L'humain au centre de l'action future

«Suite à l'hôtel Crystal» d'Olivier Rolin : Le tour opérateur des reflets intérieurs

Des chambres d'hôtel du monde entier comme architecture éparse d'un projet de livre : le nouveau roman de Olivier Rolin part d'une idée géniale. Mal exploitée littérairement, elle menace d'ennuyer. Quand apparaît une porte dérobée ouvrant sur d'amusants c

16 Décembre 2004 À 16:52

Il en a vu du pays Olivier Rolin. Témoins, ces quarante-trois chambres d'hôtel du monde entier qu'il occupe méthodiquement à chaque chapitre de Suite à l'hôtel Crystal. Un roman comme un livre en construction : "Quelle était exactement l'architecture du livre projeté, dont toutes ces ‘chambres' seraient les briques éparses, non encore maçonnées ?” Dans chacune un décor, un personnage, une histoire, avec possibilités de croisements… L'idée est géniale.

Mais réalisée sans génie. Sans génie littéraire plus exactement. C'est presque un parti pris. Les descriptions de Olivier Rolin suivent le même principe d'état des lieux distancié, une fois passée la porte d'entrée. Couleur et matière de cette porte, entrée ou vestibule, métrage au sol, disposition de la chambre, éléments de décorations, rares précisions sur la vue depuis la fenêtre ou le balcon… Olivier Rolin ne visite pas, ne fait pas visiter. Il photographie l'endroit comme le ferait un huissier, sans âme.

Une stratégie pour mieux faire ressortir l'uniformité consternante de ces espaces internationaux demi-luxe ? Pas de cachet vietnamien, égyptien ou suisse, un hasardeux portrait breton peut-être et un grillage anti-moustiques à Mexico. Mais rien à espérer : ces chambres se ressemblent toutes. De Cotonou à Albi en passant par Hanoï ou Bucarest, elles oscillent du brun au beige, teinté ou non de rose ou vert. Du faux bois, du vrai lino, de la tapisserie laide, des dessus de lit sans teint, des rideaux jaunâtres. Elles constituent progressivement non une suite, mais une étrange chaîne d'hôtels sans enseigne à la non-identité mondialisée. Olivier Rolin ne s'intéresse pas à l'atmosphère du lieu ni à l'instant, rarement à un geste. Ce qui le fascine, c'est cet objet, le miroir, qui, présent dans toutes les chambres, perce dans le mur comme un passage secret virtuel allant de l'une à l'autre.

Doubles évanescents

Il s'y contemple comme s'il poussait des portes. De là - fantasme ou obsession - un phénomène que beaucoup d'écrivains comprendrait : au lieu de se voir lui, l'auteur aperçoit un personnage qu'il pourrait être, trimballant son histoire propre dans cette chambre précise. Un relais à Khatanga, une femme traquée à Port Saïd, un libidineux à Lausanne, Montréal ou Hiroshima, le serviteur d'un voleur de sous-marins atomiques à Crozon, un écrivain armé d'un parapluie-épée à Budapest, ou un espion cherchant à sauver une femme fatale à Brive-La-Gaillarde… Chaque miroir déclenche l'apparition d'une silhouette et l'ébauche d'une aventure souvent rocambolesque : "J'avais besoin de cette somme pour payer la rançon de Mélanie Melbourne, l'amour de ma vie, que des terroristes retenaient prisonnières dans le désert.” Ou parfaitement délirante : "C'est dans cette chambre, où j'avais mes habitudes du temps que je bricolais dans la contrebande de caviar avec Mourad Mamardachvili et Thémistocle Papadiamantides, c'est dans cette chambre que je mourrai. La chose est décidée. Où finir mieux que dans un hôtel qui porte (presque) le nom du fleuve infernal ? ”
Ainsi Olivier Rolin dresse non un inventaire de pièces, mais une galerie de personnages, en se prêtant moins à un travail d'écriture qu'à un jeu sur l'écriture de soi. L'auteur de L'invention du monde (1993) - livre qui s'appuie sur les quotidiens du monde entier parus le 22 mars 1989 pour brasser les événements qui se sont déroulés la veille - et Tigre en papier (2002), a lancé les billets d'avions comme on jetterait des dés.

Où vais-je dormir ce soir ? Dans quel pays, quelle ville, quel hôtel, quelle chambre ? Et qui serais-je ? Il a poussé le jeu au point de faire entrer son éditeur dans la danse. Lequel annonce en liminaire qu'il a retrouvé, dans la valise d'un auteur disparu, des textes décrivant des chambres d'hôtel et leur occupant sous forme de "feuilles A4 manuscrites, sorties d'imprimantes, pages détachées de cahiers ou de carnets, pages de garde déchirées, enveloppes, papiers à lettres d'hôtels, cartes postales, dos de cartes géographiques, plans de villes, etc.”
Le lecteur est prévenu, il est même invité à devenir complice de cette supercherie, forts clins d'œil à l'appui.

Qu'importe alors que la lecture soit un peu fastidieuse, répétitive et sans attrait. Qu'importe que les personnages s'évaporent aussitôt aperçus. Qu'importe aussi que l'auteur se soit inspiré du roman auto-fictif à la Georges Perec ou qu'il cite une bonne centaine de (vraies) personnalités regroupées en index. "Tout ça, naturellement, est pure invention. Cette fête n'a jamais eu lieu. Je me tue à vous dire que je n'ai AUCUN souvenir de l'hôtel Crystal. L'hôtel Crystal est un lieu vide, l'entrepôt des marchandises imaginaires, l'hôtel du roman si vous voulez. Une suite à l'hôtel Crystal… et vous y avez cru ! ” Olivier Rolin ne s'en sert que comme prétexte : "on serait (…) en présence d'un exemple unique de transformation d'un guide touristique en mémoire puis, de là, en antimémoires et, enfin, en roman.” Et il a l'air de s'amuser follement.

Olivier Rolin, Suite à l'hôtel Crystal, Le Seuil, 256 pp.

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