Spécial Marche verte

Un arbre grandiose exposé à la dislocation : l'oriental a mal à son pistachier atlantique

Dans la région de l'oriental, une colonie de pistachiers atlantiques continuent de défier le temps et les coups de hache. Mais plus pour longtemps. A l'entrée de l'oasis de Sidi Yahya ben Younes à l'est de la ville d'Oujda, l'un d'entre eux commence à rév

22 Novembre 2004 À 15:56

Tout visiteur se rendant à l'oasis de Sidi Yahya ben Younes à l'est de la ville d'Oujda, est frappé par la majesté d'un pistachier atlantique, particulièrement imposant par sa hauteur qui dépasse les 15 mètres et le diamètre de son tronc s'approchant de quatre mètres, ce qui amène les spécialistes à attribuer à cet arbre environ 15 siècles d'âge.

Deux grandes branches, qui se sont détachées de cet arbre et sont allongées en bois mort à même le sol, témoignent de la fragilité qui l'a gagné par un dur effet du climat et la maladie qui ronge ses entrailles.

Il fait partie de quelques dizaines d'unités d'une colonie de pistachier atlantique, connu sous le nom scientifique de pistacia atlantica, qui appartiennent à la famille des «anacardiacées» englobant d'autres types tels que Dharw, pistacia lentiscus, le térébinthe -pistacia therebinthus- et le pistachier -pistacia vera- qui produit le célèbre fruit de pistache.

Cette colonie se situe près du mausolée Sidi Yahya et du cimetière qui l'entoure alors que des unités isolées de cet arbre authentique se trouvent dans certaines zones d'Oujda, dont le parc Lalla Aicha avec environ 10 arbres (4 km à l'ouest du lieu cité), et celle entourant le mausolée de Sidi Driss (2 Km au sud du parc).
Les habitants de la cité se rappellent qu'il en existait un grand nombre avant que ces arbres ne subissent les coups de la hache, pour ouvrir la voie à l'invasion du béton armé, comme ce fut le cas de cet arbre qui surplombait l'actuelle place Sidi Yahya, un arbre particulièrement attrayant par sa beauté et sa robustesse que manifestent sa hauteur et son tronc d'un diamètre de plus de 5 mètres, et qui fait que son âge dépasse celui de la ville d'Oujda de pas moins de 5 siècles, sachant qu'Oujda avait été fondée en 994 de l'ère chrétienne.

Si les sites de cette espèce d'arbres dans la ville montrent qu'elle s'y trouvait de manière dense par le passé, la présence de colonies similaires dans certains endroits de la région de l'oriental, notamment à Debdou (180 km au sud-ouest d'Oujda) et dans celle de Figuig (400 km au sud) laisse supposer que le pistachier atlantique formait des forêts denses entre Oujda et Taza, comme l'a énoncé le voyageur Hassan El Ouazzan, alias Léon l'africain.

L'arbre est à feuillage caduc et est dioïque, c'est-à-dire doté de fleurs mâles et femelles sur deux branches séparées et la fécondation se fait par le biais de l'air et d'insectes, comme il donne des fruits à noyau dénommés à Oujda «tiqwaouech», d'une taille moindre que celle d'un pois chiche.

Parmi ses caractéristiques figurent son adaptation au climat aride et semi-aride et peut être repéré dans la profondeur du désert et dans tout type de sol, à l'exception du sable, et à moins de 300 mètres d'altitude par rapport au niveau de la mer, comme il se contente de peu de pluies d'environ 150 mm par an pour sa survie. Cet arbre forme avec le jujubier (ziziphus lotus), selon Ben Younes Heloui, professeur-chercheur à la faculté des sciences d'Oujda, une parfaite cohabitation dans la région des hauts plateaux de l'oriental, avant qu'il ne régresse en nombre au point de quasi-disparition.

L'arbre se multipliait, de son bon vieux temps, de manière spontanée, affirme M.Heloui, expliquant que le grain tombait à l'intérieur du jujubier, qui assurait ainsi protection au plan, contre vent et pâturage, en plus du fait que les feuilles caduques du jujubier libèrent des acides favorisant la germination du grain.

La production de plants de pistachier atlantique constitue une énigme étonnante, comme l'affirme un jardinier connaisseur à Oujda, qui confirme l'échec de tentatives de production de plants au moyen de bouturage, soit l'enterrement d'un bâtonnet, ni par le biais de semences de grains, avant de découvrir par la suite que des plants ont bien poussé sous l'arbre mère après aménagement du sol, d'où la probabilité que l'opération de croissance aurait été rendue possible au moyen de grains que certaines oiseaux, comme l'étourneau, auraient avalé, avant de pousser, une fois libérés dans les déchets, grâce à des enzymes de l'oiseau, qui les auraient ainsi préparés à la germination.

Les recherches et expériences ont abouti avec succès à faire pousser l'arbre par macération des grains à l'acide avant leur mise à terre, ce qui ouvre grande la voie à la réhabilitation de cet arbre pour accomplir sa fonction écologique et utilitaire, qui était sienne, et pour capter l'intérêt que lui ont ravi des espèces intruses et à croissance rapide, tels que le pin d'Alep et l'eucalyptus. Selon un chercheur marocain, ces deux espèces précitées détruisent et éliminent les grains de plantations qui les entourent et le préjudice est particulièrement important par rapport à certaines essences dont la présence est limitée à certains endroits, d'où le danger de leur extinction.

L'eucalyptus est justement de ces types d'arbres qui constitue un danger pour la nappe phréatique du fait que ses racines descendent jusqu'à une profondeur importante et absorbe de grandes quantités d'eau souterraine, avant que celle-ci s'évapore facilement en raison de la nature de ses feuilles, souligne le chercheur Heloui, ajoutant que ces fonctions en font un arbre jouant un rôle de pompage, d'où la nécessité de connaître davantage les caractéristiques des essences à introduire afin d'éviter tout dysfonctionnement au système écologique.
L'homme s'est livré à une exploitation abusive du pistachier atlantique pour couvrir certains de ses besoins, dont la production du savon, d'où l'abattement de cet arbre pour en extraire la colophane visqueuse, produit naturellement par cette essence en période de canicule, comme c'était le cas naguère dans la région de Taza.

Cet arbre était également exploité pour l'offre de bois de chauffe et de bois industriel. Dans certains pays du Maghreb, il est extrait de ses fruits une huile riche en calories et où est pétrie la datte, avant d'être consommée avec du lait.
Parmi les principales caractéristiques d'intérêt du pistachier atlantique, figurent aussi la possibilité d'être greffé par des branches du pistachier «pistacia vera», la fourniture d'aliments de bétail à partir de son feuillage caduc, surtout en automne, l'extraction de colophane utilisée à des fins médicinales, tout en servant de barrière solide pour la lutte contre la désertification et pour la fixation des dunes, en tant que brise vent.

C'est ainsi que des milieux concernés et des amoureux de cet arbre appellent à oeuvrer pour la création d'une cellule scientifique composée de cadres de l'université Mohammed 1er d'Oujda, de l'administration des eaux et forêts, de la wilaya, des collectivités locales et des associations concernées par l'environnement, afin de prendre en charge la création d'une banque de grains améliorés, initier la recherche pour le développement de cet arbre, la production de plants et l'intensification de leur plantation dans les endroits qui abritaient l'arbre, tout en accordant à celui-ci l'intérêt requis pour retrouver sa gloire d'antan, majestueux et honoré dans les sites de son peuplement.
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