L'humain au centre de l'action future

Remue-ménage au Festival de Cannes : Signes de réchauffement sur la Croisette

Après une journée agitée, samedi, des avancées se profilent sur le front des intermittents. Les professionnels français du spectacle ont pu rencontrer le ministre de la Culture, lors d'une conférence de presse, dimanche, dans une salle du Palais du festiv

17 Mai 2004 À 21:31

Pourtant, le statut qui régit les professionnels du spectacle, spécifique à la France, est ce qui a permis au cinéma hexagonal de survivre. C'est ce qu'a rappelé la réalisatrice, Agnès Jaoui, venue présenter son film Comme une image, cette année en compétition, suggérant par là, qu'il pourrait être utile à certains pays de s'en inspirer.

«Qu'avons-nous fait de nos idéaux ?» : cette question pourrait résumer l'actualité des derniers jours, à l'intérieur, comme à l'extérieur du Palais. En effet, plusieurs films programmés en compétition officielle, ont fait souffler un vent de douce révolte dans les salles de projection.

Shrek, l'ogre vert animé des studios Dreamworks, a ouvert la marche avec le deuxième épisode de ses aventures. Le premier l'avait laissé profiter de son heureux destin dans son marécage du pays de fort lointain.

Shrek avait réussi à sauver la princesse Fiona des griffes du dragon et s'apprêtait à l'épouser. Mais, pas question de s'en tenir à l'éternel "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants". Première entorse aux règles fixes des contes de fées : découvrir ce qui se passe après le happy end. Car c'est après le mariage que les vrais ennuis commencent. La nouvelle mission de Shrek, effrayant ogre pétomane, consiste à se faire accepter par ses beaux-parents, un roi et une reine très vieille école. Et donc à réhabiliter la tribu des parias, dans l'univers stéréotypé des dessins animés. C'est le point de départ d'une déferlante de gags, plus inventifs les uns que les autres.

La tonalité générale est celle de la pastiche, futée et pétillante, de contes pour enfants, de champions du box-office, d'émissions télévisées people, ou de tubes disco. Le second degré gaillard de Shrek poursuit sur la lancée du premier épisode, en nuisant à l'abrutissement général, avec des armes désarmantes : l'humour ou les grands yeux d'un chat " Potté " éploré.

Toute proportion gardée, on trouve chez la réalisatrice française, Agnès Jaoui, des arguments comparables, avec un humour plus grinçant et des blagues plus méchantes néanmoins. Comme une image, son dernier film présenté dimanche en compétition, mériterait d'être comparé à un match de boxe, tant ses personnages se complaisent à s’envoyer à la figure des répliques acides. Lolita, est tout, sauf une Lolita : ronde, complexée, amère, mal aimée, elle n'exprime que colère et ressentiment, contre un entourage qui la néglige ou ne l'approche que par intérêt. Il n'y a que quand elle chante que son coeur s'allège. Même son professeur de chant, Sylvia (Agnès Jaoui), ne lui prête attention qu'en apprenant qu'elle est la fille d'un écrivain réputé (Jean-Pierre Bacri).

Qui se révèle mauvais père, mauvais mari et odieux comparse. Plus qu'un film sur la difficulté de communiquer, c'est une illustration mordante des tensions, qui peuvent exister dans un couple, entre une fille et son père, ou entre collègues de travail. Quête de reconnaissance, contre récolte d'humiliations, la plus grande qualité de Comme une image est d'avoir su donner forme à ces malaises imperceptibles, qui émaillent les conversations et abîment silencieusement les êtres.

Le discours et la méthode

Les applaudissements, qui ont accueilli la réalisatrice française, la placeraient parmi les premiers favoris de la compétition. Mais, c'était avant la projection de The Edukators de l'allemand Hans Weingartner. Il a choisi, pour sa part, de faire instruire le procès de mai 68 par trois jeunes idéalistes défendant des valeurs altermondialistes : condamner le capitalisme et la société de consommation, annuler la dette du Tiers-monde, refuser de se soumettre à un système fondé sur l'oppression etc... Il y a des facilités et des maladresses dans The Edukators, mais Hans Weingartner a su construire une parabole intelligente et revigorante sur les questionnements d'une génération.

Comment se révolter, aujourd'hui, quand on trouve des T-shirts Che Guevara et des autocollants anarchistes au supermarché ? Comment accepter cette phrase prononcée par un personnage : "Jusqu'à trente ans, si tu n'es pas de gauche, tu n'as pas bon coeur, après trente ans, si tu restes de gauche, c'est que tu es cinglé." Déterminés et toujours au bord du dérapage, les trois jeunes gens semblent pourtant avoir été conçus comme de nouvelles icônes : révolutionnaires, certes, et allergiques aux compromis, mais non-violents, voire tendres, soucieux de ne pas trahir la morale, respectueux des autres et d'eux mêmes. Leur mission : rééduquer leurs aînés démissionnaires ou profiteurs, déclencher des sursauts d'humanité, moyens désopilants à l'appui.

Le documentariste américain, Michael Moore, doit lui-aussi se sentir en charge d'une responsabilité : informer les masses ignorantes sur la politique désastreuse du président américain Georges W. Bush. En Europe et à Cannes, à plus fortes raisons, depuis la révélation d'actes de tortures, en Irak, par les soldats américains, le public est déjà pratiquement gagné à sa cause. Ce qui, en sus de la popularité de Michael Moore, explique peut-être les attroupements inhabituels, déclenchés par les projections de presse de Fahrenheit 911.

Mais hormis quelques informations concernant les accointances économiques, entre la famille Bush et la famille Ben Laden, et des témoignages sur les méfaits du Patriot Act, le documentaire ne contient pas de révélations fracassantes. Michael Moore y fait encore preuve de son audace et de sa capacité à faire parler des personnes clés. Mais, il pousse la provocation dans une direction racoleuse, parfois indécente, et ne recule devant aucun rapprochement rapide, trait d'humour scabreux ou voyeurisme prolongé, pour appuyer son unique but : faire campagne contre Georges W. Bush, à l'aube des élections présidentielles. Par conséquent, même ceux qui défendent les mêmes causes que lui, pourraient avoir du mal à adhérer complètement à ses méthodes.

Sans compter que la charge, est tellement forte, qu'elle occulte les approximations. Enfonçant des portes ouvertes sans grande classe, le réalisateur de choc se fait moins percutant que prévu. Comme quoi il ne suffit pas de défendre des idéaux, il faut aussi savoir comment.

Shrek 2 de Adrew Adamson, J. David, Joe Stillman et David N. Weiss
Comme une image de Agnès Jaoui avec Marilou Berry, Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, Laurent Grévil.
The Edukators de Hans Weingartner avec Daniel Bruhl, Julia Jentsch, Stipe Erceg et Burghart Klaubner.
Fahrenheit 911 de Michael Moore.

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