Le renouvellement de l'élite politique au cœur de toutes les interrogations : Et si l'engagement politique avait encore du sens
Y a-t-il un lien entre le séisme d'Al Hoceima et le renouvellement de l'élite politique ? La question n'est pas incongrue à voir, ici et là, l'exploitation politicienne de la détresse des sinistrés qui a été l'œuvre de certaines notabilités locales.
LE MATIN
03 Mars 2004
À 19:35
Il y a quelques années, le président de la chambre des Représentants, le socialiste Abdelouahad Radi faisait scandale, en direct à la télévision, en affirmant que sous la coupole les députés n'étaient en fait que des notabilités. Pour la première fois, dans un pays où l'on préfère les murmures de salons, la langue de bois à la télévision et le consensus lisse et plat, un homme public posait devant le plus grand nombre le problème de l'élite politique et, surtout, de son renouvellement.
Il y a quelques semaines, il s'en expliquait sur nos colonnes. «Les institutions politiques comme le Parlement doivent accueillir les élites et les militants.
Ce n'est pas le domaine strict des notables. On peut trouver les notables dans les conseils locaux ou dans des conseils professionnels. Je ne suis pas contre les notables. Au contraire, je trouve qu'ils ont des fonctions à remplir.
Or, j'ai constaté que les personnes se destinant à la politique, adhérant aux partis, militant, ne rentrent pas dans les institutions. Au moment où ces personnes doivent cueillir le fruit de leur action militante, c'est à dire se présenter aux élections pour entrer dans les institutions, le chemin leur est fermé. Notre système électoral et politique ne favorise pas l'accès des militants et des élites politiques dans les institutions.
Ceux qui les remplacent au sein de ces institutions –sachant que les élites ont la voie administrative, c'est ce qu'on appelle les technocrates- ce sont bien les notables. Il faut avoir des institutions où il y a des notables mais aussi des élites. Les militants représentant une partie des élites qui ne vont pas dans les institutions, vont dans les ONG, la presse, les syndicats pour revendiquer. Ils font en dehors des institutions ce qu'ils auraient fait s'ils étaient acceptés et admis dans ces institutions».
En terre marocaine, le débat sur le renouvellement de l'élite politique est récurrent. A coups de colloques, conférences et table-rondes, il est toujours de bon ton de fustiger le non rajeunissement de cette même élite ou encore son absence du terrain politique. Bref, il y a un problème d'élite politique. Les crises viennent souvent le rappeler. Le séisme d'Al Hoceima a en été l'ultime exemple. L'absence des politiques sur le terrain de la catastrophe pour certains ou, plus grave encore, l'exploitation politicienne de la détresse des sinistrés, a fait couler encre et salive.
C'est ce qui fait sans doute dire à A. Radi qu' «il faut trouver un moyen pour faire place à ces élites. Je connais un parti très bien installé dans le pays qui a présenté 11 de ses dirigeants nationaux aux élections. Un seul est passé. C'est anormal ! Je connais beaucoup d'autres partis qui présentent leurs dirigeants.
Aucun ne passe et ce sont les candidats locaux et lointains qui réussissent. On trouve des députés de partis qui ont pignon sur rue mais qui sont eux d'illustres inconnus. Ce n'est pas normal. Dans les pays démocratiques, on trouve l ‘élite des partis dans les institutions. Ici, ce ne sont pas les partis qui refusent que leurs élites soient dans les institutions, c'est le mode de choix qui fait que ces gens sont éliminés.
Un notable remplit sa fonction, ses relations avec les populations sont traditionnelles, héritées, clientélistes». Le dirigeant usfpéiste le dit sans ambages : un notable est plutôt partisan du statu quo, du maintien de l'équilibre. «Il n'est pas l'agent du changement et du progrès. On ne peut pas avoir une société dirigée uniquement par des notables. Ce sont les militants, ces élites politiques, qui sont porteurs du changement. Sans quoi, comment voulez-vous une société démocratique, moderne, solidaire, développée ?»
La question relève du cas d'école. Comment réconcilier la jeunesse marocaine avec l'action politique ? Comment surtout lui expliquer que l'engagement a encore du siècle en ce début de siècle? «Si on veut que les partis jouent leur vrai rôle qui est celui de représenter, d'encadrer la société, il faut faire en sorte que cesse le dénigrement systématique, irresponsable et suicidaire de l'action politique. Nous sommes au Maroc, nous avons les partis politiques du Maroc aujourd'hui et nous aurons les partis que nous aurons mérités le jour où nous ferons en sorte que le maximum de gens motivés, convaincus, intelligents, intègrent auraient rejoints ces partis. Les partis politiques doivent ouvrir les portes et les fenêtres.
Ce sont des instruments de la démocratie et du pluralisme. Il faut qu'ils s'ouvrent sur la société, sur ceux qu'ils sont censés représenter. Les mécanismes à l'intérieur des partis doivent également encourager la participation, l'accès aux responsabilités et même une certaine promotion interne. Il est important qu'il ait possibilité pour un jeune qui adhère aujourd'hui de pouvoir être, dix ans plus tard, un dirigeant. L'isolement dans lequel les partis se mettent doit cesser parce qu'il y a une espèce de frilosité vis-vis de nouveaux arrivants.
Il y a une espèce de culture qui sacralise la nostalgie, une sorte de pureté dangereuse. C'est comme s'il y avait des gens qui ont le droit d'être dans le parti parce qu'ils y sont depuis une certain nombre d'années et les autres. Un parti doit avoir des critères sérieux d'adhésion, d'évaluation de l'action militante et faire en sorte que son identité soit protégée.
Il faut enfin que cesse dans la société, chez les jeunes et les moins jeunes, cette idée selon laquelle il y aurait des gens dont le métier serait de faire de la politique, qui seraient des professionnels de la politique, à qui on laisse le champs libre. On les accable de toutes les responsabilités, on les laisse gérer nos vies en démissionnant, nous, de la participation, de l'engagement !», s'exclame le secrétaire d'Etat à la jeunesse, Mohamed El Gahs.
Le secrétaire général du PND, lui, est beaucoup plus tranchant. «Les jeunes ne croient pas à la politique parce que jusqu'à présent parce que les partis n'ont pas fait tout le nécessaire pour recruter ces jeunes et les sensibiliser à la démocratie. Pour les jeunes et moins jeunes, pour nous tous, l'avenir, c'est la démocratie. On ne peut plus prendre le risque d'un retour en arrière. C'est pour cela qu'il faut faire comprendre aux jeunes que c'est de leur avenir dont il s'agit».
Les choses se compliquent un peu plus lorsqu'on sait que le problème n'est pas seulement dans le renouvellement du personnel politique mais aussi dans le discours porté par les partis.
«Ce discours est marqué par une ambivalence où il s'agit de sauvegarder les apparences et sauver les acquis. On y voit aussi cette volonté de faire mieux sans préciser les armes ni les stratégies. On a l'impression qu'on fait de la confusion, de l'amalgame par le discours politique.
Il n'est plus mobilisateur. Nous sommes en présence d'un discours défensif qui s'inscrit par rapport à des intérêts subjectifs. Le discours fait la confusion entre la démocratie et le populisme, entre la démagogie et le mensonge. La dernière intervention du premier ministre à la télévision a laissé tout le monde perplexe…
Le discours des partis est encore habité par le passé lointain ou présent. Il ne porte pas l'élan, n'engage pas les Marocains dans des rêves, n'est pas mobilisateur pour des actions profondes, pour une ambition nationale autour d'un nouveau pacte social où le politique serait réhabilité.
Le discours politique actuel se distancie largement du vécu des citoyens, un peu comme s'il se nourrissait de lui-même. J'ai le sentiment qu'il y a une sorte de pensée unique générale sur fond d'un discours contre-productif», nous expliquait à la veille des élections l'universitaire Ali Sedjari, également auteur d'un ouvrage sur les élites politiques au Maroc.