Empoisonnement du chef de l'opposition ukrainienne : la question ressurgit dans la campagne électorale
AFP
12 Décembre 2004
À 17:25
Empoisonné, mais par qui ? La question a ressurgi depuis l'annonce samedi des médecins viennois, coup de théâtre dans une élection présidentielle ukrainienne aux péripéties multiples et dont le favori, Viktor Iouchtchenko, se dit victime d'un complot ourdi par le pouvoir. Après trois mois d'accusations sans preuves en démentis confus, le verdict est tombé: "empoisonnement à la dioxine causé par une ingestion par la voie orale", a affirmé le docteur Michael Zimpfer, médecin-chef de la clinique de Vienne où M. Iouchtchenko venait de subir une série d'examens. Le médecin précisait que la toxine semblait avoir été administrée "par une tierce partie". Aussitôt, le Parquet général ukrainien rouvrait son enquête pour tentative d'attentat, close le 22 octobre.
Depuis qu'il est subitement tombé malade en septembre, M. Iouchtchenko accuse le pouvoir d'avoir tenté de l'assassiner. Chef de l'opposition, favori de l'élection présidentielle qui se joue ces jours-ci, il s'est fait de nombreux ennemis en promettant de réviser certaines privatisations, et a promis, une fois élu, de "mettre en prison les bandits" actuellement au pouvoir.
"Ce qui s'est passé est un règlement de comptes contre un homme politique de l'opposition. Et le but de cette opération était sans doute mon meurtre", répétait-il vendredi avant de partir pour Vienne.
C'est dans la clinique viennoise réputée du Rudolfinerhaus que Viktor Iouchtchenko, 50 ans, avait été hospitalisé en septembre, victime d'un mal étrange qui l'a presque défiguré. Depuis, les soupçons de manipulation ou de règlement de comptes, les rumeurs sur une implication des services secrets donnant à l'affaire des allures de roman d'espionnage, ont tissé une sombre toile de fond à la campagne électorale qui s'engageait parallèlement. La classe politique ne semblait pas dimanche s'émouvoir de la nouvelle, au parfum de scandale mais qui, pour beaucoup d'Ukrainiens, ne vient que confirmer des soupçons largement partagés.
Car dans ce pays habitué des attentats politiques, l'hypothèse d'un complot, si elle venait à être prouvée, ne serait qu'un nouvel épisode sur une liste déjà longue.
Les circonstances qui l'entourent, pourtant, donnent un retentissement particulier à cette annonce. Les images de Viktor Iouchtchenko, le visage boursouflé, marbré, haranguant la foule sur la place de l'Indépendance à Kiev, ont fait le tour du monde.
Au sommet de sa popularité, le vainqueur probable de la nouvelle élection présidentielle, qui l'opposera le 26 décembre au Premier ministre Viktor Ianoukovitch, est aussi l'homme par qui ont été démasquées les fraudes massives ourdies, selon l'opposition, par les actuels dirigeants pour tenter de garder le pouvoir.
L'impact de la nouvelle dans la campagne électorale reste à évaluer. "L'empoisonnement" est devenu une thème récurrent dans la bouche de Viktor Iouchtchenko, avec des allusions renouvelées à chaque apparition publique, soulevant l'émotion de ses partisans.
Le député Stepan Havrich, anciennement proche de Viktor Ianoukovitch, met cependant en garde contre un risque de "radicalisation de la campagne", si "les radicaux dans l'entourage de Iouchtchenko cherchaient à médiatiser cette information en provoquant une nouvelle vague de tensions et accusations".
D'autres soulignent que Viktor Iouchtchenko devrait gagner encore en popularité. Même si, comme le fait remarquer le politologue Volodymyr Malinkovitch, sa victoire semblait évidente sans un tel rebondissement.
"J'estimais auparavant son score à 52%, aujourd'hui je crois qu'il remportera près de 60% des voix", note M. Malinkovitch.
Pour cet expert, l'annonce de l'empoisonnement "portera un coup dur à Ianoukovitch, même s'il est très difficile de prouver qu'il est lié" à l'affaire. "Si l'on suppose que c'est organisé par les autorités qui voulaient le défigurer, elles ont perdu", ajoute-t-il.