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Rachid Balafrej, vice-président de l’arrondissement Rabat-Souissi : «L’unité de la ville pose le problème de l’institutionnel dans la gestion de la Cité»

«Rabat revêt par nature une portée symbolique propre, par son histoire et par son histoire politique. C’est la relation, entre tous les acteurs politiques de ce pays et la nature des rapports qui s’instituent entre les instances élues et les a

04 Mai 2004 À 17:08

Ce vice-président de l’arrondissement Rabat-Souissi, promène un regard lucide sur l’évolution de la charte communale, explique les enjeux de l’unité de la ville et n’en finit pas d’appeler à l’élaboration d’un projet partagé de Rabat. «Parce que c’est cela la démocratie !», s’exclame-t-il.

Il le dit sans détours : Rabat, connaît des problèmes sévères. «L’unique voie pour surmonter ces problèmes réside dans le fait de les gérer selon les principes instaurant réellement un rapport démocratique entre tous les acteurs, les citoyens et les élus». Pour ce militant, évoquer l’unité de la ville c’est poser le problème de l’institutionnel dans la gestion de la ville. Et, explique-t-il, la gestion de la ville ne peut se faire qu’autour d’un vrai projet, cohérent et surtout élaboré sur la base d’un diagnostic partagé. «Il n’est pas normal par exemple qu’un projet comme celui du Bou Regreg soit tenu secret et ne soit pas partagé. Tout le monde veut le bien de ce pays !» s’indigne-t-il

Le Wali et ses prérogatives dans tout cela ? «Le wali est une institution. Il y a des textes et des lois et chacun peut interpréter les lois comme il l’entend ! Il faut arriver à un partenariat avec toutes les institutions, toujours dans le cadre de la loi, pour avancer. Si la ville a un projet structuré, je ne pense que le wali puisse s’y opposer», répond M. Balafrej.

Rachid Balafrej est un élu usfpéiste qui a cette particularité d’avoir vécu l’expérience électorale d’une charte à l’autre. Il promène un regard lucide sur l’évolution de la charte communale, explique les enjeux de l’unité de la ville et n’en finit pas d’appeler à l’élaboration d’un projet partagé de Rabat. “ Parce que c’est cela démocratie ”, s’exclame-t-il.

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Entretien avec Rachid Balafrej, vice-président de l’arrondissement Rabat-Souissi



Le Matin : depuis 1976, vous avez vécu plusieurs expériences électorales et aujourd’hui vous êtes élu de la ville de Rabat dans le cadre d’un nouveau système, celui de l’unité de la ville. Qu’est-ce que ce principe de l’unité de la ville va changer pour Rabat, pour les élus, pour les citoyens ? Y a-t-il une nouvelle façon de vivre la chose locale ?

Rachid Balafrej :
Je voudrais tout d’abord commencer par dire que Rabat n’est pas n’importe quelle ville. C’est la capitale du Maroc. Rabat revêt par nature une portée symbolique propre, par son histoire et par son histoire politique. C’est la relation entre tous les acteurs politiques de ce pays et la nature des rapports qui s’instituent entre les instances élues et les autorités qui sont déterminants de la crédibilité du pouvoir démocratique. Notre pays a choisi une fois pour toutes l’option démocratique pour le développement. Il s’est attaché à mettre en œuvre ces pratiques démocratiques dans la gestion des villes. Rabat, comme toutes les grandes villes du Maroc, connaît des problèmes sévères. L’unique voie pour surmonter ces problèmes réside dans le fait de les gérer selon les principes instaurant réellement un rapport démocratique entre tous les acteurs, les citoyens et les élus. Pour cela, toute grande ville, et en particulier Rabat avec toute sa symbolique, a besoin d’un projet qui parte d’un diagnostic pour une vision cohérente avec un plan d’action hiérarchisé et un dispositif de mise en œuvre. C’est dans ce dispositif que se situe le problème de l’unité de la ville et des relations entre les instances, les autorités, le pouvoir central et la ville.

Evoquer l’unité de la ville c’est poser le problème de l’institutionnel dans la gestion de la ville. Ce principe de l’unité de la ville est un grand combat qui a été mené par l’USFP. L’USFP a, dès après 1976, lutté pour que la ville ait une cohésion et que sa gestion soit saine et rationnelle. En fait, le principe de l’unité de la ville a commencé déjà après l’apparition des résultats des élections de 1976 où Rabat, à l’instar des grandes villes du Maroc, a connu un grand succès des forces démocratiques. Seulement, il est tout de suite apparu que certains avaient une crainte que les villes attachées à tel ou tel parti. Or, c’est cela le sens de la démocratie : on juge un parti sur son projet et la sanction vient par les élections pour peu qu’elles soient libres. En 1976, des forces ont combattu cette représentation de la ville par l’encadrement des partis. La gestion de la ville nécessite certainement une responsabilisation…

Cela rejoint ce que dit le maire de Rabat, Omar Bahraoui, qui déclarait sur ces colonnes même que l’on ne faisait pas confiance aux élus. Partagez-vous ce point de vue ?

C’est peut-être vrai sauf que je ne suis pas tout à fait d’accord avec le maire de Rabat lorsqu’il dit que les gens ne votent pas pour les partis mais pour les personnes. C’est un système qu’on connaît depuis 1984 et on a vu les échecs que cela a produits. Les grandes villes connaissent des problèmes sévères à cause de cela justement. Où est le transport dans la ville, où sont les ordures ménagères dans un système qui n’est pas encadré par le groupe ? Les projets s’élaborent. Ils doivent être cohérents. Ils ne sont pas le fait d’un député ou d’un technocrate. Dans un système démocratique, les projets ont besoin de concertation. Et une telle concertation se fait dans le cadre des partis. Si l’actuel président de la commune urbaine de Rabat pense que c’est quelque chose d’individuel, alors il se trompe pleinement.

Vous avez vécu l’expérience électorale sous le régime de la charte communale de 1976. Quels sont les acquis du principe de l’unité de la ville et quels en sont les handicaps et les inconvénients ?

En 1976, le principe de l’unité de la ville existait et l’USFP avait élaboré un projet pour la ville et nous sentions que c’était que l’unité de la ville pouvait se faire. Mais seulement, en 1984, on a tout de suite divisé la ville et on a érigé des municipalités séparées, de telle sorte qu’on ne pouvait plus avoir de projet cohérent, même si l’USFP a fait du bon travail dans les communes qu’elle gérait.
C’est autour de secteurs-clés que doit se bâtir le projet de la ville. Il s’agit de l’habitat-urbanisme, du transport et de la mobilité des citoyens. C’est aussi la propreté, l’approvisionnement et le commerce, l’emploi et la création de richesses, la sécurité et la liberté, la culture et l’identité. Les secteurs-clés, ce sont aussi les questions concernant la jeunesse, l’éducation, l’environnement et le développement durable. C’est autour de ces secteurs qu’on peut bâtir un projet cohérent qu’il faut mettre en forme et dont il faut hiérarchiser les priorités. Tout cela a besoin d’un diagnostic. Et ce diagnostic doit être partagé entre les élus, les citoyens, les acteurs économiques et, bien sûr, l’autorité qui est le pouvoir central.

Un tel diagnostic a-t-il été fait pour la ville de Rabat ?

Non ! Les gens qui sont aujourd’hui en charge de la ville n’ont pas jugé utile de faire ce diagnostic. Et nous, au conseil de la ville de Rabat, nous avons toujours dit “ donnez-nous d’abord le diagnostic et c’est sur cette base que nous pourrions élaborer un projet ”. C’est pourquoi je dis que l’unité de la ville n’existe pas car elle doit se faire autour d’un projet.

Le concept de mairie existe-t-il au Maroc ou pas ?

Le concept doit exister. En fait, cela dépend des acteurs politiques qui le mettent en œuvre. On passe notre temps à dire cela est l’opposition, celui-ci est le wali et on n’en finit pas d’ouvrir des discussions byzantines. Maintenant, on nous dit que l’USFP s’est placée dans le camp de l’opposition à Rabat. Mais l’opposition à quoi et à qui ? L’opposition se fait par rapport à des projets. On a l’impression que tout s’est mis en place contre la présence de l’USFP et d’un autre parti qui s’appelle MP, PJD et toutes les autres lettres de l’alphabet ! Et cela n’est pas de la démocratie.
Je vais vous donner un exemple : au conseil de la ville, on nous a demandé d’approuver le cahier de charges pour la gestion déléguée du transport public.

Mais quel transport public et pourquoi ?
Je ne voudrais pas entrer dans une polémique avec M. Bahraoui mais je constate qu’il y a une faiblesse. On nous dit “ rejoignez-nous dans le cadre d’un consensus ”. Mais un consensus autour de quoi ? A l’USFP, nous avons un projet. Mais nous pensons qu’il ne peut être fait que d’une façon démocratique et nous pensons également que l’opposition doit exister dans une démocratie.
Le système mis en place par la nouvelle charte communale est bon. Notre premier secrétaire, M. El Yazghi, avait déclaré dernièrement au cours d’une réunion avec les élus usfpéistes que tout ce qui se passe, c’est probablement l’adaptation à un nouveau système. Ce système des villes avec les arrondissements n’est pas en soi mauvais et l’USFP y a d’ailleurs adhéré. Les textes sont du reste clairs : les arrondissements doivent donner leur avis

Mais les présidents d’arrondissements ont-ils suffisamment de pouvoir dans cette nouvelle configuration communale ?

Ils ont un pouvoir de propositions. Ils sont en charge des services et de leur proximité. . Seulement le projet de la ville doit être élaboré au sein du Conseil de la ville avec tous les acteurs dont les présidents d’arrondissements

Et par rapport aux prérogatives du wali et du statut particulier de Rabat, diriez-vous qu’il s’agit d’un acquis pour la démocratie ? D’un recul ? Ou une manière de préserver la ville ? Quel est en fait le rôle d’un wali en démocratie locale ?

Le wali est une institution. Il y a des textes et des lois et chacun peut interpréter les lois comme il l’entend. Le problème dans les grandes villes est éminemment politique. Ce n’est pas un problème de gestion dans une grande société où le directeur technique se bat contre le directeur commercial ! Il faut arriver à un partenariat avec toutes les institutions, toujours dans le cadre de la loi, pour avancer. Si la ville a un projet structuré, je ne pense pas que le wali puisse s’y opposer. Ce que je dirais au wali et aux autres, c’est que n’importe quel projet doit être partagé au préalable. Il ne doit pas être dicté. Le Maroc a trop souffert des choses dictées d’un côté ou de l’autre. Maintenant si le Maroc a choisi avec Sa Majesté Mohammed VI l’option démocratique, tous les leviers de cette démocratie doivent alors fonctionner. Et pour cela, il faut que les gens travaillent .

Vous dites que Rabat doit être bâtie autour d’un projet partagé. Concrètement, comment cela doit-il se traduire d’autant que les instances élues existent ?

D’abord, par le débat démocratique ! Il n’est pas normal par exemple qu’un projet, comme celui du Bou Regreg, soit tenu secret et ne soit pas partagé. Tout le monde veut le bien de ce pays ! Rabat a rendez-vous avec l’histoire. Rabat est une capitale dans la région méditerranéenne et doit jouer un rôle méditerranéen. Rabat est la capitale chérifienne du Maroc, d’une dynastie forte. Dans ce rôle démocratique, Rabat a toujours été en avance.
La démocratie locale est essentielle dans l’élaboration de la démocratie surtout si le Maroc choisit le système de la régionalisation. Rabat et les autres grandes villes sont des moteurs de la régionalisation au Maroc.

Cela participe-t-il de la démocratie qu’une ville ait un statut particulier ?

Le problème des capitales est toujours complexe. Par exemple, le statut de Paris a connu beaucoup de va-et-vient. C’est pourquoi je dis que Rabat revêt une symbolique. Cette ville est aussi le laboratoire de la démocratie au Maroc.
Je voudrais, d’un mot, revenir aux élections communales et plus particulièrement celles de Rabat pour dire que seulement 30% de la population ont voté. Donc personne ne peut se prévaloir de quoi que ce soit.

A Rabat, l’USFP a refusé de faire alliance avec le PJD. De tels principes sont-ils importants en démocratie ?

Absolument ! il y a des lignes rouges et des principes clairs et nets axés sur des convictions. Nous croyons à la légitimité démocratique, aux valeurs socialistes dont celle de la justice sociale et de l’égalité des chances et au principe de la modernité.


Vous dites que Rabat connaît des problèmes sévères. Dites-vous aussi que c’est la faillite des élus ?

C’est la faillite du système de M. Bahraoui qui était à la tête de la communauté urbaine depuis des années alors que le problème du transport, pour ne citer que cette défaillance, n’est toujours pas réglé. C’est pourquoi, je le répète, l’unité de la ville est importante. Nous souhaitons l’établissement d’un dialogue ouvert avec les acteurs économiques et ceux de la société civile pour l’élaboration de notre projet. Il y a des gens qui ne s’inscrivent pas dans notre projet.

L’USFP a un projet pour la ville de Rabat. Dans le même temps, certains le disent, les usfpéistes changeaient de candidats au gré des circonscriptions. Finalement, il n’y aurait pas une histoire entre l’USFP et la capitale ? Rabat Usfpéiste, est-ce un mythe ?

Vous faites allusion à ce que dit le maire de Rabat. Je rappellerais de nouveau que seuls 30% de la population a voté donc personne ne peut se prévaloir de quoi que ce soit.
La majorité est dans les 70% qui ont été pendant des années déviés du champ politique et du rôle des partis politiques. Les candidats usfpéistes changent de circonscription, disent certains, alors même que l’USFP est présente en tant que parti pas en tant qu’individu.

Et on omet de dire qu’à chaque fois on nous créait des municipalités nouvelles pour diviser. Cela dit, je préfère changer de circonscription plutôt que de changer d’étiquette politique ! Il y a même des gens qui n’étaient dans aucun parti et qui du jour au lendemain se retrouvent dans une formation politique. Je suis un peu étonné que le PJD ne se soit pas présenté dans les communes de Youssoufia et Hassan, à Rabat…

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