Poursuite des bombardements à Falloujah : Evolution inquiétante de la situation en Irak
Les forces américaines continuaient de bombarder jeudi
>à l'artillerie des positions de rebelles dans le sud de la ville de Falloujah, alors que l'annonce de l'assassinat probable de l'otage Margaret Hassan provoquait des condamnations dans le monde.
AFP
18 Novembre 2004
À 15:56
Quatre civils irakiens ont été tués et trois blessés jeudi dernier dans deux attentats à la bombe à Bagdad et à Kirkouk (255 km au nord de Bagdad), selon la police irakienne et un soldat américain.
Dans ce contexte de violences quotidiennes, le président français Jacques Chirac a déclaré mercredi à la BBC ne pas être "du tout certain que le monde soit plus sûr" depuis le renversement de Saddam Hussein, estimant que la situation en Irak avait entraîné "une augmentation du terrorisme".
"En raison de la situation intérieure", le Président irakien Ghazi Al-Yaouar a décidé de reporter sine die une visite prévue en France les 22 et 23 novembre, a annoncé mercredi l'ambassade d'Irak à Paris.
Le chancelier allemand Gerhard Schroeder a de son côté appelé les Etats-Unis à tirer les conséquences de leurs difficultés en Irak en discutant davantage avec leurs partenaires, dans un entretien à l'hebdomadaire Die Zeit.
Après l'annonce mardi de l'assassinat probable de Margaret Hassan, responsable de l'organisation caritative CARE en Irak enlevée le 19 octobre, de nouvelles voix ont dénoncé ce crime. Le Premier ministre australien John Howard a adressé jeudi ses condoléances à la famille de Mme Hassan (dont la branche irakienne de CARE était financée par le gouvernement australien) pour un assassinat qu'il a qualifié de "méprisable". "L'inhumanité des assassins de Margaret Hassan dépasse toute description", a-t-il dit.
La Maison Blanche a condamné mercredi l'exécution de Mme Hassan, soulignant qu'elle n'était pas impliquée dans les opérations militaires ou le processus politique dans ce pays.
Sur le terrain, les forces américaines bombardaient toujours jeudi matin des positions de rebelles dans le sud de Falloujah (50 km à l'ouest de Bagdad), alors que des volontaires irakiens et des soldats américains évacuaient des corps dans le nord de la ville, selon un photographe de l'AFP.
A Paris, l'organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières (RSF) a demandé la libération du correspondant de la chaîne basée à Dubaï, Al-Arabiya, à Falloujah, Abdel Kader Al-Saadi, arrêté dans la ville rebelle le 11 novembre par l'armée américaine. Mardi, Al-Arabiya avait déploré la détention de son correspondant. Le Premier ministre irakien Iyad Allaoui s'est dit jeudi "très inquiet" après l'exécution d'un Irakien blessé à Falloujah par un Marine américain, qui avait suscité plusieurs condamnations dans la communauté internationale.
Plusieurs chaînes de télévision américaines avaient diffusé lundi des images montrant un Marine tirant à bout portant sur un homme blessé et non armé dans une mosquée de la ville rebelle.
D'autres villes à majorité sunnite, comme Ramadi, Mossoul ou Baïji, étaient toujours en effervescence. Au moins vingt personnes ont été tuées mercredi dans ces localités.
Doutes sur le succès de l'offensive américaine
A Mossoul, dans le nord, les forces américano-irakiennes ont lancé mardi une opération au cours de laquelle ils ont réoccupé la plupart des postes de police de la rive ouest. Au moins huit rebelles ont été tués, selon un officier américain.
D'autre part, la Bulgarie, dont le contingent opère en Irak sous commandement polonais, s'inquiète de l'évolution de la situation en Irak, a déclaré mercredi au Caire son ministre des Affaires étrangères Solomon Passi.
A Washington, deux parlementaires américains ont présenté mercredi un projet de loi visant à exiger que l'Onu communique à ses Etats membres tous ses rapports d'audit interne, en pleine controverse sur le programme "pétrole-contre-nourriture", baptisé par certains Américains "pétrole-contre-fraude". Plusieurs organismes parlementaires américains et l'Onu enquêtent sur le programme "pétrole contre nourriture", en vigueur de décembre 1996 à novembre 2003 et qui visait à atténuer l'impact des sanctions internationales pour la population irakienne. Ce programme autorisait l'Irak à vendre une quantité limitée de pétrole pour acheter des produits alimentaires et humanitaires, mais Saddam Hussein aurait réussi à détourner plus de 17 milliards de dollars grâce à des manipulations.
Dans ce cadre, la filiale américaine de la banque française BNP Paribas s'est retrouvée au banc des accusés, soupçonnée de négligences ayant servi les intérêts de Saddam Hussein.
Le succès final de l'opération militaire américaine à Falloujah, le bastion des rebelles sunnites à l'ouest de Bagdad, est loin d'être acquis et la rebellion pourrait rapidement y revenir en force, avertit , par ailleurs, un document classé secret de l'armée américaine cité jeudi par le New York Times. Dans un rapport de sept pages, dont le ton pessimiste tranche avec les communiqués officiels américains, des responsables des services de renseignement des Marines mettent en garde contre tout retrait significatif de troupes américaines lorsque sera achevée l'offensive.
Selon eux, la rebellion serait en mesure de reconstituer rapidement ses forces à Falloujah et dans la région, où les troubles et les attaques pourraient rapidement gagner en intensité.
Malgré les pertes actuellement enregistrées par les rebelles, "l'ennemi est en mesure d'empêcher la force expéditionnaire des Marines de remplir ses objectifs principaux qui visent à mettre en place une force de sécurité irakienne efficace et à assurer le succès des élections irakiennes", ajoute le document cité par le New York Times. Selon le journal, ce texte a été rédigé le week-end dernier par des responsables du premier corps de la force expéditionnaire des Marines en charge de l'offensive de Falloujah.
Interrogés par le quotidien new-yorkais, des militaires américains de haut rang ont néanmoins contesté les conclusions du document. "L'évaluation de l'ennemi est une évaluation dans le pire des cas", a ainsi assuré le général John DeFreitas, qui se trouve en Irak, en ajoutant que l'armée américaine "n'avait pas l'intention de créer un vide en se retirant de Falloujah".
Frustrations à Mossoul
Par les portes entrouvertes de maisons délabrées, des visages scrutent les véhicules blindés de l'armée américaine qui évoluent dans les rues pleines de pluie sur la rive ouest de la ville septentrionale de Mossoul.
Une opération d'envergure a été lancée mardi dans cette ville située à 370 km au nord de Bagdad pour sécuriser les postes de police et les bâtiments gouvernementaux.
Des fantassins de l'armée américaine armés jusqu'aux dents sont arrivés avec des unités de la Garde nationale irakienne pour sécuriser notamment un commissariat de police abandonné depuis une semaine à la suite d'une série d'attaques des rebelles contre une dizaine de postes.
Des fils barbelés bloquent certaines ruelles du Nouveau Mossoul, un quartier pauvre de la rive ouest de cette ville de deux millions d'habitants. Le poste de police du quartier, protégé par des blocs de béton, ne semble pas avoir trop subi de dégâts. Les habitants affirment que les rebelles n'ont jamais opéré dans le secteur.
"Les Américains ne devraient pas faire irruption comme ça chez nous", s'indigne Mazen Salem, 24 ans, accroupi avec l'un de ses amis sur le bord de la rue jonchée de poubelles.
"Lorsqu'ils sont attaqués par des insurgés et qu'ils ripostent, ils mettent la vie de tout le monde en danger", dit-il.
Au coin de la rue, un groupe de gens discutent de la dégradation de leurs conditions de vie depuis le déclenchement des violences et l'imposition d'un couvre-feu du lever au coucher du soleil.
"L'hiver est arrivé, et nous n'avons pas pu nous procurer de gaz pour nous chauffer", se plaint Abed Ali Mohammad, 68 ans, coiffé d'un keffieh. Le vendeur de bonbonnes de gaz n'est pas venu depuis des semaines, ajoute-t-il.
D'autres habitants se plaignent d'une pénurie d'électricité et disent ne pas pouvoir acheter de la nourriture, la plupart des commerces étant fermés.
Après une nuit pluvieuse et des vents froids, quelques voitures évoluent sur de grosses flaques d'eau dans les rues désertes, d'autres font désespérément la queue pour tenter de traverser le pont Al-Hurriya et passer sur la rive orientale de la ville. Les cinq ponts qui enjambent le Tigre ont été fermés à l'aide de blocs de béton et de fils barbelés depuis le début de l'opération mardi.
Les troupes américaines se sont également déployées sur tous les carrefours de la ville.
Les commandants militaires américains affirment que ces mesures sont provisoires en attendant que la police irakienne se relève.
"C'est comme si l'on habituait ses enfants à dormir tout seuls dans une chambre", explique le lieutenant-colonel Michael Kurilla.
"S'il appellent et disent qu'il y a un monstre dans leur chambre, vous revenez pour leur dire de ne pas s'inquiéter", poursuit-il.
Dans la rue Cheikh Fatehi, dans le nord-ouest de la ville, le commissariat principal tient à peine debout, derrière une barrière de béton peinte des couleurs noir, blanc et rouge du drapeau irakien, criblée de balles.
Les carcasses d'une douzaine de véhicules de police gisent devant le bâtiment. A l'intérieur, des murs sont noircis par la suie et le mobilier n'est plus qu'un tas de cendres.
L'officier Kurilla affirme que les rebelles ont utilisé ce bâtiment pour tirer sur les forces de sécurité dépêchées samedi pour reprendre le poste, déclenchant de violents affrontements.
Des restaurants de grillades, très prisés par les policiers, qui se trouvaient de l'autre côté de la rue, il ne reste plus que des volets tordus et des façades en ruines.