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Elections législatives du 20 février : la jeunesse iranienne tourne le dos à la politique

Du nord verdoyant de Téhéran, avec ses cafés chics, au sud noyé dans la pollution, avec ses frustes maisons de thé, la jeunesse iranienne aurait pu être saisie de frénésie électorale avant des législatives qui vont engager l'avenir de la République islami

16 Février 2004 À 19:06

Beaucoup ont en fait tourné le dos au système politique, déçus par les années Khatami et plus préoccupés d'emploi et de distraction, rares l'un comme l'autre.
A 21 ans, Leila reconnaît volontiers appartenir à la masse de ceux qui ont voté pour les alliés réformateurs du président Mohammad Khatami, promis pour beaucoup à la défaite vendredi.

"J'ai voté deux fois réformateur”, dit-elle, sirotant son cappuccino en veillant à ne pas abîmer le pansement qui protège son nez refait, comme celui de tant de jeunes Iraniens et Iraniennes. Mais votera-t-elle cette fois ? Elle y réfléchit un moment : "Je ne sais pas bien. Voter pour les réformateurs n'a plus grand intérêt”.
"Non, je ne vais pas voter”, se ravise-t-elle avant de retourner à sa conversation avec ses amis à propos du manque de neige sur les pistes du nord de Téhéran, rendez-vous de la jeunesse dorée téhéranaise.

Comme elle, deux tiers de la population iranienne a moins de 30 ans, trop jeune pour se rappeler la Révolution islamique de 1979. Ce sont eux qui ont fait souffler un vent nouveau sur le pays. Les réformateurs ont remporté quasiment toutes les élections depuis le triomphe de M. Khatami à la présidentielle en 1997, jusqu'aux municipales de 2003. Le vent a alors tourné. Les jeunes manifestement, les femmes, les modérés, qui avaient si fortement contribué à leur succès, se sont détournés de leurs devoirs électoraux. Entre-temps, les réformateurs se sont heurtés à l'obstruction déterminée des conservateurs à leurs projets les plus audacieux, au nom de la défense de l'islam et des valeurs de la Révolution.

Aujourd'hui, Mohammad Khatami est volontiers vilipendé comme celui qui a beaucoup promis et peu tenu, et qui n'a pas su tenir tête aux durs du régime. "Khatami n'est pas un mauvais gars, mais il s'est montré trop faible”, commente un des camarades de Leila, conforté dans son propos par la résignation du président à organiser les élections à la date prévue, malgré la disqualification des principaux candidats réformateurs par les organes conservateurs non-élus. "Les jeunes sont désabusés.

Nous voulons plus de liberté, nous ne l'obtenons pas, alors je crois que la plupart d'entre nous ne vont pas aller voter. Pour quoi faire”, ajoute-t-il dans ce café du nord opulent de Téhéran.
Mais la lenteur, sinon l'échec de réformes politiques et sociales significatives ne constitue pas le seul motif d'amertume chez les jeunes.

Un tour en voiture dans le sud en dit assez sur l'état de l'économie iranienne et sur ce qui occupe l'esprit d'une jeunesse avide de travail, sinon de visas pour des pays plus prospères. "Les réformateurs ne cessent de parler de liberté et de démocratie. Les conservateurs parlent religion. Mais ça sert à quoi quand on n'a pas de boulot”, résume Ali, 19 ans, chômeur.

Officiellement, le chômage affecte environ 13% de la population. Les experts le chiffrent plus près de 20%. L'inflation réelle avoisinerait 30%. L'initiative privée est difficile. Toute l'activité est tributaire de la rente pétrolière. Ali parle pourtant couramment l'anglais et est diplômé de l'université.

"Qu'est-ce que je dois faire ? Je fais le chauffeur de taxi de temps en temps, ou le livreur”, dit-il dans une maison de thé à des années-lumière du nord de Téhéran. Lui non plus ne votera pas. "Les politiciens ne pensent qu'à leurs intérêts. Comment voulez-vous aller voter pour eux ?”
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