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«Tsippora», roman de Marek Halter : Tsippora, la conscience de Moïse

Si Moïse a pris le chemin de l'Egypte, celui de son destin, c'est en grande partie grâce à elle, Tsippora la Noire, la Kouchite. C'est en effet elle, son épouse de sang et la mère de ses deux enfants, qui comprend la première le rôle accordé à Moïse et q

24 Juin 2004 À 16:23

Passeur de mémoire, c'est certainement le terme qui convient le mieux pour décrire Marek Halter. Avec sa trilogie «La Bible au féminin», dont Tsippora constitue le deuxième volet après Sarah, cet auteur nous fait revisiter la Bible à sa manière peu commune. Il nous la conte au féminin, à travers des femmes méconnues, à la valeur mal appréciée, et parfois même oubliées.

Grâce à sa relecture «peu orthodoxe» des récits bibliques, il nous fait découvrir des femmes exceptionnelles, épouses de Prophètes de Dieu, en dépoussiérant leur Histoire après qu'elle soit longtemps restée confinée à l'ombre. Après Sarah, épouse d'Abraham, il se penche dans ce roman sur la vie de Tsippora la sage, l'inspiratrice de Moïse.

Avec un grand talent de conteur, mêlé d'un recours régulier à de minutieuses descriptions, Marek Halter nous conte le destinée de Moïse à travers Tsippora, celle qui fut sa femme, sa conscience, celle qui l'a patiemment mené à son destin.
Elle, c'est Tsippora, l'«Oiseau». Une Kouchite noire adoptée par un puissant nommé Jéthro, sage de Madiân. A cause de la couleur de sa peau, l'avenir de Tsippora est tout tracé : nul ne peut la vouloir comme épouse.

Pourtant, le hasard en décide autrement, et un jour, un homme la regarde comme nul autre ne l'a jamais fait. Il s'appelle Moïse et fuit l'Egypte. Fils de la reine d'Egypte autant que d'une esclave, lui aussi est un adopté, ni vraiment Égyptien ni vraiment Hébreu.

Etrangement, Le destin de Tsippora la Kouchite ressemble scrupuleusement à celui de Moïse. Tous les deux sont tour à tour accueillis, adoptés puis rejetés par un membre de leur famille adoptive. Une ressemblance qui fait naître, entre ces deux «étrangers», une complicité et un amour d'une précieuse intensité. Chacun ayant puisé dans l'autre vigueur et sagesse.

C'est elle, Tsippora la Noire, l'étrangère, la non juive qui, par amour, porte la destinée de Moïse à bout de bras. C'est aussi, elle qui le poussera à écouter la voix de Dieu, à monter en Égypte et à affronter Pharaon. Elle ne cessera, amoureuse et dévouée jusqu'au sacrifice, de le seconder dans sa lutte pour la libération de son peuple, esclave de Pharaon. Son soutien reste d'ailleurs constant, et ce malgré le rejet des siens, notamment de Miryam et d'Aaron, sœur et frère de Moïse.

Elle le pousse, crânement, vers son destin. C'est ainsi que Tsippora, amoureuse folle de Moïse, se refuse pourtant de devenir son épouse de sang avant qu'il ne marche au devant de son destin. Elle l'assène de paroles dures, en apparences uniquement, car ses paroles sont pleines d'un attachement profond: «Moïse sait, il se prend pour une ombre. Il n'est capable ni de marcher, dans les pas de ce qu'il a été, ni d'embrasser son destin. Que ferait-il d'une Kouchite ? et que ferait une Kouchite d'une ombre de plus ? quel fardeau !». Et fidèle à sa parole, elle ne sera son épouse que le jour où Moïse prendra le chemin de l'Egypte.

C'est sans doute l'amour de cette femme, sa sagesse et sa perspicacité qui pousseront Moïse à assumer ses responsabilités devant son peuple, élu mais esclave de Pharaon. C'est seulement aux côtés de Tsippora que Moïse chassera alors toutes ses craintes et ses doutes. Il entendra grâce à elle le message de Dieu et léguera à l'humanité ces lois qui, aujourd'hui encore, protègent les faibles contre les forts.

Pour Marek Halter, cette femme joue un rôle primordial dans l'invention de Moïse. C'est elle, en fin de compte, qui a fait Moïse. «Mais de Tsippora la Noire, la Kouchite, qui se souvient ? qui se souvient de ce qu'elle a accompli et qui prononce encore son nom ?» La question de Marek Halter est légitime et sa réponse prend la forme de ce roman, une vibrante glorification de celle qui fit Moïse.

Ceci est véritablement un hymne, au nom de Tsippora la Kouchite, pour le respect de l'autre et de sa différence. Un roman qu'on lit avec un véritable plaisir, jusqu'à la dernière ligne.

«Tsippora», Marek Halter, éd. Robert Laffont ; 268 p.
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