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Gestion du patrimoine culturel à l'époque du Protectorat : le musée Nejjarine de Fès réhabilite l'art marocain

«La ville coloniale : approches anthropologiques et urbanistiques» est le thème de la rencontre qui réunit, du 11 au 13 juin au musée Nejjarine de Fès, des anthropologues, sociologues, économistes et historiens de l'art marocains et espagnols. Cette renco

13 Juin 2004 À 15:33

Ce colloque hispano-marocain auquel prennent part également des enseignants chercheurs de l'université Sidi Mohammed Ben Abdallah de Fès a également pour ambition de donner un aperçu historique des différentes créations tant urbanistiques qu'architecturales faites à cette époque par l'administration coloniale, de mettre en lumière l'existence réelle à travers de nouvelles recherches académiques de la création d'un art fondamentalement marocain non influencé par des courants extérieurs en particulier andalous.

Intervenant en ouverture de la rencontre, la présidente de la Fondation Mohammed Karim Lamrani pour l'ensemble Nejjarine, Mme Saïda Lamrani a souligné l'importance du thème choisi pour estimer qu'il présente un intérêt certain particulièrement pour la ville de Fès, capitale politique de l'époque et fief de la naissance et du développement du colonialisme.

Il serait question dans ce cas, selon Mme Lamrani d'évaluer, dans le cadre des travaux de la manifestation, le choc de la colonisation sur la cité, et ce à travers le débat des spécialistes qui auront à pousser leurs réflexions sur le thème et les dépasser afin de donner de nouvelles pistes de recherches.

Poursuivant son intervention Mme Lamrani a évoqué les causes qui ont conduit à la restauration des monuments historiques de la médina, en particulier grâce à l'appel lancé en 1980 par feu SM Hassan II en faveur de la ville de Fès et qui, a-t-elle précisé, a enclenché l'action de mécènes dans la réalisation de programmes de restauration et de réhabilitation. A cet égard, elle a cité l'exemple du musée des bois Nejjarine et de l'ensemble avoisinant pour donner un aperçu historique sur la bâtisse ancien fondouk créé à l'époque du Sultan Moulay Ismaïl qui a été transformé au temps du Protectorat en commissariat de police avant d'être repris par les autorités marocaines.

Classé monument historique en 1916, le musée Nejjarine a retrouvé sa fonction après sa restauration achevée en 1998 par la fondation Karim Lamrani et qui a coûté environ 25 millions de dhs. Cette restauration réussie qui a concerné également le pourtour extérieur du musée à savoir le quartier des menuisiers, la place et la fontaine, a réhabilité la vie économique de l'espace.
Pour sa part, le responsable de la Fondation euro-arabe (Grenade), a précisé que son institution, depuis une dizaine d'années, milite pour le dialogue des civilisations en particulier entre arabes et européens.

Rappelant la proximité géographique entre l'Espagne et le Maroc, il a mis en relief l'amitié séculaire qui existe entre les deux pays. C'est, alors a-t-il indiqué, que l'objectif de ce colloque se situe dans le cadre des relations de coopération multiples entre les deux royaumes et permet un débat scientifique et académique sur la médina aux plans géographique, urbanistique et architectural.
M. Mohammed Chadli anthropologue/enseignant chercheur à l'INSAP et conservateur du Musée Nejjarine, a pour sa part, fait état de «l'aspect institutionnel de la gestion du patrimoine à l'époque du Protectorat», pour indiquer que cette période au Maroc, s'est caractérisée, par un intérêt particulier accordé au patrimoine.

Il a affirmé que la notion du Patrimoine est une invention coloniale, car dès l'aube du Protectorat, des institutions ayant trait à l'héritage culturel marocain ont vu le jour puisque celui-ci était considéré parmi les clés susceptibles d'éclairer les décideurs sur le pays, les gens, l'organisation sociale, économique et culturelle. C'est pour cette raison, a-t-il ajouté, que le domaine du Patrimoine a demeuré à l'ordre du jour des politiciens et, que les grandes réalisations étaient liées en grande partie à des initiatives d'hommes politiques, dont le maréchal Lyautey.

Faisant état des articulations de la politique coloniale du patrimoine, M. Chadli a mis en exergue le volet juridique rigoureux avant d'aborder la création de musées marocains faite entre 1915 et 1948 et, dont le premier est celui du Batha de Fès. Leur création, a-t-il souligné, revient à la persévérance de personnages connus dans le domaine de la recherche scientifique à savoir que le batha de Fès (1915) est lié à Alfred Bel, les Ooudayas de Rabat (1915) à Prosper Ricard, Dar Jamaî de Meknès (1917) à Mlle S.R.de Lens, celui de la Qasba de Tanger (1922) à Michaux-Bellaire.

Malgré leur implantation dans les différentes villes du pays, les musées marocains se ressemblaient, reproduisaient à quelques différences près le même modèle hétéroclite et étaient des institutions citadines et sélectives. Le patrimoine rural n'y était que partiellement représenté, les concepteurs avaient adopté une approche culturelle réductionniste. Et l'intervenant de se demander dans quelle mesure cet éparpillement des collections pouvait-il servir à éduquer le goût des artisans et de la population marocaine ? Mme Catherine Cambazard Amahan (enseignant chercheur à l'INSAP), s'est quant à elle penchée sur la production d'ouvrages d'auteurs français et notamment ceux d'Alfred Bel et Henry Terrasse relatifs aux inscriptions arabes d'un ensemble de fresques en bois de médersas, des mosquées quaraouiyne et des andalous pour analyser et inventorier les écrits de ces auteurs orientalistes qui toutefois, a-t-elle dit, ont contribué à la constitution d'un fonds documentaire important sur l'art hispano-mauresque.

Elle a précisé que de telles recherches sur l'art dans l'occident musulman ont leurs limites. Ces études se sont limitées aux seuls aspects historiques et ont négligé l'analyse esthétique, a-t-elle estimé. Les descriptions faites par ces chercheurs n'ont pas pris en considération l'art amazighe et n'ont fait qu'établir des comparaisons littéraires pour attribuer à l'Andalousie toutes les créations artistiques exportées en terre marocaine.

Prenant appui sur une citation de chercheurs de l'époque selon laquelle «l'art des Almoravides est un art d'importation, un art andalous en terre africaine», elle a relevé que les spécialistes de l'art islamique occidental n'ont pas pris en compte toutes les sources profondes de créativité marocaine.

Et Mme Cambazard Amahan de démontrer dans son analyse profonde que le Maroc dès le début à été à l'origine de la création d'un véritable courant artistique soutenant par contre que l'oeuvre de création marocaine se distingue par rapport à l'Andalousie et à l'Orient et ce grâce aux résultats de nouvelles recherches entreprises. Elle a conclu que les spécialistes français produisant de telles études de recherches sur le patrimoine marocain étaient conditionnés par des courants idéologiques.

Les travaux de ce colloque international concernent le débat sur quatre grands axes: «La notion du Patrimoine à l'époque du Protectorat», «La ville coloniale», «Fès, ville essentielle» et, «la ville européenne exportée».
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