Les Berbères de France affirment leur différence
«Nous ne voulons plus rester discrets, être confondus avec les Arabes ou uniquement désignés comme musulmans», explique Mustapha Saadi, président de la Coordination des Berbères de France (CBF). «Nous avons besoin d'être reconnus.»
Quelque mille personnes, responsables associatifs et particuliers, sont attendus ce week-end à Issy-les-Moulineaux pour les premières assises des Berbères de France. Pour annoncer la manifestation, le maire UDF André Santini a vanté «ceux qui réussissent le mieux parmi les immigrés» pour citer dans la foulée «saint Augustin le Berbère», puis «Zidane et Adjani». Plus modestes, les membres de la CBF rappellent, eux, la présence ancienne des Berbères en France. Ils seraient aujourd'hui quelque 2 millions, dont 600 000 en Ile-de-France. «Nous avons une expérience millénaire du métissage, de la tolérance.
Nous ne supportons plus que tout cela soit nié. Nous ne sommes pas des beurs», dit Leïla, étudiante en DEA. A l'université, ses professeurs n'ont pas compris son intérêt pour le sujet: «Tu devrais plutôt t'intéresser aux Arabes !», lui auraient-ils conseillé. Rachid, lui, était forcé par ses maîtres à suivre des cours d'arabe dans le cadre des enseignements pour enfants d'immigrés. «Apprends ta langue !», lui disaient ses maîtres, à lui, le Kabyle.
Aujourd'hui, «dans cette concurrence des identités que vit la République», le désir de reconnaissance s'affirme. Le message des Berbères se veut tout sauf une revendication : «Nous ne demandons ni postes, ni lois spécifiques. Nous voulons nous montrer et partager notre richesse culturelle, explique Karim Khoukhi, avocat dans un grand cabinet anglo-saxon installé à Paris.
Moi qui sais d'où je viens, je n'ai jamais été confronté au racisme.» Pas plus qu'à la discrimination qu'il croit autant liée au statut social qu'à l'origine des individus. Beaucoup dans la CBF partagent cette vision d'une culture protectrice : «Celui qui connaît ses racines et son identité va plus facilement vers les autres», dit Linda, juriste. Mais la transmission de cette culture n'est pas toujours assurée. La plupart des jeunes sont «paumés», assure Mustapha Saadi. Aujourd'hui, «nous avons le devoir de protéger nos enfants contre les sirènes des islamistes en leur inculquant une vision juste de leur histoire». Urbaniste et président de l'association Awal Grandlyon, Yazid Ikdoumi insiste : «La laïcité est familière aux Berbères.» Traditionnellement, les villageois prenaient les décisions collectivement, sans référence à Dieu. «Nous avons une conception individuelle de la religion, dit encore Nadia, juriste. La pratique n'est qu'une partie de notre identité.
Elle est replacée dans une culture, ce qui la tempère, l'accommode à la dimension humaine.» Quoique pétrie de traditions, la première génération d'immigrés n'a pas toujours transmis la culture.
Dans les «arouch», ces associations villageoises reconstituées de ce côté-ci de la Méditerranée, on s'occupe surtout du développement du bled et du rapatriement des corps des défunts. Une nouvelle génération d'associations, notamment celle des juristes berbères, est plus engagée socialement. Au-delà du traditionnel et vivace soutien aux Kabyles d'Algérie, ces structures tentent de faire vivre le patrimoine et les traditions à travers les cours de danse, de percussions et de langue.
A défaut d'une reconnaissance médiatique à laquelle il aspire, le message des Berbères semble passer auprès de certains politiques. Nicolas Sarkozy et François Bayrou se sont annoncés à ces premières assises d'Issy-les-Moulineaux...
[Le Figaro, 18 décembre 2004]