L’évolution des rapports entre parents et enfants : tant qu’il y a de la vie, il y a conflit de générations
Les conflits entre les âges sont des rapports sociaux, des moteurs de l’action de la société sur elle-même. En dépit de l’évolution sociale qui laisserait croire que jeunes et moins jeunes sont plus proches, les générations continuent de sR
LE MATIN
05 Février 2004
À 19:21
Si les jeunes manifestent un plus grand désintérêt à l’égard des traditions, les personnes âgées adoptent généralement l’apathie et l’indifférence. Hind, âgée de 14 ans, n’apprécie guère les chansons de Mohamed Fouiteh que son père passait sans arrêt sur le tourne-disque familial. S’agit-il bel et bien d’un conflit de générations? Il semble que, peu importe le modèle éducatif choisi, personne n’y échappe! En parlant du conflit des générations quelqu’un a dit : «Lorsqu’un enfant atteint le palier de l’adolescence, c’est le temps pour son père, s’il veut rester à son niveau, de redescendre à celui de sa jeunesse». En effet, tout le conflit des générations prend sa racine dans le fait que les parents n’essaient pas de se mettre à la place des jeunes.
La conséquence est décrite en ces termes par le Dr. Abderrahim Najati, psychiatre : « Pendant ses quinze premières années, les parents apprennent à leur fils à être un homme. Pendant les quinze années qui suivent le fils doit apprendre à ses parents qu’il n’est plus un enfant. Dans l’éducation des enfants, c’est l’adulte qui pose un problème, pas l’enfant. La meilleure thérapie que l’on puisse offrir à un enfant est sans doute un adulte stable, au cœur plein d’amour et de tolérance. Les parents doivent s’occuper de l’éducation de l’enfant dans un esprit d’amour et d’encouragement. Car, dès leur naissance, les enfants prennent les caractéristiques des adultes qu’ils deviendront».
Dans la structuration d’un adolescent, c’est la confrontation positive avec la génération précédente qui permet de se mesurer et de grandir. Il se peut que l’évolution des rapports entre parents et enfants au cours de la vie de famille soit liée aux mauvais traitements que les enfants font subir leurs parents âgés. Dès son jeune âge, le petit tendra à s’affirmer envers et contre tous dans la bataille du non. Par cet affrontement, le petit affirme son désir de ne plus être à la merci de ses parents. Il s’approprie le monde à partir de ses expériences et par là même, définit sa propre identité. Au fil des ans, l’évolution de l’enfant passera par la réévaluation de ses parents de façon plus réaliste.
Ce processus implique une désillusion progressive par rapport à l’image idyllique de parents tout-puissants. Après les premières désillusions, l’enfant deviendra apte à chercher ailleurs ce qui ne peut lui être fourni par ses parents. Cette quête contribuera à enrichir sa personnalité et son expérience de la vie. À l’adolescence, le conflit des générations est réactivé. Cette fois, l’enjeu est de taille. Il s’agit pour l’adolescent d’atteindre la maturité adulte et de s’affranchir du lien de dépendance affective et physique qui le lie à ses parents. La relation établie avec ses parents entrera alors dans une phase critique, subissant une transformation profonde et définitive. À travers cette période, l’adolescent éprouvera le besoin de contester et de s’opposer systématiquement aux choix de ses parents. Ces derniers font souvent référence aux adages pour atténuer l’image de leur violence ou la non reconnaissance de la maltraitance : “ Les enfants sont comme le cumin ; si tu ne l’écrases pas il ne donne pas tout son arôme ”…S’habituant à ce genre d’éducation, les enfants, en devenant adultes, font subir à leurs progénitures le même traitement. Ce qui fait que le respect de l’autorité des parents devient un vain mot. Et aux parents, il ne reste qu’à se plaindre, comme ce père qui disait : «Quand j’étais enfant je faisais toutes les volontés de mon père.
Maintenant il faut que je fasse celle de mon fils. Je me demande quand je pourrai agir à ma guise?». Les parents oublient souvent ce qu’ils seraient s’ils étaient nés dans une famille où c’est le père qui impose sa loi, qui traite son fils majeur comme il le traitait quand ce dernier était enfant. Les parents oublient ce qu’ils seraient aujourd’hui si, durant leur enfance, ils avaient eu à leur disposition tant de films où l’enfant voit avant d’atteindre quatorze ans des milliers de scènes de meurtre et de violence.
En fait, le conflit des générations est un faux conflit. On trouve des «jeunes» plus « vieux» que certains «vieux», et vice-versa. Le conflit est défini comme étant un moment de rupture permettant de saisir le changement. Celui-ci et le progrès associées à la révolution culturelle sont indépassables. Le changement passe si lentement d’une génération à l’autre que le fils pouvait s’identifier à son père, et prendre le relais d’une autorité fondée sur le même stock de valeurs, la même vision du monde, même si le passage du relais s’effectuait à travers le conflit sempiternel des générations.
Les jeunes contre les vieux
La jeunesse comme âge de la vie s’est beaucoup transformée sous l’effet de mutations sociales et des choix collectifs opérés au cours des dernières années: les jeunes restent plus longtemps dépendants de leurs familles tout en acquérant une autonomie relative de manière plus précoce. Cette dissociation entre l’indépendance et l’autonomie serait d’ailleurs la caractéristique de cette période de la vie. En tout état de cause, cette nouvelle donne affecte profondément le processus d’émancipation individuelle. Peut-on collectivement se satisfaire d’une telle évolution, prépare-t-on ainsi les nouvelles générations à l’exercice de leurs responsabilités futures ? Répondre à ce type de questions suppose de faire un détour par une analyse sociologique des liens qui unissent les différentes générations.
La nouveauté aujourd’hui, c’est que le conflit de générations est d’une autre nature. Il faut d’abord noter que les enfants ne supportent plus aucune injustice, aucune correction ou brimade des adultes. Les enjeux paraissent plus graves, insolubles et décisifs. La rupture culturelle semble si profonde qu’elle ne peut s’assimiler à celles que l’histoire des «périodes ordinaires» nous présente. Sommes-nous victimes d’un simple phénomène d’accélération technologique ? Possible ! C’est, en tout cas, une explication de plus en plus produite.
L’accumulation rapide, précipitée, de modifications importantes de notre environnement, un certain déclin de l’innovation, la sollicitation excessive que ces changements - une histoire haletante - exerceraient sur nos cervelles et nos nerfs, jetteraient les sociétés industrielles dans une sorte de crise d’adaptation, dans un dysfonctionnement, une dépression nerveuse par fatigue.
Un court-circuit, en somme, par excès de consommation et d’informations de toutes natures. Beaucoup de jeunes s’installent dans le refus. Ils s’angoissent des développements exponentiels de l’économie, et ils se replient dans l’indifférence, l’incuriosité et le narcissisme.