Espionnage : agents secrets de Frédéric Schoendoerffer Héros sans fard
Monica Bellucci et Vincent Cassel, stars glamour, couple à la ville, sont à l'affiche du deuxième long métrage de Frédéric Schoendoerffer, Agents secrets, tourné en partie à Casablanca. Deux événements qui marquent un film d'espionnage déviant des règles
LE MATIN
30 Mars 2004
À 19:01
Dans son premier film, Scène de crimes, sorti en 2000, Frédéric Schoendoerffer quittait déjà les sentiers battus du film policier pour brosser le dur labeur de deux enquêteurs sur les traces d'un tueur en série. Passant de la violence ordinaire à la violence d'Etat, le réalisateur poursuit dans le même esprit avec Agents secrets. Un film d'espionnage où les espions - aux antipodes d'un James Bond - sont cantonnés par un système qui les dépasse à un jeu de piste quotidien fait d'ombre et de solitude.
Au départ, une histoire vraie : l'affaire du Rainbow-Warrior, ce navire de Greenpeace qui a été coulé par les services secrets français en 1985, en Nouvelle Zélande. La police a arrêté deux suspects francophones, le couple Turenge, en réalité deux officiers des Forces armées françaises : le Colonel Alain Mafart, 35 ans, et le Capitaine Dominique Prieur, 36 ans. C'est dans les mémoires de cette dernière que Frédéric Schoendoerffer a puisé le scénario de son deuxième long métrage. Il a déplacé l'intrigue en Espagne et au Maroc mais a conservé le couple d'espions dont il a confié les rôles à un vrai couple de comédiens, Monica Bellucci et Vincent Cassel.
A Algéciras, un homme (Charles Berling) intercepte des informations concernant un réseau clandestin de trafic d'armes et de diamants en Afrique. Suite à son assassinat, une mission se met en place pour démanteler la filière. Les services français dépêchent deux de leurs meilleurs agents, Georges Brisseau et Lisa. Avec deux nageurs de combats, les coéquipiers transformés en couple de touristes partent au Maroc faire sauter le "Anita Hans”, un navire qui a jeté l'ancre dans le port de Casablanca. Mais en rentrant de mission, ils sont mis à l'index par leur hiérarchie.
Espions ou fusibles ?
Des fusibles soumis à des raisons d'Etat dont ils ne comprennent, - et ne cherchent manifestement pas à comprendre - les motivations, telle est la fonction véritable des agents secrets selon Frédéric Schoendoerffer. Ajouter à cela l'absence de vie privée, l'impossibilité de faire confiance à qui que ce soit, la méfiance perpétuelle. Une vie trépidante certes, mais faite d'errance, entre chambres d'hôtels impersonnelles, appartements aux frigos vides, salles d'attentes d'aéroport et squat imprévus chez des amis entrevus une fois tous les trois mois.
Le quotidien des supers espions est bien éloigné du fantasme de gloire et d'aventure qu'on leur associe traditionnellement. Fonctionnaires de la violence politique, voilà ce qu'ils sont et ce qu'ils acceptent au motif que, une fois engagés, ils ne peuvent plus faire marche arrière. " Si tu arrêtes, tu vas avoir une toute petite vie ” jette Georges (Vincent Cassel) à Lisa (Monica Bellucci) qui aurait justement bien envie de décrocher. Mais quand elle est mise hors circuit par sa hiérarchie, son nouveau coéquipier, outré par la traîtrise et subitement solidaire de quelqu'un, n'hésite pas à se retourner contre la machine infernale. Nouvelle mission : récupérer leur indépendance.
C'est cette reconquête d'une liberté usurpée qui met du vent dans les voiles de Agents secrets. Les espions, qui n'avaient que faire des enjeux qu'ils servaient, finissent par se rebeller contre le système qui les a formés. Une façon de retourner au genre : espionnage et contre espionnage. L'ennemi se démultiplie, le danger rampe de tous côtés, les objectifs se complexifient, par conséquent sauver sa peau devient plus qu'une nécessité, un acte de résistance. Heureusement pour Frédéric Shoendoerffer qui, en s'attachant à suivre les gestes de ses agents, leurs déplacements, leur organisation quotidienne, risquait de manquer de tempo.
Mais les allées et venues des héros dans le centre de Casablanca, leur rendez-vous romantico-professionnel en haut d'une terrasse chic, ou leur invraisemblable plongée (de nuit !) dans les eaux noires du port, rendent hommage au film d'action. Sans fard et pondérés, Vincent Cassel et Monica Bellucci sont plus séduisants que jamais.
Le comédien aurait trouvé Agents Secrets «sec comme un biscuit de l'armée» et sa compagne « précis comme un documentaire». Ils incarnent avec gravité une armée des ombres qui récupère un peu d'humanité dans la crise. Pour mieux servir l'adage « on néglige toujours l'humain», que glisse André Dussolier, en grand chef des services secrets mi-droit, mi-récupéré. Les enjeux stratégiques se sont pourtant qu'ébauchés dans ce film qui a fait le choix de la sobriété au détriment de la densité. Jusqu'aux relations même entre les deux héros.
Volonté de suggérer loin des clichés ? Ou manière d'en garder sous le pieds pour la suite…
Agents secrets, film français de Frédéric Schoendoerffer, avec Vincent Cassel, Monica Bellucci, Charles Berling, André Dussollier, Ludovic Schoendoerffer.