Thriller fantastique - Le village de M. Night Shyamalan : la peur des autres
Nouvelle coulée de sueurs froides par le réalisateur du Sixième sens : M. Night Shyamalan dresse le portrait d'une communauté qui vit à la lisère d'un bois rempli de monstres. Filant la métaphore d'une Amérique aux prises avec ses démons, Le village est p
LE MATIN
09 Novembre 2004
À 16:12
Qu'elle était belle l'Amérique ancestrale ! Comme dans La petite maison dans la prairie, elle fleurait bon le maïs fraîchement cueilli, les patates tout juste ramassées et la tarte aux pommes fumante. On pouvait y vivre en autarcie avec ceux de son espèce, transmettant aux jeunes générations des règles de vie édictées par les anciens pour maintenir l'équilibre communautaire. On y travaillait la terre et le bois, on y lisait peu, on se suffisait à soi-même.
Un bonheur qui, dès les premières images du film Le village laisse planer un doute : un cercueil d'enfant, une forêt démoniaque, que reste-il de cette utopie face à la mort et la peur ? C'est ce que M. Night Syamalan a voulu tester. Il a donc dressé une frontière physique - une rangée de drapeaux jaunes - entre un bois aux monstres (qui raffolent de la couleur rouge, the bad color en version originale) et la clairière dans laquelle un charmant village a fait son nid. D'un côté, l'harmonie affichée, revendiquée, orchestrée.
De l'autre, le mystère, l'inconnu, le gouffre aux croyances. Les adultes du village tentent de perpétuer l'antagonisme entre ces deux mondes, interdisant formellement à quiconque de franchir la frontière ou d'arborer la couleur maudite. La nuit, des gardes sont placés sur des tours, tentant d'ignorer les cris qui se rapprochent. Le jour, on prêche la cohabitation : tant qu'on ne va pas déranger les malfaisants, il n'y a aucune raison pour qu'ils fassent irruption sur notre territoire.
Mais deux jeunes se rebellent contre la sacro-sainte loi : Lucius Hunt (Joaquin Phoenix), un jeune homme réservé qui s'entête à demander l'autorisation de sortir du village pour aller à la ville chercher des médicaments, et Ivy Walker (Bryce Dallas Howard), ravissante aveugle qui devine qu'il se passe, chez eux, des choses anormales. Malgré ou grâce à son handicap, elle est bien la seule à y voir clair dans cette histoire.
L'anormalité de la situation est le meilleur ingrédient du film : as des atmosphères inquiétantes, M. Night Syamalan joue d'abord sur le doute : le danger se cache t-il dans les bois ou dans le village ? Y a t-il vraiment des monstres effroyables ou bien sont-ce ces habitants qui ploient sous le poids de frayeurs collectives ? La fortune de cette communauté est-elle rendue équivoque par la peur ou par un énorme secret ? Où se cache le simulacre ? Comme pour Le Sixième sens, il serait très malvenu de divulguer la fin à ceux qui n'auraient pas encore vu ce film : ils perdraient automatiquement leur potentiel imaginaire, seul vrai pourvoyeur de sueurs froides et d'hypothèses. La résolution de l'énigme est néanmoins ratée.
Au bout d'une heure de suspens, M. Night Syamalan fait tomber brutalement le rideau du bluff pour orienter son scénario vers la satyre sociale. En mettant à jour ses clés de lecture, il impose une vision unique qui clôt la réflexion, première entorse regrettable au genre fantastique, puis il transforme les indices en symboles, noyant le suspens dans un bain de mystiques évangélistes et d'idéologie ambiguë. Là encore, la frontière est sensible, car M. Night Syamalan pourra toujours avancer qu'il fustige les menteurs et l'isolationnisme et que ses héros sont, précisément, les pourfendeurs de l'ordre, des jeunes purs et audacieux qui perçoivent la lumière derrière l'ombre qu'imposent des faibles agissant pour le bien général. Le réalisateur n'en propage pas moins l'amollissant antinomie entre le Bien et le Mal, la bonté et le pêché, la pureté et la perversion. Quant au repli identitaire, pas de positionnement clair.
De même, le film oscille entre un fantastique horrifique du type Le Projet Blair Witch (Daniel Myrick, Eduardo Sanchez), où des ados disparaissaient les uns après les autres dans une étrange forêt, et un fantastique plus philosophique évoquant The Truman Show, film de Peter Weir où le héros était maintenu à son insu dans un monde virtuel jusqu'à ce qu'il comprenne que sa réalité n'était qu'un décors de cinéma. Avec beaucoup plus de prestance que le premier : certains plans du Village, comme la contre-plongée sur la table du banquet ou la course panique après la fête, sont assez remarquables. En outre, la lumière n'est heureusement pas trafiquée comme dans la plupart des thrillers actuels, et les costumes sont plus que crédibles. Mais nettement moins de finesse que le second.
La faute au Sixième sens qui, en conjuguant une facture dextre et un scénario malin avait placé la barre bien haut ? Finalement, Le village souffre des mêmes maux que Signes, avant-dernier film de M. Night Syamalan : à vouloir trop en révéler, celui-ci gâte le climat qu'il avait magistralement installé. Echouant à être effrayant, Le village réussit, en revanche, à se faire séduisant en révélant Bryce Dallas Howard (Ivy). Brillante comédienne qui, quand ses partenaires reconnus (Joaquin Phoenix et Sigourney Weaver) ne se déprennent pas de leur air constipé, reste lumineuse d'un bout à l'autre.
Le village (The Village), film américain de M. Night Shyamalan. Avec : Bryce Dallas Howard, Joaquin Phoenix, Adrien Brody, Sigourney Weaver, William Hurt. Durée : 1h48.