Spécial Marche verte

Mobilisation en faveur des intermitents du spectacle : les artistes, vedettes de la 29e cérémonie des César

Marquée par la mobilisation des artistes en faveur du mouvement des intermittents du spectacle, la 29ème cérémonie des César a saupoudré ses récompenses. Pas de grande surprise, excepté trois trophées pour les Invasions Barbares du québécois Denis Arcand.

24 Février 2004 À 19:46

Les vedettes de la 29ème cérémonie des César, samedi dernier à Paris, furent moins les films que les artistes. Nombreux profitant de cette tribune festive pour protester contre la réforme du statut des intermittents du spectacle qui met en danger l'avenir de la profession et réduit considérablement cette exception culturelle française.

Le mouvement des intermittents préparait la Cérémonie depuis près d'un mois. Samedi, dès 20 heures, près de cinq cents personnes étaient déjà rassemblées aux portes du Théâtre du Châtelet où devait se dérouler la soirée. Montée des marches contestataire : les manifestants scandaient les noms des invités en réclamant des signes de soutien. Ils attendaient surtout le Ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, qui, après avoir reçu une volée de pellicules de films sur sa voiture, est rentré dans la salle prendre place au sixième rang. A l'extérieur, les intermittents suivaient la soirée sur un grand écran et se languissaient de voir une personnalité intervenir. Quand Agnès Jaoui, comédienne et réalisatrice (Le Goût des autres) a interpellé le Ministre depuis la scène : «Si vous avez persisté Monsieur Aillagon, à dire que nous vous avons mal lu, vous, vous nous avez mal entendus.

Il y a toujours moyen de faire des économies sur la Culture, la Recherche et l'Archéologie. Nous défendons une certaine idée de l'exception culturelle. Vous êtes en train de l'anéantir à coups de lois absurdes». En souhaitant ne pas s'être trompée d'interlocuteur, elle a invité le Ministre à considérer l'autre protocole préparé par les intermittents en vue d'une réforme plus adaptée. Et la réalisatrice de conclure en rappelant des mots prononcés par le Président de la République : «La culture et la création sont des activités irréductibles aux lois du marché». Après cette allocution, Jean-Jacques Aillagon se serait crispé dans son fauteuil. «Un cri du cœur» lui aurait lancé Gad Elmaleh, joyeux maître de cérémonie qui s'est surpassé pour détendre l'atmosphère. Tranquille mais ferme, l'ambiance restait à la contestation. Lambert Wilson portait en évidence sur son costume un insigne réclamant l'abrogation de l'accord. Julie Bertuccelli, qui a reçu le César de la meilleure œuvre de fiction pour Depuis que Otar est parti, a élégamment entouré son trophée d'un ruban de soutien. Michael Youn s'est emparé d'un extincteur pour le déposer, sur scène, bien en face du Ministre.

Et Julie Depardieu, qui venait de recevoir les César du meilleur jeune espoir féminin et du meilleur second rôle féminin pour son personnage dans La Petite Lili, a quitté le podium en s'écriant «Vive l'intermittence».
«Au prétexte de défendre les intermittents, la soirée a viré à une manifestation d'opposition politique. J'ai entendu un chapelet de contre-vérités sur mon travail et sur ma politique», s'est défendu Jean-Jacques Aillagon dans un entretien au Journal du Dimanche, arguant qu'il avait plutôt sauvé le statut des intermittents de la disparition. Reste que, pour beaucoup, la réforme du régime d'assurance chômage spécifique pour les professionnels du spectacle va davantage dans le sens d'une précarisation de la profession et d'un recul de la création.

Judicieuses invasions étrangères

Comme pour appuyer les craintes des professionnels, le palmarès de la Nuit des César a témoigné de la petite forme du cinéma hexagonal. Onze nominations pour le très classique Bon voyage de Jean-Paul Rappeneau et neuf pour le virtuose Pas sur la bouche de Alain Resnais. Résultats : trois statuettes pour chacune de ces valeurs sûres. Meilleur jeune espoir masculin à Gregori Derangère, meilleure photo et meilleur décor pour le premier, meilleur second rôle à Darry Cowl, meilleurs costumes et meilleur son, pour le second.

Les honneurs partirent de l'autre côté de l'Atlantique, même s'ils restèrent en francophonie. Avec comme principal vainqueur Les Invasions barbares du québécois Denys Arcand (co-production française de langue française). Déjà primée à Cannes, cette comédie émotionnante a décroché trois César : meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur scénario. «C'est une invasion québécoise. Vous pensiez qu'on n'avait contaminé que la chanson. Mais c'est aussi le cas du cinéma. Cela va vous faire une belle jambe» a ironisé Denys Arcand.
De fait, boudant les productions françaises, le palmarès a fait la part belle aux personnalités étrangères : César du meilleur court métrage à l'Argentin Juan Solanas pour L'Homme sans tête, très joli film qui avait a été présenté au Festival International du Film de Marrakech. César de la meilleure musique au Canadien Benoît Charest pour Les Triplettes de Belleville. Le comédien égyptien Omar Sharif a reçu, les larmes aux yeux, le premier César de sa carrière pour son interprétation dans Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran. Des récompenses aussi pour des films étrangers passés au travers des filets de la gloire : meilleur film étranger pour Mystic River de Clint Eastwood (bientôt sur les écrans marocains) et meilleur film de l'Union européenne pour Goodbye Lenin ! de l'Allemand Wolfgang Becker.

Du côté des interprètes, rien pour des sélectionnés comme Jean-Pierre Bacry et Daniel Auteuil, Josiane Balasko (pour Cette femme-là), Charlotte Rampling (pour Swimming pool) ou Isabelle Carré et Nathalie Baye (pour Les sentiments). Mais des prix d'estime consacrant deux jeunes actrices : Julie Depardieu pour son très joli rôle dans La Petite Lili de Claude Miller et Sylvie Testud pour sa prouesse dans Stupeur et tremblements (adaptation par Alain Corneau d'un roman de Amélie Nothomb) qui lui a valu un César de la meilleure actrice bien mérité.
Une 29e cérémonie des César avec un palmarès assez mesuré finalement, comme pour compenser la grogne qui touche le secteur artistique français.

Pour une fois, il n'y avait pas les stars d'un côté et les intermittents de l'autre. Ils étaient solidaires contre les mesures engagées par le Ministre de la Culture qui, en plus d'avoir passé une mauvaise soirée, avait bien du mal à apporter des réponses rassurantes. Précisément à l'heure où l'on se demande quel tour vont prendre les festivals cette année, Cannes et Avignon en tête.

Le Palmarès de la 29e nuit des César


- Meilleur film français de l'anné
«Les Invasions barbares» de Denys Arcand
- Meilleur acteur
Omar Sharif dans «Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran»
- Meilleure actrice
Sylvie Testud dans «Stupeur et tremblements»
- Meilleur réalisateur
Denys Arcand pour «Les Invasions barbares»
- Meilleur acteur dans un second rôle
Darry Cowl dans «Pas sur la bouche»
- Meilleure actrice dans un second rôle
Julie Depardieu dans «La Petite Lili»
- Meilleur jeune espoir masculin
Grégori Derangère dans «Bon voyage»
- Meilleur jeune espoir féminin
Julie Depardieu dans «La Petite Lili»
- Meilleure première œuvre de fiction
«Depuis qu'Otar est parti...» de Julie Bertuccelli
- Meilleur scénario original ou adaptation
Denys Arcand pour «Les Invasions barbares»
- Meilleure musique écrite pour un film
Benoît Charest pour «Les Triplettes de Belleville»
- Meilleur court-métrage
«L'Homme sans tête» de Juan Solanas
- Meilleure photo
Thierry Arbogast pour «Bon voyage»
- Meilleurs décors
Jacques Rouxel, Catherine Leterrier pour «Bon voyage»
- Meilleur son
Jean-Marie Blondel, Gérard Hardy, Gérard Lamps pour «Pas sur la bouche»
- Meilleurs costumes
Jackie Budin pour «Pas sur la bouche»
- Meilleur montage
Danielle Anezin, Valérie Loiseleux, Ludo Troch pour «Un Couple épatant», «Cavale», «Après la vie»
- Meilleur film de l'Union européenne
«Good Bye Lenin!» de Wolfgang Becker
- Meilleur film étranger
«Mystic River» de Clint Eastwood (Source : AP)
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