L'humain au centre de l'action future

Entretien avec Nadia Essalmi, directrice des éditions Yomad : «Je militerai toujours pour la promotion de la lecture …»

En parlant du livre pour enfants, ses yeux brillent de bonheur. Un acharnement et une passion sans pareils caractérisent celle qui a fait de ce créneau son champ de bataille.
>«Je n'édite pas, je milite pour le livre jeunesse» nous dira t-elle.

28 Mars 2004 À 17:05

On constate que le taux des lecteurs est trop faible au Maroc, qu'en pensez vous ?

Au Maroc, la lecture est le secteur le plus pauvre de la culture. Elle est complètement absente de notre quotidien. C'est un ensemble de fautes partagées. En tête de liste, on retrouve l'enseignement qui est défaillant. Il faut le reconnaître.

Aucune matière n'encourage la lecture, les enseignants ne sont pas de vrais pédagogues et n'essayent pas de prendre l'initiative ne serait que 5 ou 10 minutes par jour pour faire aimer la lecteur, monter une bibliothèque en classe à moindre coût en demandant aux enfants de ramener un livre chacun et même s'il n'en a pas, chez le bouquiniste le livre se vend à deux dirhams.

Et si chaque classe faisait la même chose, ils auront de la lecture pour toute l'année et responsabiliser les enfants pour gérer la bibliothèque à tour de rôle.
Vous savez, tant que l'enfant n'a pas découvert ce qu'il y a dans un livre, il ne peut pas l'aimer, on a pas le droit de le lui demander. En ouvrant un livre, c'est un autre monde qui s'ouvre et ça malheureusement les enfants n'ont pas l'occasion de le vivre. Ca peut paraître tellement banal mais c'est une réalité. Les parents ont aussi leur part de responsabilité, ils ne lisent pas. Il ne faut pas oublier que les enfants imitent leurs parents, s'ils voyaient que leurs parents lire, ils feront de même. Si les parents lisent à leur enfant ne serait-ce que quelques lignes avant de dormir, il prendra l'habitude de la lecture, il le réclamera et le jour où il apprendra à lire, il le fera lui même et n'aura plus besoin de quelqu'un pour l'y initier.
L'entourage de l'enfant joue à son tour un grand rôle. Est ce qu'un enfant voit des livres autour de lui ? Est ce qu'il baigne dans une ambiance de livres ? La réponse est non. Des fois, même les gens qui ont les moyens n'achètent pas de livres. Pour la simple raison que cette démarche ne fait pas partie de la conception intérieure de la maison. On peut avoir des jouets partout, des ordinateurs, des jeux vidéos mais pas de livres. Une bibliothèque existe rarement dans une famille marocaine.

Ceci en ce qui concerne le monde interne de l'enfant. Qu'en est il du monde extérieur ?
Nous n'avons pas de bibliothèques publiques. Il faut que chaque quartier ait sa bibliothèque garnie de livres. L'Etat aussi a sa part de responsabilité, les librairies sont tellement tristes qu'elle ne donnent pas envie d'y aller. Le contact est très important entre l'enfant et le livre.

Les événements culturels sont une denrée rare néanmoins pour l'enfants même le salon du livre organisé une fois par an ne fait pas l'affaire. Car l'entrée est payante et les gens cherchent les soldes alors qu'un salon du livre est fait pour présenter les nouveautés et mettre le livre sous les projecteurs. Il est censé être la vedette du salon.

Les gens ne s'intéressent pas au livre et s'ils doivent payer pour le voir c'est encore plus décourageant.
Sans oublier le taux élevé de l'analphabétisme. Il faut simplifier le contact. Pour moi, un peuple moderne est un peuple cultivé avant toute autre considération. Malheureusement ceci ne s'applique pas à notre pays.

Parlez-nous un peu de Yomad ?

Au début je n'avais pas la même idée. Pour moi, il suffisait d'éditer des livres et de les commercialiser. Et comme il n'y avait pas de livres marocains et donc pas de culture qui leur est propre. Je me disais que les enfants ne pouvaient qu'aimer ces nouveaux livres. Au fait, les enfants étaient en manque de repères culturels. Tous les livres commercialisés au Maroc sont des livres importés de l'étranger ce qui fait de la culture inculquée aux enfants une culture importée. Après, je me suis rendue compte que je partais à l'aventure et comme dans toute aventure, il y a une série d'obstacles.

Il est vrai que je suis la première éditrice à créer une maison d'édition pour des livres d'enfants et je crois que cela explique que l'on ne s'intéresse pas beaucoup au secteur de l'enfant. Je suis en train d'installer les premières assises pour la lecture et je tiens à préciser qu'il s'agit du livre pour enfants.
Vous savez je me considère plus militante qu'éditrice de livres pour enfants.

Dans quel sens ?
Parce qu'il ne suffit pas d'éditer un livre et de le voir sur les étalages. Il faut que le message passe au lecteur. Il faut que les gens se rendent compte de l'importance de la lecture.

Je suis consciente que mon lectorat représente une minorité, je suis aussi consciente qu'il faut tout faire pour initier les gens, leur apprendre cet art qu'est la lecture. A mon avis c'est pas très sorcier.

Que faites vous pour instaurer cette culture ?

Il suffit d'y croire pour y arriver. Je me déplace dans les écoles. J'explique aux enfants la beauté du livre. En d'autres termes, je fais la promotion du livre à travers la lecture.

Un enfant est toujours émerveillé lorsqu'il est devant l'auteur et ça me fait un énorme plaisir lorsqu'un élève vient me dire. Je connais ce livre ou bien j'aime beaucoup cette histoire.

Sans oublier toute la curiosité qui anime les enfants. Ils veulent tout savoir. Comment on fabrique un livre, on l'imprime. Ça prouve que ces enfants ont envie d'apprendre.

Si j'arrive à gagner ne serait_ce que cinq lecteurs dans chaque classe ce sera un énorme gain.

Comment ont été vos débuts ?

J'ai commencé par publier Driss Chraibi du fait que c'est une signature qui a son importance sur le marché. «l'âne k'hal» est une référence. Ca m'a permis d'accélérer un peu le processus. Après quelques publications, je me suis rendue compte que les gens trouvaient les livres chers à 30 dhs. Alors qu'ils étaient en couleurs, imprimés sur du papier de très bonne qualité.

Je le reconnais, je ne m'adresse pas à la classe pauvre. J'aurais bien aimer mais ce n'est pas dans mes moyens sauf si l'Etat veut y participer. Je m'adresse à la classe moyenne. On peut ne pas acheter un livre tous les mois mais on peut quand même se permettre d'en acheter un tous les mois ou tout les deux mois.
Si on fait le calcul, on va se rendre compte que le livre n'est pas cher du tout. Mis à part toutes ces considérations, il faut réagir et penser à la jeunesse.

Il ne faut pas oublier que la population marocaine est une population jeune. Qu'est ce qu'on prépare comme avenir pour ces jeunes ? Notre système scolaire est surtout bourratif a aucun moment il n'apprend à l'enfant l'analyse, la réflexion, la critique ni même la lecture. Tout cela il le trouvera dans les livres et il faut que ce soit lui qui aille vers le livre. D'où l'urgence de réagir.

Pourquoi les Marocains évitent la production marocaine ?

C'est vrai. Pourtant nous avons de très grands noms marocains qui ont fait leurs preuves à plusieurs occasions mais les gens ne les jugent pas à leur vraie valeur.
A mes débuts, j'exposai aux Oudayas. Une famille qui arrivait vers moi s'est arrêtée pour regarder et les autres membres les suivant en arrivant devant mes livres une personne leur a dit allons-nous en, ce ne sont que des Marocains.

Sur le champ j'ai rassemblé mes livres et je suis partie. Avec du recul je sais qu'aujourd'hui, je ne le ferai pas. Au contraire, je me battrai pour donner au livre marocain sa vraie valeur.

On est encore loin du pays où la lecture est bien positionnée. Quand je suis dans un salon étranger je suis à la fois émerveillée par ce qui se fait et frustrée par ce que je n'arrive pas à comprendre pourquoi notre pays n'est pas aussi cultivé.

Comment les livres marocains sont ils perçus à l'étranger ?

Dés qu'il y a une grande communauté maghrébine à l'étranger et qu'il n'y a pas beaucoup de livres à travers lesquels ils retrouvent leurs repères. Ils demandent des livres Yomad.
Je ne peux pas dire qu'il y a une distribution faramineuse. Mais ils se frayent leur chemin et ils auront la place qu'ils méritent.

Que pensez vous de l'opération de collecte des livres initiées par le Secrétariat d'état à la jeunesse ?

L'initiative est excellente. Mais je suis sidérée qu'un ministère puisse demander aux gens de donner des livres gratuitement.
Ils auraient pu essayer de trouver les fonds pour acheter des livres soit signer des partenariats avec des maisons d'éditions pour leur acheter des livres à des prix symboliques.

Pourquoi avoir opté pour des livres pour enfants ?
C'est un penchant. Mon amour pour les livres m'a guidé vers une formation en littérature française. Je me disais que je serais écrivain mais jamais je n'avais pensé à l'édition.

Après mon diplôme universitaire, j'ai commencé à travailler dans une petite maison d'édition en tant que correctrice et ça a été le déclic et depuis mon objectif est de créer une maison d'édition. Je me suis rendue compte qu'aucune part n'est réservée à l'enfant.
La société n'a jamais pris en considération l'enfant que ce soit dans l'école, l'art ou les loisirs.

Pendant le mois de ramadan dernier j'ai présenté une émission bénévolement sur la radio nationale à travers laquelle je racontais aux enfants des contes traditionnels. A la fin du mois cette émission a eu des échos extraordinaires. Ce sont des démarches qu'ils faut encourager et je ne comprends pas pourquoi on reste timides devant de telles initiatives.

Dans ma ligne éditoriale, les contes parlent des histoires traditionnelles références de notre culture.
Car si on ne mets pas sur papiers ces chefs d'œuvres de notre culture on risque de les perdre d'où l'idée de m'intéresser aux contes marocains.

Pourquoi Yomad ?

Je l'ai inspiré de nomade car pour moi, le lecteur est un voyageur. Le livre voyage, la lecture aussi voyage. Je voulais comme appellation pour ma maison d'édition nomade mais ce nom était déjà attribué alors pour ne pas m'éloigner de l'idée de départ j'ai opté pour Yomad.

Cela fait cinq ans que yomad existe et chaque nouvelle parution est pour moi un moment intense de bonheur. Un moment indescriptible.
Je fais la correction, le suivi et la mise en page en me mettant devant mon ordinateur pour la mise en page c'est comme un artiste qui se met devant une toile blanche et y dessine un beau paysage. A chaque fois c'est une nouvelle naissance.
J'ai édité 25 contes.

L'actualité a t-elle une place dans la vie d'un enfant ?

Je reçois énormément de textes. J'essayes de choisir ceux qui répondent le plus aux besoins de l'enfant marocain. Je ne publie jamais un livre qui n'est pas situé dans la société marocaine. C'est une condition sine qua none.
On a beaucoup de mal à trouver des illustrateurs marocains. C'est normal puisque nous n'avons pas de centre de formation ce qui nous incite à faire appel à des professionnels étrangers. Un autre problème se pose. Ces personnes ne sont pas en liaison directe avec le vécu dans la société marocaine. On essayes alors de leur donner des éléments pour les rapprocher le plus de notre culture.

Quel rôle pourrait jouer un livre dans la vie d'un enfant ?

Ce n'est pas pour rien que la pédagogie a été instaurée. Lorsqu'on met un enfant entre les mains d'un instituteur qui n'est pas pédagogue on court un grand risque.
Un enfant ressemble à une page blanche tout ce qu'on met dessus s'impime. Il est clair qu'il évolue mais certaines choses restent gravées.

Tout texte est porteur de messages. Ceci étant je suis contre les livres qui ont existé à une certaine période et qui étaient très moralisateurs. Un livre doit faire plaisir à un enfant et non pas guider et enjamber le pas à tous ses faits et gestes.
Un livre enrichi et forme la personnalité de l'enfant.

D'un autre côté, en lisant, un enfant ne se forme pas physiologiquement. Il forme son langage, enregistre la grammaire, les tournures de phrases c'est pour ça que j'essayes de ne pas donner des textes trop faciles. Il faut que l'enfant apprenne au moins une dizaine de mots en parcourant un livre et d'aller chercher dans un dictionnaire. En général, les enfants qui savent lire maîtrisent la plume.

Quel rôle joue l'illustration dans un conte ?

La première chose que fais un enfant lorsqu'il a un livre entre les mains est la lecture de l'image. Même ceux qui ne savent pas lire peuvent regarder l'image et des fois la comprendre. Des fois elle est complètement décalée par rapport au texte. Il faut que l'enfant soit attiré par cette illustration. C'est la première vitrine du livre.
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