Le séisme d'Al Hoceïma, le gouvernement et la presse : cherche information désespérément
La presse est impitoyable. Les héros d'hier sont brûlés sur le bûcher des vanités. Des procès en sorcellerie sont instruits dans une confusion des genres où le journaliste est tout à la fois procureur, justicier et policier. Le séisme d'Al Hoceïma s'est f
LE MATIN
09 Mars 2004
À 20:50
Ce sont aussi des recettes commerciales. Il est souvent de bon ton de reprendre à son compte la fameuse formule selon laquelle le gouvernement est l'ennemi du peuple. S'en prendre au gouvernement en place, réclamer la tête du Premier ministre, revendiquer la démission de tel ou tel autre ministre, sont finalement des marronniers», explique, sourire en coin, un universitaire spécialisé dans la presse.
48 heures après le séisme d'Al Hoceïma, alors que des morts étaient encore sous les décombres et que le comptage morbide était toujours provisoire, des journaux concluaient très vite à deux faillites: celles du gouvernement et des deux télévisions nationales. Une polémique venait de naître, le lectorat allait être tenu en haleine et pendant ce temps, tout ce temps, la terre n'en finissait pas de trembler, à Al Hoceïma et sa région.
La directrice de l'information de 2M a du mal à cacher son indignation. «Je suis outrée quand je lis que c'est la télévision espagnole qui a été la première sur les lieux de la catastrophe et qu'elle a été la première à diffuser les images du séisme d'Al Hoceïma. C'est un mensonge. La première image du tremblement de terre a été diffusée part 2M le mardi 24 février à 12 heures et 47 minutes, soit 12 heures après le drame. Ce sont bien ces images, nos images, qui ont été reprises par les télévisions étrangères qui, elles, nous ont fait confiance. De même que TF1 a fait confiance à un journaliste de 2M, Salah El Ghomari, présent sur les lieux, qui a fait l'ouverture du 20 heures», explique Samira Sitaïl, s'empressant de féliciter ses journalistes, ses techniciens, ses camerawomen «qui ont passé leurs nuits dans les voitures, dans les rues d'Al Hoceima».
Les journalistes n'aiment pas les trains qui arrivent à l'heure et leur préfèrent cet homme qui mord le chien. Résultat, personne n'a choisi de retenir comme matière les coulisses de la couverture télévisuelle ou de raconter comment les télévisions marocaines ont couvert l'après-séisme. «Qui s'est intéressé de savoir que 2M a affrété un avion au petit matin du 24 février pour dépêcher équipe et matériel sur place et que nous avons d'abord utilisé les moyens techniques de la RTM car l'avion avait du retard», s'exclame celle en charge de la direction de l'information à la chaîne casablancaise.
Le risque universel de la manipulation
C'est la même incompréhension que l'on retrouve chez l'universitaire et écrivain Mustapha Zaoui, celui-là même qui promène, à travers ses écrits publiés régulièrement sur les colonnes d'Al Bayane, un regard amusé sur ses contemporains. Il parle volontiers d'une campagne contre le gouvernement et particulièrement le ministre de la Communication. «Tout le monde reconnaît que cette campagne a été un succès fulgurant. Ce succès a même dépassé les prévisions de ses initiateurs. De plus, la rumeur de l'existence de directives de " casser ” du gouvernement a fait que la plupart des journalistes se sont rabattus sur une apologie de la société civile qui, comme chacun sait, est beaucoup plus sympathique et a au moins le grand mérite de n'exercer aucun pouvoir qui peut s'avérer coercitif», affirme-t-il, n'hésitant pas à tremper sa plume dans la plaie.
Le séisme d'Al Hoceïma et l'organisation des secours sont-ils réellement à l'origine de «l'impopularité» de l'Exécutif décrété par certains confrères ? Difficile de le croire au regard des témoignages de l'Organisation mondiale de la santé, d'ONG internationales et de responsables étrangers qui ont vécu «in live» aide et secours apportés aux sinistrés du Rif. Faut-il alors adopter la même conclusion que bureau politique du Parti du progrès et du socialisme –dont le ministre de la Communication est un membre dirigeant- qui rendait public lundi 8 mars un communiqué pointant solennellement «a dérive» ? Les ex-communistes ont eu, écrivent-ils, à «constater ces derniers mois une prolifération d'analyses visant à théoriser le soi-disant échec de l'équipe gouvernementale en commençant par le Premier ministre et à promouvoir une autre équipe gouvernementale disposant d'une majorité nouvelle préfabriquée ou constituée par des technocrates disposant d'une baguette magique à même de résoudre tous les problèmes du Maroc». Et le communiqué de l'instance exécutive du PPS de relever que «ce type de discours a atteint son paroxysme avec la catastrophe d'Al Hoceima que d'aucuns ont choisi sans vergogne, comme cheval de bataille, exploitant des carences administratives et organisationnelles, somme toute naturelles, enregistrées lors des deux premiers jours du séisme».
Le risque est universel : les journalistes sont exposés à la manipulation. A Al Hoceima, un correspondant d'une agence de presse internationale en fera les frais. Il répercutera une fausse information –avant de se fendre d'un démenti- qui lui aurait été transmise par un politique de la région lequel voulait visiblement régler ses comptes sur un plan local. Mais quand un journal réclame des têtes et des démissions, sont-ils vraiment dans leur rôle ? Sont-ils les porte-parole d'une majorité silencieuse et d'une opinion publique aux tendances sondées? Ou se font-ils tout simplement manipulés, servant, à l'insu de leur plein gré, les intérêts des uns ou des autres ? Pour la première fois de son histoire, la direction de la communication du ministère du même nom sort de son silence et publie un communiqué pour rétablir quelques vérités, à l'adresse des journalistes, dans une mise au point publiée samedi 6 mars sur les colonnes de L'opinion. «Il ne semble pas opportun ici d'entrer dans le détail de l'infrastructure hôtelière de la région devant un sinistre de l'ampleur de celui d'Al Hoceïma. Il me semble même indécent de parler des conditions de logement et de nourriture», y écrit Fatiha Layadi.
Le séisme d'Al Hoceïma aura l'effet d'une onde de choc dans la pratique journalistique en terre marocaine. L'interrogation fait aujourd'hui débat, jusque dans les salons feutrés plutôt prompts à ne jamais prendre position : peut-on s'en prendre à la vie privée des citoyens qu'ils soient hauts responsables ou simples quidams ? Un ministre est-il forcément un coureur de jupons et un journaliste un flic reconverti dans l'écriture ? L'insulte et l'invective ne portent-elles pas atteinte à la dignité des hommes et des femmes ? «Nous n'avons rien inventé et nous ne sommes pas les premiers à vivre cette agitation où le médiatique se prend pour le politique, où la vie privée des personnages publics est jetée en pâture .
Sauf que les pays qui ont en commun ces dérives ont pu s'en sortir en instaurant une sorte de modus vivendi entre les médias et les sphères du pouvoir. C'est bien François Mitterrand qui avait organisé, au soir de sa vie, la publication des photos de sa fille naturelle Mazarine alors que le Tout-Paris en avait connaissance depuis des années», souligne un fils de pub.
L'indignation gagne peu à peu les uns et les autres. Et l'on parle déjà d'une pétition de la société civile pour que la presse marocaine préserve la mission première qui est la sienne : informer.