«Féminin-masculin - la marche vers l'égalité au Maroc» : L'Etat est-il féministe ?
«L'arrimage du Maroc au développement s'accompagne d'une absence de perspective féministe de l'Etat. Force est de constater que les politiques publiques n'intègrent toujours pas une telle perspective».
>Ainsi parle le politologue Mohamed Mouaqit, l'un
LE MATIN
02 Novembre 2004
À 16:55
Les auteurs de cet ouvrage – Houria Alami Machichi, Malika Benradi, Aziz Chaker, Mohamed Mouaqit, Mohamed Saïd Saadi, Abdel-Iah Yaakoubd- qui a choisi de faire le point entre acquis et inégalités persistantes et procédant à l'introspection d'une décennie dans la condition des femmes en terre marocaine, de 1993 à 2003 avec l'annonce du nouveau code de la famille sont formels : l'approche genre –celle-là même qui fait cruellement défaut à la politique de l'Etat marocain qui continue de confiner la condition féminine à une approche sectorielle- vise à aller encore plus loin pour que soient traqués les discriminations et les rapports d'inégalité.
Résultat, l'ouvrage, en vente dans les prochains jours, tente de «restituer cette dynamique de l'égalité et en analyser les temps forts, faire le point sur les avancées majeures et les obstacles persistants sur le chemin de l'accès des femmes à la citoyenneté pleine et entière».
En cinq volets, et en filigrane l'approche genre, droit de la famille, participation politique, économie, éducation et santé sont explorés, disséqués et soumis à l'analyse des six chercheurs qui affirment que «ce livre n'est qu'un balisage d'un travail de recherche à venir».
Les deux femmes du groupe, Malika Benradi et Houria Alami Machichi sont promptes à le reconnaître : la décennie 1993-2003 a été un tournant , un moment fort aussi, pour les droits des femmes et leur participation à la vie politique. Ce constat s'accompagne de nuances et de bémols. La juriste Malika Benradi le dit sans ambages. «Il est temps de réfléchir aujourd'hui au combat pour l'égalité des femmes et de comprendre surtout qu'il s'inscrit pleinement dans le combat pour la construction démocratique.
Il faut aussi et surtout réaliser que la construction démocratique prend son ancrage d'abord dans l'espace de la famille». A l'ombre des acquis juridiques du nouveau code de la famille aujourd'hui en vigueur, les réalités sociales viennent rappeler que le chemin reste encore long. «La citoyenneté des femmes reste encore à faire . exemple, la Marocaine ne peut toujours pas transmettre la nationalité à son enfant», soupire Mme Benradi.
Espace privé, espace public. Jamais ces concepts n'ont été aussi inter-dépendants, le premier conditionnant le second. « La démocratie commence dans le couple, et bien souvent à la cuisine et dans la chambre à coucher !», s'exclame la politologue Houria Alami Machichi. «La politique est ce lieu où le pouvoir trouve sa plénitude. Pourquoi les femmes y sont si rares ? Parce que la démocratie n'est pas encore en vigueur dans l'espace familial !». Et la modernité dans tout cela ? La réponse que cette professeure universitaire mérite la plus grande des méditations. «La modernité n'a pas su donner aux femmes la place qu'elles méritaient parce que cette même modernité a cultivé une sorte de neutralité, intégrant la citoyenne au citoyen.
La neutralité est finalement un leurre et on a oublié de considérer en fait les rapports sociaux qui relativisent fortement la théorie selon laquelle seule la compétence doit primer».
Le système scolaire reproduit les mêmes inégalités
Pour Saïd Saadi, l'ancien secrétaire d'Etat limogé du premier gouvernement de Youssoufi pour cause du célébrissime plan d'action national pour l'intégration des femmes au développement, la participation des Marocaines à la vie économique est loin d'avoir connu les avancées enregistrées dans les volets juridique et politique. Cet économiste parle volontiers de déterminants structurels et de blocages qui rendent difficile l'insertion des femmes dans la sphère économique. «Représentation traditionnelle de la femme, division sexuelle du travail et un Etat qui n'a pas forcément encouragé l'intégration économique des Marocaines en multipliant des approches dans le style de la création de coopératives de femmes ou d'activités génératrices de revenus.
Le taux de participation économique des femmes de ce pays est des plus modeste. Et il faut aujourd'hui relever avec force la montée en puissance du chômage des femmes et surtout de la féminisation de la pauvreté».
Le questionnement que pose cet ouvrage est essentiel : les pouvoirs publics, les décideurs mettent-ils en œuvre une politique basée sur l'approche genre et le féminisme de l'Etat est-il vraiment affirmé? Le socio-économiste Aziz Chaker, qui dans ce livre a traité le volet «genre et éducation», ne craint pas de l'indiquer : en matière de scolarité et d'enseignement , le système reproduit ces mêmes inégalités qu'il est censé combattre. «Le principe de l'égalité suppose que les mêmes chances soient offertes aux filles et aux garçons.
Or, des mécanismes subtils sont à l'œuvre poussant les filles à opter plus pour les matières littéraires dans le sens large. Ces mécanismes sont issus du milieu social et familial , des enseignants, du système de notation et de la nature des exercices qui d'une manière ou d'une autre privilégient davantage les aptitudes développées chez les garçons que celles acquises chez les filles (…) Le préjugé le plus largement répandu est de considérer que les mathématiques seraient un domaine d'homme. Ce sont les méthodes d'enseignement qui sont ici en cause», soutient M. Chaker. C'est le même constat que dresse Abdel-Ilah Yaakboub, statisticien et auteur du chapitre consacré à la santé. «Le chemin à parcourir pour aboutir à un essor effectif de la santé des femmes au Maroc est encore long. La décennie 1993-2003 a été marquée par la très grande place accordée à la santé reproductive.
Ce volet ne concerne qu'une catégorie bien précise de la population féminine marocaine».
Ils sont unanimes. Le chemin est encore long. Alors, en ces dernières pages, l'ouvrage comporte des recommandations pour que les femmes de ce pays soient réellement, pleinement des citoyennes, pour que l'égalité quitte le discours et envahissent les maisons, pour que la démocratie prenne son envol depuis l'espace familial.
« Nous sommes d'abord des chercheurs. Nous mettons en lumière des dysfonctionnements, des lacunes. Nous apportons des éclairages aux décideurs. C'est cela notre rôle et il n'est pas question de se substituer à eux», prévient Mohamed Mouaqit.