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Entretien avec Dominique Nouiga, enseignante et écrivain : «J'ai été fascinée par le Sahara et le nomadisme»

Enseignante au lycée Descartes de Rabat,Dominique Nouiga réside au Maroc depuis 1986. Elle a écrit plusieurs récits de voyage dont, "Errance", "Espaces intérieurs", "Les Oudayas"et "Sud". Dominique Nouiga passe de l'autre côté de la littérature en signant

08 Mai 2004 À 20:30

Est-ce que vous vous êtes basée, pour écrire votre livre,sur une fiction ou bien une réalité, sachant que vous apportez des faits historiques vrais ?

C’est une fiction avec une toile de fond historique. Donc, pour respecter la mémoire de ce peuple, j’ai fait des recherches pour essayer de restituer les faits avec le plus d’authenticité possible. Mais, c’est avant tout une fiction qui pourrait aussi être une histoire réelle, puisqu’il y a aussi certaines des péripéties qui m’ont été racontées par mon mari qui lui même les a eues de la bouche de son père dont le voyage a été fait par ses ailleux . Evidemment,à partir de ce qu’on m’a racontée j’ai pas mal fantasmé par rapport à cette histoire, puis je me suis surtout attachée à la figure principale de Yacout.

*Comment êtes-vous arrivée à raconter le quotidien des tribus sahraouies ?

D’abord, j’ai lu beaucoup de documents écrits de voyageurs à Tombouctou et d’autres au Sahara où il y avait un vécu personnel extrêmement sensible, puis je me suis basée sur des témoignages de gens qui ont fait des parcours dans ce sens . Ainsi, je me suis imprégnée de ces témoignages, en plus de mes voyages personnels vers le Sud du Maroc où il y a énormément de choses en commun avec les autres Saharas. Mais, c’était plus un travail d’empreintes et de témoignages par l’oral que par des documents écrits avec beaucoup d’imaginaire après.

Est-ce que, selon vous, cet esclavagisme existe toujours dans ces tribus du Sahara ?

Je crois que oui, même si d’un point de vue légitime cela a été éradiqué. Mais, on sait que jusqu'au 19ème siècle, juste avant la prise de Tombouctou par les Français, l'esclavage était encore en vigueur. Le problème est que ces relations étaient plus affectives et des fois même terriblement intimes. C'est pour cette raison, ces êtres qui n'avaient pas d'éducation, aucune formation et aucun instrument pour être libres sont restés esclaves même à leur insu. Par exemple dans l'histoire que je raconte, Yacout, à un moment donné, montre elle aussi cette ambiguité et ce paradoxe devant des notables et militaires français qui viennent pour l'affranchir réellement et légalement. Ainsi, elle prononce cette phrase un peu ambigûe:"oui, je suis une esclave sans maître", c'est-à-dire qu'elle se sent toujours esclave même si le maître n'est plus là. Alors que Yacout était autre chose, car elle était lettrée, elle avait des dons et des talents, elle possédait donc cette «liberté intérieure».

Vous avez utilisé beaucoup de mots en arabe dans votre ouvrage. Etait-ce uniquement pour l'enrichir ou bien vous avez une connaissance plus profonde de cette langue?

J'ai une petite connaissance très modeste. Mais, c'est par les témoignages reçus que les gens m'ont apporté énormément de mots en arabe. Et moi à chaque fois je m'arrêtais sur le mot pour saisir son explication. C'était aussi dans le but de renforcer l'authenticité de la mémoire de ce peuple et de restituer un peu leurs souffrances et leurs espoirs, ainsi que tous les problèmes auxquels ils étaient confrontés.

Est-ce que vous aviez un objectif précis qui vous a poussé à choisir ce thème sur le vécu des tribus sahraouies?

En effet, il y a plusieurs objectifs et plusieurs motifs. D'abord, j'ai toujours été fascinée par le Sahara et le nomadisme. Cela représentait pour moi tout ce qui est essentiel et symbolique. Puis, cette période de l'Histoire du 20ème siècle est une période charnière où se sont réalisées toutes les pires exploitations et expropriations de ces gens qui étaient libres dans leurs territoires. Mais, c'est aussi une culture extrêmement ouverte sur tous les plans: social, éthique, religieux, sachant que ces peuples étaient des grands voyageurs qui accumulaient beaucoup de connaissances et véhiculaient énormément de savoir.

D'ailleurs, Mae El Aînine avait créé une bibliothéque énorme dans la ville de Smara pour, justement, valoriser tous ces savoirs et les mettre en exergue. Il ne faut surtout pas apparenter cette vie de nomades à une espèce de sauvagerie tribale, car il y avait aussi tout un respect mutuel, des règles, des lois et un savoir. L'objectif était surtout d'écrire une histoire emblématique de ce que peut vivre un peuple qui avait de la valeur et qui a été complétement éradiqué de ces valeurs, par l'irrespect de son gouvernement qui n'a pas su les protéger et les préserver. Par ce fait, il s'est senti trahi, exploité, arraché de ses biens, de sa culture, de sa religion...
Donc, tout cet ensemble de facteurs m'ont interessée pour écrire ce livre.

Vous avez écrits différents récits de voyage, comment êtes-vous tombée dans le roman?

C'est vrai qu'avant j'ai toujours écrit des récits de voyage avec une fiction. C'était une mémoire du voyage qui stimulait mon imaginaire. A un moment donné, je suis passée de l'autre côté où j'ai eu envie d'écrire un roman. Dans un roman, on peut faire passer beaucoup de choses sans avoir une écriture pamphlétaire ou d'historien. Mon objectif est surtout de captiver le lecteur, de faire en sorte qu'il rentre dans mon histoire et qu'il éprouve une émotion, tout en partageant la vie de ce peuple. J'avais envie qu'il soit porté par cette mémoire pour mieux la respecter et l'aimer.

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