L'humain au centre de l'action future

La communauté marocaine est estimée à 350.000 personnes : l'Islam et l'intégration, objet de polémique aux Pays-Bas

La communauté marocaine, estimée à 350.000 personnes, vit actuellement une réalité peu commode aux Pays-Bas, nourrie en l'occurrence par les propos racistes et nationalistes de l'extrême droite néerlandaise. Selon l'avis d'une frange importante de la comm

21 Décembre 2004 À 15:56

" Lorsque j'ai quitté définitivement le Maroc pour les Pays-Bas en 1960, j'ai été persuadé que ma vie, et celle de mes enfants allaient être un long fleuve tranquille. Il a fallu que je trouve immédiatement un travail, et ce n'est pas les occasions qui ont manqué. J'ai accepté allégrement la proposition de me joindre à une équipe d'ouvriers pour construire la route ”, évoque Haj Taher, 65 ans, marocain originaire du Rif.

" Je connais des milliers de marocains, poursuit-il, qui ont accepté les professions les plus rudes, contribuant efficacement à la reconstruction des Pays-Bas après la deuxième guerre mondiale. Aujourd'hui, au lieu que l'on nous laisse avoir du répit, et rattraper le temps perdu en savourant notre retraite, on exige de nous de retourner à l'école pour apprendre obligatoirement le néerlandais”, se plaint-il.

Effectivement, il est rare le jour où les médias n'évoquent pas les problèmes liés aux immigrés marocains. Il en existe énormément ! Cette montée de tensions intercommunautaires est devenue persistante, non pas depuis la mort de Theo Van Ghogh, mais elle a vu le jour depuis les événements du 11 septembre.

Ce ras–le-bol fait des dégâts manifestes à tous les niveaux, et il est traduit notamment par le résultat des sondages locaux qui démontrent que 90% des maroco-néerlandais vivent la peur d'être agressés par les Skin- heads, et 70% pensent sérieusement retourner au Maroc.

"J'ai peur depuis que des écoles et des mosquées marocaines ont été attaquées. Dans la rue j'ai du mal à supporter le regard lourd des gens. J'ai envie de leur crier que je ne suis pas responsable de l'assassinat de Theo van Gogh”, crie F .M , 17 ans et qui porte le voile depuis 4 ans. "Mieux, la semaine dernière, je voulais entrer dans un café, mais à chaque fois on m'a refusé l'accès.”
Du côté des néerlandais, on ne cache pas non plus les discriminations, ni le racisme.

Et selon une enquête publiée par plusieurs quotidiens régionaux, 40 % des personnes interrogées espèrent que les musulmans ne se "sentent plus chez eux” dans le royaume. Les débats continuent au parlement néerlandais, jusqu'au point que certains parlent de "drame interculturel ”, et exigent que l'Etat soit plus ferme envers les immigrés.

Dans les années soixante ou soixante dix, personne ne pensait que les évènements allaient prendre ce genre de tournure. Vers les années soixante, les immigrés marocains dont le souci majeur était de trouver un travail et subvenir aux besoins de leurs familles arrivées en masse, ont vécu pendant de longues années à l'écart. C'est trente ans plus tard que les autorités néerlandaises se rendent compte que leur société connaît de sérieux handicaps. Leur futur sera de plus en plus basané, et il est hors de question de tourner le dos à une jeunesse en total désarroi. Le ministre de l'intégration aux Pays-Bas, Mme Rita Verdonk, impopulaire auprès de la majeure partie de la communauté marocaine en raison de sa fermeté, estime que les communautés musulmanes, en l'occurrence la marocaine, à la fois les hommes et les femmes, doivent absolument maîtriser la langue du pays, et se conformer de surcroît aux valeurs néerlandaises.

Suite à cette décision, une polémique a été vite déclenchée. Une infime partie pense que l'âge n'est en aucun cas un obstacle pour revenir à l'école. D'autres par contre pensent que ce genre de proposition n'est rien qu'une provocation. Fatima Elatik, 30 ans, célèbre auprès de la communauté marocaine, car elle est la star du parti social-démocrate et gère les quartiers de la partie Ouest d'Amsterdam a livré ses impressions sur ce débat et a dit : ma propre mère n'a pas accepté cette proposition. Elle m'a dit qu'il était hors de question de revenir à l'école à son âge. Je respecte, mais les autorités ciblent les gens de moins de cinquante ans. "Quant à l'intégration, la communauté marocaine est exemplaire. Plusieurs élus d'origine marocaine composent les assemblées. Seulement, une poignée de jeunes qui constituent un problème. Je suis née à Amsterdam, je porte le voile, et je tiens à mes convictions de liberté, de socialisme et de musulmane. Je ne changerai pour rien au monde ”, assure-t- elle.

Des tentatives de normalisation

Par crainte que la situation s'envenime, Mme Rita Verdonk a pris conscience que certains débats virulents ont pris des dimensions inattendues, et qu'il était temps de faire freiner la cadence. C'es ce qui explique son ouverture récente, et elle a récemment reçu les représentants de plusieurs groupes musulmans, leur demandant que les concertations entre immigrés et Néerlandais de souche doivent être redoublées afin de contrecarrer la crise.

Des voix s'élèvent dans la communauté marocaine et soulignent qu'ils trouvent inconcevable la manière avec laquelle les médias hollandais traitent les informations en jugeant les gens selon leurs identités religieuses. " Ils ne mettent pas en avant les milliers de gens intégrés, et qui sont brillants dans une multitude de domaines ”, explique Ahmed Larouz, président de Tans (Towards a new start), association maroco-néerlandaise des cadres.

" C'est vrai qu'il subsiste une marge des jeunes troublés, estimée à 5% de la communauté, mais il faut dire que la société néerlandaise est responsable de leur égarement. Il y a trois ans un rapport édifiant a démontré que la communauté marocaine est bel et bien intégrée, mieux que d'autres communautés, mais elle vit toutefois certaines difficultés. Deux ans auparavant, un autre rapport a révélé que 10% des intellectuels maroco-néerlandais sont recrutés par les cellules terroristes, d'où les incessantes intimidations. Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi on continue à mettre toute la communauté dans le même panier, alors que nous n'avons plus rien à prouver.

Nous avons excellé dans tous les secteurs. La littérature aux Pays-bas est resplendissante en raison de la forte contribution des écrivains maroco-néerlandais, continue-t-il. Le domaine de la technologie de l'information connaît également une participation conséquente des néerlandais, originaires du Maroc qui sont patrons de leurs propres entreprises. Des postes politiques des plus influents aux Pays-Bas sont occupés par les hommes et les femmes originaires du Maroc.” Abdmajid Nadir, professeur de Psychologie à l'université d'Amsterdam a reconnu que l'extrême droite néerlandaise a saisi l'opportunité du meurtre du cinéaste, Theo Van Ghogh pour attaquer la communauté musulmane. Il a expliqué que les débats houleux, concernant le double nationalité, la suppression de l'arabe dans les écoles hollandaises, et le fait d'isoler les étrangers dans des écoles, dénommés "les écoles noires ” ont été les raisons logiques suscitant la colère des maroco-néerlandais.

"C'est vrai que la vie est dure ces jours-ci, mais nous continuons, par le biais du débat, d'exiger nos droits et faire front à toutes les accusations non fondées ”, affirme M.Abdmajid Nadir. L'organisation de la première exposition, intitulée " le Maroc, 5000 ans de culture ”, par la Fondation De Nieuw kerk à Amsterdam, inaugurée le 17 décembre dernier et qui s'achèvera le 17 avril prochain, a eu un effet positif tant pour la communauté marocaine que pour les néerlandais eux-mêmes qui auront, durant les quatre mois de l'exposition, le temps de s'apprécier mutuellement et de partager des moments inédits, dont la mission est de découvrir ensemble la civilisation millénaire du Maroc.

" Après quarante ans, c'est la première exposition jamais organisée sur le Maroc aux Pays-Bas. Elle arrive un peu en retard, mais elle a permis aux marocains d'être fiers de leur patrimoine séculaire. Il est important pour eux de comprendre le passé pour mieux affronter l'avenir ”, précise Ahmed Larouz. " Toute la communauté est confiante, et nous estimons que les inconvenances vécues par les maroco-néerlandais sont provisoires. Nous ne cesserons jamais de leur prouver que nous sommes un modèle de communauté qui sait résoudre ses problèmes par le débat et la concertation ”, conclut-il.
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