Entretien avec M. Dov Zakheim, ancien sous-secrétaire d’Etat américain à la Défense : «On ne peut exporter le modèle américain vers le Moyen-Orient»
M. Dov Zakheim a soulevé, lors d’une rencontre à propos des relations maroco-américaines, la semaine dernière à Casablanca, la question de l’incompréhension qui existe aujourd’hui entre les Etats-Unis et le monde arabe. Selon lui, cette
LE MATIN
04 Mai 2004
À 15:37
Le Matin : Pensez-vous que l’image qu’ont actuellement les Etats-Unis dans le monde arabe, est due à une mauvaise communication entre nos deux peuples ?
Dov Zakheim : Je pense que le gouvernement des Etats Unis à d’excellentes relations avec beaucoup de gouvernements arabes. A partir de mes propres contacts avec des intellectuels et professionnels arabes, je constate que même quand ils ont poursuivis leurs études aux Etats-Unis, et parfois parce qu’ils ont été scolarisés aux Etats-Unis, ils ont une certaine peur de l’Amérique qui est peut être des fois erronée.
Cette vision qu’ils ont est celle d’une Amérique qui essaye de dominer le monde, qui est totalement unilatéraliste, et qui évolue sous autorité des néo-conservateurs… Je réponds à cela, en disant d’abord que nous n’avons pas besoin d’essayer de dominer. Nous avons aujourd’hui un tel pouvoir que nous pouvons nous passer de la domination. En fait, notre histoire nous a démontré, à commencer par le Vietnam, que quand nous essayons de faire cela, les choses se terminent par un total échec.
Regardez notre succès en Europe, nous n’avons pas eu besoin de dominer ce continent. Il suffit de prendre l’exemple des pays de l’Europe de l’Est. Ils ne veulent pas seulement avoir de bonnes relations avec les Etats-Unis, mais aussi avoir des bases militaires chez eux. J’ai été personnellement été approché par des ministres est-européens qui me demandaient si nous ne voulions pas stationner nos troupes chez eux. D’autre part, l’idée que les Etats-Unis sont unilatéralistes est encore fausse. Avec qui ne sommes-nous pas en relation ? Nous avons des alliés dans le monde arabe qui travaillent avec nous. Regardez la majorité de l’Otan qui ont soutenu notre intervention en Irak. Des 19 membres, 3 étaient contre.
Mais si vous regardez ces pays, la France, l’Allemagne et la Belgique, ils ont presque changé leur attitude. L’Espagne qui a retiré ses troupes n’a pas dit qu’elle voulait revoir ses relations avec les Etats-Unis. Alors, il me semble aujourd’hui important d’aller à la recherche des origines de cette incompréhension qui fait que dans le monde arabe il n’y est que cette seule idée des Etats-Unis et vice versa. Car, chez nous aussi, les gens pensent que tous les arabes courent partout et jettent des bombes sur tout le monde. C’est pas seulement le rôle des représentants du gouvernement, mais aussi des médias, des intellectuels et des professionnels des deux pays. C’est cette mauvaise compréhension qui doit être clarifiée
La mauvaise compréhension vient aussi de l’autre côté de l’Atlantique. Le projet du Grand Moyen Orient en est la preuve. Les Etats-Unis ont proposé un projet à cette région sans tenir compte de ses priorités. Entre autres, la résolution du conflit israélo-palestinien ?
Tout à fait. Mais là encore, il y a un problème de communication. Le monde arabe croit que nous sommes entièrement avec les Israéliens, quoiqu’ils fassent. De l’autre côté, les Israéliens nous critiquent et nous reprochent de leur mettre la pression. Les colons se demandent pourquoi nous ne reconnaissons pas que la Cisjordanie fait partie d’Israël, et pourquoi nous n’installons pas notre ambassade à Al Qods. Les deux parties se plaignent. Le concept du Grand Moyen Orient ne se base pas sur une envie que nous pourrions avoir de dominer cette région. Regardez l’Asie de l’Est. Tout le monde pensait qu’on ne peut pas avoir une démocratie en Asie. On ne peut pas exporter le modèle démocratique américain dans le Moyen-Orient. C’est une différente culture, religion, et notion de démocratie aussi. Nous devons comprendre la différence des concepts, et le monde arabe doit comprendre que nous n’essayons pas de l’américaniser.
Vous avez parlé de la guerre en Irak, donc vous pensez toujours, malgré ce qui se passe actuellement sur place, que ceux qui ne se sont pas joints à la coalition ont eu tort de ne pas le faire ?
Plus grande aurait été la coalition, plus vite les Irakiens auraient compris que les Etats-Unis ne viennent pas prendre leur pays. Car si nous voulions prendre ce pays, nous n’aurions invité personne. Si les français étaient là, les Irakiens auraient été plus rassurés, car ils sauront que les Français n’auraient pas permis cela. Je pense que les Allemands et les Français ont commis une faute. S’ils voulaient avoir un droit de parole. S’ils voulaient un plus engagement international ils auraient dus être là bas.
Et qu’en est-il de la guerre contre le terrorisme lancée par les Etats-Unis, ne pensez-vous pas qu’elle met aussi de l’huile sur le feu de cette incompréhension dont vous parlez?
La guerre contre le terrorisme n’est pas une mince affaire et elle ne vas se terminer demain. Cette guerre n’est pas seulement entre l’Occident et le monde arabe, mais au sein même du monde arabe. Ce n’est pas à moi de dire au monde arabe comment agir avec leurs extrémistes. Mais il n’y pas de doute que ces derniers sont en train de créer une horrible image de la région. Ce n’est pas juste pour l’Islam, ce n’est pas juste pour le monde arabe. Mais qui sommes-nous pour dire aux Arabes comment faire ? Nous avons à nous protéger nous-même.