L'humain au centre de l'action future

«Poupée Bella» de Nina Bouraoui : le Milieu des filles

Poupée Bella est un journal intime réinventé. Pour son huitième ouvrage, Nina Bouraoui s'est laissée séduire par ce genre littéraire susceptible de transcrire les strates amoureuses qui le composent. De fait, son journal traduit une démarche symbiotique o

27 Mai 2004 À 15:36

Niché au cœur d'une page de Poupée Bella, un message passerait presque inaperçu : « J'ai perdu la foi. Je retrouve l'écriture. J'ai perdu le désir. Je retrouve le journal intime » écrit Nina Bouraoui. Pour son huitième ouvrage, l'auteur de La Voyeuse interdite (1991), Garçon manqué (2000) ou La Vie heureuse (2002) a changé de genre, littéraire, pour mieux parler de son genre à elle : une fille qui aime les filles.

« Je rêve d'épouser l'écriture d'un auteur, de le suivre, pour apprendre. Je rêve d'une transmission des forces. » Elle a relu les journaux amoureux de Virginia Woolf, de Annie Ernaux ou de Anaïs Nin, son idole, pour composer le journal qu'elle aurait écrit du 30 octobre 1987 au 21 juin 1988, quand elle avait vingt ans. Elle avait dépassé la période de troubles et souffrances identitaires dont témoignait Garçon manqué.

Sachant dorénavant qu'elle n'aimait pas les garçons, elle pénétrait pleinement le Milieu des Filles, ce microcosme parisien fait de clubs privés, bars et boîtes de nuit qui leur sont réservés. Elle y cherchait le grand amour : «Combien de temps faudra t-il pour être choisie ? ». Mue par une idée maîtresse : « Trouver sa place dans le cœur d'une fille, c'est enfin trouver sa place dans le monde ».

Portée par un mythe amoureux, « je suis la Missy de Colette, je suis la Thérèse de Carol », elle rencontre Mikie qui donne, Françoise qui prend , S. qui délaisse… Du Katmandou au Studio A, en passant par le Scorpion, ou le Scorp, elle poursuit une quête nocturne, hantée par l'image de son amie d'enfance, Marion, mélange d'idéal amoureux et de paradis perdu. Et puis, elle voit Julien, son meilleur ami qui, lui, préfère les garçons. A eux deux, ils forment un couple étrange, vont à la piscine la journée et sortent le soir ensemble.

Elle l'aime beaucoup, elle est sa Poupée Bella, cette fille qui accompagne un garçon qui aime les garçons. Avec lui, elle compare le milieu des filles et le milieu gay, leurs particularités, leurs différences. Quand il la délaisse pour Antoine, elle souffre de son absence.

Sédiments amoureux

Poupée Bella parle d'homosexualité oui, mais sous l'angle sentimental, avec pudeur et délicatesse. Jamais indécente, Nina Bouraoui réinvente les notes amoureuses d'une jeune fille qui a grandi en admirant les femmes en costumes comme Greta Garbo dans La Reine Christine ou Julie Andrews dans Victor, Victoria. Elle tisse des phrases courtes, concentrées d'idées, qui, proches de l'aphorisme, sont moins dans la description que dans la réflexion.
Elles se sédimentent de jour en jour pour former une tranche de vie de plusieurs mois.

Nina Bouraoui parle de milieux que la littérature connaît mal dans un genre que la littérature connaît bien. Sa démarche tient de la symbiose, car elle associe complètement l'acte d'écrire et l'acte d'aimer, la chair des corps et la chair du texte, la recherche de l'écriture et la quête amoureuse. Deux désirs, deux gestes qui puisent au même brasier, celui des origines du moi: « je sais écrire, je saurais aimer ».
Pour elle, le manque d'amour est comme une page blanche. Et celui qui l'empêcherait d'écrire serait un amour impossible.

Poupée Bella est le livre de la maturité identitaire, celui où la narratrice affirme ce qu'elle est, sans honte et sans douleurs.

Elle y témoigne de cette époque où elle est entrée dans la vie en assumant conjointement l'amour et l'écriture. Pour dire aussi que, comme il existe plusieurs façons d'écrire, il existe plusieurs façons d'aimer.

Nina Bouraoui, Poupée Bella, Stock, 130 p.
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