L'humain au centre de l'action future

Le Roi Arthur de Antoine Fuqua : Chevaliers de l'hécatombe

A chacun sa table ronde : la légende arthurienne qui célèbre, depuis le Moyen Age, les aventures du roi Arthur et de ses chevaliers a fleuri sous maintes formes. Celle que lui donne le réalisateur Antoine Fuqua est loin d'être convaincante : si elle se ve

05 Août 2004 À 16:22

Le roi Arthur doit se retourner dans sa tombe en criant à l'usurpateur : cette énième variante de ses aventures a beau se vouloir plus authentique, elle balaie les mythes celtiques avec une inconscience souveraine. Certes, les innombrables récits qui composent la légende arthurienne n'ont cessé de broder l'histoire d'Arthur et des chevaliers de la Table ronde depuis le Moyen Age, à tel point qu'aucune version ne fait vraiment autorité aujourd'hui.

Mais de réécriture en réécriture, un mythe s'est néanmoins formé avec des lignes forces dont ce nouveau Roi Arthur semble se moquer éperdument. Exit la quête du Graal, l'idéal chevaleresque, l'amour courtois, la magie entourant Merlin, la Dame du Lac, l'épée Excalibur, la forêt de Brocéliande, et ce mélange d'histoire et de légende, de merveilleux et d'exploits guerriers qui nourrit les romans de chevalerie.

Antoine Fuqua et son scénariste David Franzoni ont voulu jouer le « réalisme » en développant l'hypothèse, recevable paraît-il, selon laquelle Arthur, mi-breton, mi-romain, se serait entouré d'une bande de chevaliers mercenaires venus d'ailleurs pour défendre l'actuelle Angleterre face à l'envahisseur saxon. Aussi, dans ce film qui se déroule au 2ème siècle (et non au 5ème comme l'Histoire le suppose), Lancelot, Gauvain, Tristan, Bohort et consort descendent d'une tribu Sarmate (peuple de nomades iraniens) que Rome, lors de sa grande conquête jusqu'en Arabie, a épargnée pour sa valeur au combat. Ces combattants sarmates sont condamnés à servir l'Empire romain pour racheter leur liberté.

C'est dans cet espoir qu'ils se battent depuis quinze ans aux côtés d'Arthur, chef apprécié pour ses visées égalitaires dont la Table ronde - autour de laquelle tous les convives ont la même importance - est le symbole le plus évident. Mais ils ne sont guère plus que sept à prendre place autour : si le récit de leurs exploits fait frémir la Bretagne entière, les chevaliers d'Arthur meurent les uns après les autres et, avec eux, l'espoir de pouvoir rentrer un jour au pays. Lorsque ce jour arrive, Rome impose un ultime chantage qui va renverser le destin d'Arthur et celui de la Bretagne.

La liberté comme nouveau Graal

La première tentative délicate consiste à reconnaître les chevaliers de la Table ronde sous les traits de ces cavaliers hirsutes, païens et paillards dépeints par Antoine Fuqua et David Franzoni. La légende ne dit pas, bien-sûr, si les personnages du mythe étaient mieux peignés. Mais elle raconte, en revanche, que Lancelot du Lac a aimé éperdument la reine Guenièvre alors qu'elle était déjà l'épouse d'Arthur couronné de longue date.

Tandis que, dans le film de Antoine Fuqua, Lancelot se fait le témoin du parcours d'Arthur, de sa rencontre avec Guenièvre et de sa marche vers le trône. Destinée qu'il ne pourra achever de rapporter puisque le personnage-narrateur trépasse avant la fin... Par ailleurs, Merlin n'est pas l'éducateur d'Arthur comme la légende le prétend souvent, mais l'assassin de sa mère. Chef de la résistance bretonne, l'enchanteur reste quand même celui qui pousse le roi vers ses futurs responsabilités. Excalibur est arrachée rapidement au détour d'un orage, de Brocéliande, le nom n'est même pas prononcé, et ni filtre, ni potion, ni prodige ne viendront accompagner les guerriers de leurs étincelles. Quant à Gauvain, Tristan et les autres, ils prennent de charmants airs vikings qui siéent relativement mal à leurs prétendues origines.

Point de quête mystique non plus : le nouveau Graal, c'est la liberté. Les chevaliers de la Table ronde n'ont que faire du dieu chrétien d'Arthur, et ne jurent que par leur épée et leur terre. Arthur, lui (Clive Owen), est partagé entre la chrétienté enseignée par Rome et les leçons de l'hérétique Pélage, grand défenseur du libre arbitre qui finira excommunié. Le seul intérêt du film de Antoine Fuqua c'est d'avoir tenté le portrait d'un homme sans terre et sans attaches partagé entre ses origines et ses aspirations. Quand il prend conscience que la Rome démocratique à laquelle il croit n'existe plus, il réalise que le temps est peut-être venu de défendre la Bretagne occupée.

Arthur ou Tartempion ?

Heureusement, finalement, que les chevaliers de la Table ronde sont à ce point païens, sans quoi, en ces temps où certains brandissent le «choc des civilisations », il aurait été facile de gloser sur cette nouvelle version de la légende où la chrétienté libératrice et conquérante est imposée par Rome au détriment de chevaliers venus d'Orient et des Bretons occupés. Mais il y a peu à attendre de la vision historique de Antoine Fuquia (Les Larmes du soleil, Training Day). Elle ne fait figure que d'alibi : entre les Sarmates, les Guèdes, les Bretons, les Saxons, la Rome chrétienne et la légende arthurienne, bien malin qui pourra trouver des repères. Et c'est en cela que réside l'outrage : non pas en ayant trahi la légende «établie», mais en l'ayant dénaturée avec des éléments peu fiables qui finissent par constituer un produit de culture mondialisée prête à l'export dans laquelle Arthur pourrait aussi bien s'appeler Tartempion.
Dans une intrigue brouillonne où les ennemis sont alternativement Rome (le méchant évêque) et les Saxons (Stellan Skarsgard, le méchant chef), les combats se succèdent à la vitesse requise par tout film d'action hollywoodien. Peu de sang mais lancers de flèches et d'épées à profusion dans d'épais nuages de brouillard, de fumée et de pluie (Grande Bretagne oblige) sous des effets de lumières blanches saturées. Autant avouer que la première partie s'apparente à un jeu de piste dans la mélasse. D'autant plus surprenante l'attention déclenchée par la seconde partie. Huit chevaliers faisant face à un détachement saxon sur un lac gelé, les envahisseurs pris au piège par Arthur et les archers bretons dans l'enceinte d'une diabolique muraille : le spectacle stratégique des batailles, les extérieurs et les chevaux à défaut des décors, finissent par avoir raison de l'ennui. Pas suffisamment pour épargner la légende arthurienne, mais juste assez, peut-être, pour sauver une séance de cinéma.

Le Roi Arthur (King Arthur), film américain de Antoine Fuqua avec Clive Owen, Keira Knightley, Ioan Gruffudd, Stephen Dillane, Stellan Skarsgard.
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