Messaoud, barcassier depuis près d'un demi-siècle : le passeur de Bouregreg a aussi ses états d'âme
Cela fait quarante-trois ans que Messaoud est barcassier. La majeure partie de sa vie, il l'a passé à ramer pour faire traverser les passagers d'une rive à l'autre. Une profession dans la tourmente et qui doit résister aux abordages d'une concurrence délo
LE MATIN
06 Octobre 2004
À 16:14
Matinal, Messaoud est, chaque jour, dès 7 heures sur le rivage du fleuve Bouregreg : son lieu de travail.
En attendant de compléter le nombre de passagers dans sa barque, Messaoud se confie. A 74 ans, pas question pour lui de passer la main. Passionné et conteur à la fois, il raconte son histoire aux passagers sans jamais oublier de prodiguer des conseils aux jeunes.
Il passionne les uns mais agace les autres. Mohamed, fidèle client de Messaoud le taquine un peu : "Je l'estime beaucoup mais, je pense qu'il exagère parfois !" Malgré les critiques, Messaoud n'est pas prêt de se taire. Son plaisir à lui, c'est aussi de communiquer avec ses passagers. Barcassier depuis 1955, il se souvient avec nostalgie des années cinquante : "A l'époque, le passager ne devait payer que deux centimes. C'était un temps prospère".
Il lâche un peu la rame pour montrer du doigt les jeunes qui font aux barcassiers une concurrence "déloyale" : "Ils ont décidé du jour au lendemain de nous imiter et de prendre sans préavis notre place. Ces jeunes embarquent de douze à quinze personnes à la fois. C'est très dangereux !". Un barcassier n'a le droit d'embarquer que six personnes : "Nous, nous travaillons conformément aux lois. Il est interdit pour nous d'ajouter des personnes en plus".
Messaoud a beau essayer de discuter avec eux, en vain. "Ils pensent que notre époque est révolue à tout jamais. J'espère qu'un jour ces jeunes se rendront compte de leur erreur".
En attendant ce jour, Messaoud mène une vie difficile. Il contribue à nourrir sa famille, mais ne peut pas subvenir à leurs besoins comme autrefois. En plus de la concurrence des jeunes, le nombre des barques a aussi nettement augmenté au cours de ces dernières années. Désormais, il lui faut attendre un long moment avant que son tour arrive : "Des fois, on est obligé de patienter pendant une heure. C'est très agaçant".
Malgré l'adversité, le temps comme les rides n'ont pas de prise sur Messaoud. Il se sent encore jeune. Il est obligé de tenir le coup. A l'instar de tous ses camarades, il n'a le droit ni à un congé de maladie ni à la retraite. Il rame, rame encore jusqu'au jour où c'est son âme qu'il fera passer sur l'autre rive.