoit la mise en place de décharges autorisées, contrôlées et l'élaboration de plan de gestion des déchets ménagers, inertes, industriels, dangereux et hospitaliers, ainsi qu'un système de financement de toutes les opérations se rapportant aux ordures ménagères.

Concernant les déchets hospitaliers, le projet de loi prévoit que les centres hospitaliers universitaires, les dispensaires et cabinets médicaux doivent incinérer ou faire incinérer leurs déchets. L'ouverture, fermeture, transfert, modification substantielle de traitement, valorisation, élimination ou stockage de déchets ne peuvent se faire sans l'autorisation de l'autorité gouvernementale chargée de l'environnement, autorisation soumise à une étude d'impact environnemental.

Le projet de loi fixe également les conditions d'aménagement des installations de valorisation, de traitement, de stockage et d'élimination des déchets : les sites de décharges existants doivent notamment être réhabilités selon les conditions et les délais fixés par la législation en vigueur.

Ce n'est pas le cadre juridique qui fait défaut et qui est à la source des dysfonctionnements. Il ne fait pas de doute que celui-ci a besoin d'être adapté et aller plus loin dans les sanctions contre les contrevenants. Car il faut dire aussi que seule une politique répressive dans ce domaine peut éduquer les citadins à la citoyenneté. A mon avis, il s'agit surtout d'une question de culture.

Car les textes sont là, les institutions sont là, mais le citoyen fait défaut. L'exemple le plus édifiant est celui de la lettre envoyée par feu S.M le Roi Hassan II au ministre de l'Intérieur dans laquelle le regretté Souverain incite les autorités locales à faire davantage d'efforts pour la propreté des villes, et le message n'était pas seulement adressé aux autorités qui gèrent les villes mais également aux habitants source de ces incivilités.

Aujourd'hui, la gestion des déchets ne peut être envisagée que de manière participative avec une large implication des élus, des citoyens et de la société civile.

La gestion des déchets solides incombe aux communes, or celles-ci ont été incapables d'assurer cette tâche avec efficacité. Dans cette situation, que prévoit la loi ?

La mission des communes en matière de déchets est assez générale. Dans ce domaine, les communes sont responsables de l'hygiène environnementale, la prévention des épidémies et la propreté qui consiste en le ramassage, le transport et le traitement des déchets.

Le conseil communal veille à la préservation de l'hygiène, de la salubrité et de la protection de l'environnement. En effet, le conseil communal décide de la création et de la gestion des services publics communaux, notamment ceux relatifs à la collecte, le transport, la mise en décharge publique et le traitement des ordures ménagères et des déchets assimilés.

Le conseil communal décide des modes de gestion des services publics communaux, par voie de régie directe, de régie autonome, de concession ou de toute autre forme de gestion déléguée des services publics, conformément à la législation et la réglementation en vigueur (Charte communale de février 2003). Par ailleurs, le président du conseil communal exerce les pouvoirs de police administrative dans les domaines de l'hygiène, la salubrité et la tranquillité publiques et la sûreté des passages.

Il délivre les autorisations d'exploitation des établissements insalubres, incommodes ou dangereux, il organise et contribue au contrôle des activités commerciales et professionnelles non réglementées dont l'exercice peut menacer l'hygiène, la salubrité, la sûreté des passages et la tranquillité publique ou nuire à l'environnement.

Cette Charte communale de 2003 confie aux communes la compétence en matière d'assainissement solide et liquide. En ce sens, les communes disposent d'une autonomie dans la gestion de leurs déchets solides. En effet, en vertu de l'article 37 de cette loi, le conseil communal «fixe, dans le cadre des lois et règlements en vigueur, les taux des taxes, les tarifs des redevances et des droits divers perçus au profit de la commune». D'autre part, les communes bénéficient d'une fiscalité locale portant sur la propreté : la taxe d'édilité et la taxe urbaine qui servent en principe à financer les services de gestion des déchets solides.

Les déchets ménagers, assimilés et inertes seront considérés comme étant à la charge des communes. Celles-ci peuvent établir, par convention un système commun pour la gestion totale ou partielle des déchets dont elles ont la charge, confier la gestion de leurs déchets ménagers, assimilés et inertes à des tiers conformément à la réglementation en vigueur, assurer la collecte et le dépôt des déchets provenant des ménages relevant de leurs compétences territoriales dans des décharges contrôlées, (un délai de 3 ans à partir de la date de la publication de la loi), mettre en place, dans la mesure du possible, un système de tri et de traitement des déchets en vue de leur valorisation ou de leur élimination.

Cela étant dit, pour répondre à votre question à propos de l'incapacité des communes à assumer leurs responsabilités, il faut dire que la loi prévoit plusieurs solutions. Il y a d'abord la possibilité pour les autorités locales (gouverneur, agents d'autorité) de se substituer aux élus en cas de défaillance de ces derniers, il y a également la sanction populaire des urnes qui fera que les électeurs ne reconduiront pas leurs édiles défectueux, enfin la solution qui se développe aujourd'hui est de confier la gestion de ce secteur au privé dans le cadre de la gestion déléguée.

Vous êtes spécialiste du montage institutionnel, juridique et financier de la gestion des déchets solides ? quelle analyse faites-vous de la concession des communes aux compagnies étrangères ?

C'est une initiative à saluer et à encourager car elle permet de gérer ce domaine avec plus d'efficacité et des avantages coût/qualité. Cependant, certaines expériences ont connu une réussite, c'est le cas de la gestion déléguée des déchets solides à Rabat, d'autres ont connu un relatif échec, c'est le cas de la gestion déléguée des déchets à Tanger.

Une brigade de protection de l'environnement va être créée à Casablanca. Est-ce le moyen adéquat pour inciter les citoyens à davantage de civisme?

C'est une initiative à saluer à condition de donner à cette brigade les moyens humains, matériels et juridiques pour mener à bien sa mission. Celle-ci doit être basée sur l'éducation par la sanction suivant le principe de «pollueurs-payeurs».

Pour que le Maroc se dote d'une réelle réglementation en matière de gestion des déchets, quelles seraient vos recommandations ?

Il existe un projet en cours qui a été élaboré depuis sept ans, il s'agit d'abord de l'approuver rapidement. Le Secrétariat général du gouvernement est interpellé, car il retarde la sortie de cette loi pour des considérations procédurales, le manque d'expertise, etc. Il est interpellé pour activer la procédure qui traîne depuis longtemps. Car le Maroc est considéré comme le dernier pays à ne pas s'être doté d'une législation moderne et exhaustive sur la gestion des déchets.

Toutefois en attendant, il faut saluer les efforts de l'administration en charge du secteur de l'environnement pour avoir vulgarisé le projet de loi en le plaçant sur son site web. De même, qu'il faut encourager certaines ONG qui ont initié des projets en matière de gestion intégrée des déchets ainsi que leur traitement suivant un processus accessible, simple et non coûteux, c'est le cas notamment de l'ONG Enda Maghreb qui a réalisé des projets à Missour, Tiflet, et Oulmès.
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