L'humain au centre de l'action future

«Le Rebelle et le roi» de Béatrice Gurrey : Chirac-Sarkozy : duel au sommet

Alors que Nicolas Sarkozy vient d'être intronisé à la tête du parti présidentiel, l'UMP, gravissant ainsi une nouvel marche vers l'Elysée, Béatrice Gurrey, journaliste au Monde, publie un essai sur la relation qu'il entretient avec le Président Jacques Ch

02 Décembre 2004 À 15:55

1999, après le scrutin européen, Jacques Chirac, qui trouve que Nicolas Sarkozy a mené une campagne trop à droite, dissuade son numéro deux de se présenter à la présidence du RPR. « Le vaincu des européennes obtempère », commente Béatrice Gurrey dans son ouvrage Le rebelle et le roi, «mais en marmonnant aux journalistes : «Il me fait payer aujourd'hui ce qu'il finira par me donner».
Bingo : Nicolas Sarkozy, personnage incontournable du paysage politique français, a été intronisé dimanche dernier à la tête de l'UMP, le parti présidentiel.

Comme il l'avait prévu, Jacques Chirac a fini par céder. Le Président français a beau avoir assorti son accord d'un ultimatum : la conduite de l'UMP ou le poste de Ministre des finances (que Nicolas Sarkozy occupait depuis juin 2002), cet événement marque un réchauffement dans la relation entre les deux hommes, sinon une trêve. En tout cas une nouvelle étape dans la guerre sans merci qu'ils se livrent depuis une décennie, de la sphère intime au plus haut de la pyramide étatique. Affrontement qui en passe de devenir une des sagas les plus retentissantes de la scène politique française de ce début de XXIème siècle. Et pour cause : l'enjeu n'est autre que la gouvernance de la France. Derrière des querelles d'apparence «people», se jouent l'avenir du pays et le devenir politique d'une société toute entière.

Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ne font pas de la politique de la même manière. Ce qui les rapproche et ce qui les oppose constituent l'essentiel de la matière utilisée par Béatrice Gurrey, journaliste au Monde, pour conduire son analyse. Nicolas Sarkozy serait la copie conforme de Jacques Chirac au même âge. Mais le président a changé et l'omniprésence de cet ambitieux sur-actif à ses côtés l'insupporte. Sarkozy campe le fils adoptif (Jacques Chirac n'a eu que des filles) détesté, quand Alain Juppé joue le rôle de fils adoptif adoré. Pourquoi détesté ? Parce que Sarkozy a trahi. Forfaiture dont le premier tiers de Le rebelle et le roi fait le récit. Ni énarque, ni fils de…, mais avocat en droit public et descendant d'une famille de notables roumains, Nicolas Sarkozy a intégré le clan Chirac via la fille, Claude. De la même génération qu'elle (il est né en 1955), ils ont fait leurs classes politique ensemble. Amis, (et seulement amis d'après Claude Chirac), ils ont rapidement fait partie de la garde rapprochée de Jacques Chirac. Mais en 1993, Sarkozy commet l'erreur de faire campagne pour Edouard Balladur. Il ne quitte pas l'Elysée, il en est littéralement banni. Sa traversée du désert ne prendra fin que quatre ans plus tard, en avril 1997, quand Jacques Chirac dissout l'Assemblée nationale. La droite française s'est fait hara-kiri, la gauche revient au pouvoir et Lionel Jospin s'installe à Matignon. Pour supporter la cohabitation, le président Chirac a besoin de toutes ses forces. Il rappelle alors Sarkozy.

Tuer le « père »

Le réchauffement est progressif. Les deux hommes recommencent à travailler ensemble sans pour autant se sauter dans les bras. Résultat d'un système retors selon lequel Jacques Chirac à grands coups de « Nicolas s'en occupe », ne peut se passer de l'indispensable Sarkozy à qui il n'a rien pardonné. Lequel, pour accéder à son rêve suprême de pouvoir, doit forcément en passer par le meurtre du « père ». Les deux autres tiers de cet essai sont donc consacrés à l'exposé des intrigues et coups fourrés qui ont récemment opposé les deux hommes autour de questions comme la discrimination positive, les relations avec les Etats-Unis et la Chine, les rapports avec l'entourage gouvernemental (Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin) et privé (Bernadette Chirac et Cécilia Sarkozy), ou les relations avec les médias.
Pour l'heure, l'un est encore le subordonné de l'autre, comme le président l'a rappelé le 14 juillet dernier par un cinglant : « Je décide, il exécute ». En prenant la tête de l'UMP, Nicolas Sarkozy court le risque de quitter le gouvernement pour retourner à des fonctions de militant. Mais en dépassant les différents pour se poser en grand rassembleur des forces de droite, il gravit une nouvelle marche vers l'Elysée. Sarkozy avance dans la lumière, sabre à la main, claironnant ses effets d'annonce, vendant sa franchise, son dynamisme et son pragmatisme mis au service du libéralisme.

Tandis que le roi se tait, tapi dans l'ombre, ruminant la rancoeur qu'il n'a jamais digérée, et fourbissant ses armes contre ce faux-frère qui conquiert la confiance d'une partie des français à défaut de pouvoir regagner la sienne. Si Jacques Chirac ne désamorce pas la bombe Sarkozy d'ici trois ans, il est quasi certain qu'ils se disputeront le trône en 2007. A travers vingt-six petits chapitres incisifs auxquels il manque quand même des repères plus généraux pour les « extérieurs au sérail », Béatrice Gurrey l'assure et le démontre : ce duel ne peut se finir que par une mort politique. Ou deux.

Le Rebelle et le roi, Béatrice Gurrey, Albin Michel, 238 p.
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