A Casablanca, comme à Tunis, ou sous d'autres cieux encore, les flambeurs qui subissent de grosses pertes, continuent obstinément à courir derrière le mirage du gain, la magique clé de Césame qui promet de métamorphoser leur vie et réaliser le rêve de pouvoir un jour rouler sur l'or.
Pour aussi épuisante et exténuante qu'elle soit sur les plans matériel et moral, cette quête ne les dissuade pas, pour autant, d'aller au bout de leurs intentions.
Le mythe de Sisyphe ou l'interminable oeuvre de Pénélope: ces grands gaspilleurs refont le même geste et subissent le même sort.
Pour bien des flambeurs, c'est toujours et encore à refaire. Et sans jeter le manche après la cognée, ils recommencent et mordent de nouveau à l'hameçon
car, entre le souhaitable et le réalisable, il y a un océan.
Ils répètent la même chose caressant encore le désir de remporter le gros lot:" il s'en est fallu de peu" , "c'est la chance qui manque le moins", "la prochaine, sera la bonne". Et les voilà repartis à l'assaut de l'Eldorado imaginaire.
Ils remettent les bouchées doubles en essayant tous les cas possibles en solo ou en groupe, s'ingéniant à démêler le fil d'Ariane menant au trésor convoité, à prendre une hypothétique revanche sur la magie du sort, le fétichisme des chiffres ou l'entêtement de la Providence, jusqu'au jour de l'ultime victoire.
D'aucuns suivent le même rituel et réagissent de la même façon sans pouvoir se départir de leurs vieilles habitudes: ils achètent des journaux hippiques pour épier les moindres détails, de la forme de l'écurie au CV de l'entraîneur en passant par la forme du cheval et du jockey sans oublier, bien sûr, la meilleure combinaison des chiffres. Dans les courses, la connaissance, l'expérience, la chance et le hasard se mêlent. Malgré l'abondance des informations, les analyses et les pronostics des professionnels et de la presse hippique, les statistiques, les déclarations des entraîneurs, les performances et les chronos des chevaux, la problématique ne disparaît pas totalement et la chance ne sourit pas à tout le monde.
Le nombre des partants, la météo, l'état du terrain (souple, léger, lourd), la forme, la performance et la contre-performance du cheval et du jockey, le palmarès, le numéro de corde, le genre de courses hippiques (plat, haies, steeple-chaises, attelé), le profil et le comportement du cheval (classe, régulier, attentiste, trouble- fête, finisseur), l'origine des concurrents, leur sexe et âge et la distance des hippodromes...Autant de facteurs que le parieur, turfiste ou tiercéiste s'évertue à passer au peigne fin dans le choix des combinaisons prometteuses. Les parieurs n'omettent pas non plus d'inclure dans leurs combinaisons des outsiders et des tocards dans le but de toucher des sommes rondelettes.
Les courses, synonymes de succès, d'échec, d'espoir et de déception, sont à la fois honnies et aimées par les flambeurs, habitués inconditionnels des cafés. Ceux-là même qui rêvent de gagner pour voir le bout du tunnel.
Pour ce faire, ils n'hésitent pas à contracter des dettes en vue de poursuivre une aventure sans fin. C'est triste, c'est toujours le mirage, l'hémorragie et le cul-de-sac. Des familles entière en pâtissent. Les dégâts collatéraux ne manquent pas.
Beaucoup de flambeurs parient également dans les courses de lévriers (Laklibate ) à Anfa à Casablanca, jouent au loto et au toto-foot.
Les courses hippiques (tiercé, non usuel à Casablanca) connaissent d'autres parieurs, qui jouent prudemment et modérément et pour le plaisir. Pour eux les courses sont un passe-temps. Voir en direct ou sur les hippodromes un cheval galoper, trotter ou sauter pour franchir les obstacles sur les pistes avec élégance et adresse, est un régal pour les passionnés, quoique certains jouent discrètement avec des petites sommes sans penser au gain.
Des parieurs profanes jouent leur date de naissance ou tirent au sort des numéros sans consulter la presse hippique ou connaître la forme et les performances des chevaux et des jockeys. Ils ne misent pas de grosses sommes comme les flambeurs pour éviter que le plaisir ne tourne au drame.
Certes, les courses hippiques ne sont pas une
science exacte qui obéit à la logique et encore moins à des grilles de connaissance et de recherche. Le pari est un phénomène social complexe. Des parieurs de toutes les couches sociales jouent pour tenter leurs chances. Chaque week-end connaît des gagnants (dans l'ordre ou le désordre) et des perdants.
Certains jouent sans en avoir les moyens. D'autres considèrent le jeu comme une distraction et l'excès comme un leurre et une usure.
Un flambeur réduit à la disette a dit un jour dans un café à Casablanca: "maintenant, mon issue est malheureuse et je suis presque seul
car la richesse fait des amis et la pauvreté les sélectionne, et le véritable gagnant est celui qui ne joue pas".