Spécial Marche verte

Le sort des enfants abandonnés est lié à celui de leur mère

Face au regard critique de la société, sans appui ni reconnaissance, la mère célibataire, souvent pauvre et analphabète, n'a d'autre choix que d'abandonner son enfant. Des situations synonymes de craintes, d'angoisses et de désespoir. Jusqu'à ce que des a

01 Janvier 2004 À 18:27

Quatre mères célibataires sur cinq abandonnent leur progéniture dans une maternité. D'autres se séparent définitivement d'eux sur la voie publique. Au moins cinq bébés «sans père» naissent chaque jour à Casablanca, selon les chiffres des hôpitaux. La plupart d'entre elles sont des jeunes servantes agressées sexuellement par leur employeur. Elles sont analphabètes. Dès l'enfance, elles ont été placées par leurs parents dans des familles aisées. Engagées pour faire les travaux ménagers, elles ont été privées d'éducation... et d'affection. En manque d'amour, ces adolescentes se retrouvent souvent dans des situations inextricables. Il arrive qu'elles se fassent violer.

Dans ce cas, elles sont devant un double paradoxe. Pour reconnaître l'enfant, l'homme demande à épouser la mère violée qui se retrouve mariée à celui qui fut son bourreau. En plus d'être victimes de viol, la société leur reproche d'avoir provoqué le drame. Dans la plupart des familles, il n'est absolument pas question que la jeune fille puisse être vue dans cet état par son père ou ses frères. Il y a trois solutions: soit elle demande à l'homme de l'épouser ; soit elle se fait avorter ou s'il est trop tard, elle ira accoucher incognito, loin de chez elle, là où personne ne peut la reconnaître. Si beaucoup sont de crédules petites bonnes venues des campagnes, elles peuvent aussi être étudiantes ou ouvrières dans une usine quelconque. Le géniteur peut être le patron ou son fils, un homme accueillant rencontré un jour d'errance, mais aussi «le prince charmant». Amina, 22 ans, raconte son calvaire : « Dans le passé, j'ai toujours été exploitée par une famille riche. A l'âge de 8 ans, je travaillais déjà comme petite bonne. Mes parents voulaient que je leur rapporte de l'argent. J'étais souvent battue. Je mangeais les restes et dormais par terre dans la cuisine.

Je ne savais jamais où mon travail s'arrêtait. Souvent dans le lit de mon maître quand sa femme est absente jusqu'au jour où je suis devenue fille-mère rejetée. Aujourd'hui, je me retrouve avec un fils que son père renie. Ma famille ne sait pas que j'ai eu un fils. Que faire alors ?». Le Dr. Najat M'Jid, pédiatre et présidente de l'association Bayti souligne que « Le concubinage n'est pas toléré. Officiellement, aucun acte sexuel n'est permis hors du mariage. Si une femme célibataire tombe enceinte et que le père refuse de reconnaître sa paternité, elle sera considérée comme une prostituée… En rejetant ces mères célibataires, ce sont leurs enfants que la société abandonne. D'où l'importance de changer les mentalités. Parce que cela ne sert à rien de changer tous les codes du monde, si les mentalités n'évoluent pas !». Pour sa part, l'Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse (Insaf) accueille des mamans à leur sortie de l'hôpital.

Fondée en 1999 par Meriem Othmani, la structure a pour objectif principal de lutter contre l'abandon. C'est Aïcha Ech-chenna qui dispose d'une grande expérience dans le combat pour la levée du tabou sur les mères célibataires, souvent des petites filles victimes de viols ou d'inceste. A travers son association «Solidarité Féminine» fondée pour prévenir les abandons d'enfants au Maroc, Mme Ech-chenna prend en charge les mères célibataires et leurs nourrissons et les aide à se réintégrer, au sein de la société et de leur famille. «Solidarité Féminine» est une autre structure à prendre en charge les jeunes mères et leurs enfants illégitimes.
Reconnue d'utilité publique par l'Etat, l'association donne un hébergement à ces femmes rejetées, elle s'occupe de leur enfant et leur offre une formation de pâtissière, cuisinière ou de vendeuse de kiosque. Avec un diplôme en poche, elles ont une petite chance de se réintégrer dans la société.

La présidente Aïcha Ech-Channa explique que «C'est après avoir vu une mère abandonner son enfant que j'ai décidé de fonder «Solidarité Féminine». Les orphelins sont trop nombreux au Maroc. J'ai voulu agir en amont en m'attaquant à l'une des causes du problème.» Etre mère célibataire est parfois le seul dénominateur commun de ces filles aux histoires et aux tempéraments différents. Il leur faut cependant vivre ensemble, respecter règles et emploi du temps difficiles. Levées à 6 heures, elles déposent leurs enfants à la garderie du rez-de-chaussée, entament une journée qui ne se terminera pas avant 19 ou 20 heures, avant de retourner passer leur soirée dans une petite chambre qu'elles partagent à trois.

Le tout pour quelque 250 dirhams par semaine. Fatima indique : « Une mère célibataire est toujours jugée sévèrement par la société qui doute de sa capacité à pouvoir s'intégrer et se marier. Aux yeux de tous, elle a pêché et elle doit subir le châtiment le plus sévère. Elle est souvent considérée comme une fille facile qui se donne au premier venu».
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