L'humain au centre de l'action future

Un journaliste retrace l'aventure du cinéma d'animation : la passionnante histoire du 7e art bis

Voyage historique dans le monde du dessin animé : dans un passionnant petit ouvrage, le journaliste Bernard Génin retrace l'aventure du cinéma d'animation depuis sa naissance en 1892 jusqu'à la révolution du pixel. L'occasion de mieux connaître ce septièm

13 Janvier 2004 À 17:10

Le dessin animé est plus vieux que le cinéma ! Cet art, injustement appelé «septième bis», qui consiste à animer des images, est né en réalité trois ans avant le cinématographe. C'est ce que révèle Bernard Génin, journaliste à Télérama, dans un passionnant petit ouvrage qui retrace l'histoire du cinéma d'animation depuis sa naissance jusqu'à la révolution du pixel. L'occasion de se pencher sur cet art en pleine explosion et de partir explorer ce monde parallèle où dessins, pâte à modeler et marionnettes prennent vie, mus par une magie qui traverse le globe, du Japon aux Etats-Unis en passant par la France.

Car c'est en France que tout aurait commencé. Un certain 28 octobre 1982, un inventeur génial du nom de Emile Reynaud projetait, devant une salle émerveillée au Musée Grévin, quelques minutes «animant» près de sept cents dessins. Son «Théâtre optique» allait faire courir tout Paris jusqu'en 1900. Personne n'avait jamais vu de telles «pantomimes lumineuses».

Après les lanternes magiques (lampes qui projettent des images sur les murs), et les séances d'ombres chinoises, le dessin animé naissait, trois ans avant le proclamé septième art qui a vu le jour le 28 décembre 1895, quand les frères Lumière ont présenté leur Cinématographe au Café de Paris. «Dès lors, le dessin d'animation n'a plus qu'à suivre les perfectionnements du cinéma», annonce Bernard Génin. Emile Cohl, un caricaturiste alors truqueur chez Gaumont, a eu l'idée de prendre des vues séparées d'objets animés pour élaborer Fantasmagorie (1908), considéré comme le premier «dessin animé « de l'histoire du cinéma.

Premières stars : Betty Boop et Félix le chat

«Dans les années qui suivirent, le dessin animé se répand un peu partout dans le monde». Il s'agit encore d'un art solitaire. «C'est en Amérique que le dessin animé passera du stade de bricolage à celui de grosse industrie, avec l'apparition des grandes équipes regroupées en studios et du travail à la chaîne». Emergent alors de nouveaux procédés (comme séparer les dessins du décor grâce à des cellulos transparent) et les premières grandes stars. Betty Boop, «première pin-up du cartoon», créée par Max et Dave Fleischer qui tirèrent ensuite Popeye de l'immobilité de la bande dessinée. Puis vint Félix le chat de Pat Sullivan et Otto Messmer, «la superstar la plus populaire de l'industrie cinématographique», capable de rivaliser avec Charlie Chaplin ou Buster Keaton. Succès incomparable pour ce matou qui fut détrôné par une souris, Mickey.

En 1928, l'aventure Walt Disney démarre avant de devenir empire, dès 1937, avec le premier long métrage animé : Blanche Neige et les sept nains. L'apport Disney, c'est le son (la musique !) apposé à l'image. Le géant s'offre de solides adversaires comme Tex Avery qui adore malmener le spectateur en faisant faire absolument tout et n'importe quoi à ses Bugs Bunny, écureuils, Droopy et consorts. Tex Avery, humour délirant et touches politiques, campe un parfait anti-Disney qui mourra pourtant dans l'anonymat à la fin des années soixante.

Mangas japonais et poésie libertaire française

Pendant ce temps, le Japon n'est pas resté en arrière. Mais il n'atteint la prospérité qu'en 1958 avec le succès du Serpent Blanc du département Toei Animation. «Les scénaristes puisent dans la science-fiction ou les contes et légendes nippons, résume Bernard Génin. Trop hâtive hélas, la réalisation laisse souvent à désirer. Mais les rythmes de travail affolants font du pays le deuxième producteur mondial d'animation, (après les Etats-Unis) place qu'il occupe toujours».

C'est à cette époque que le manga prend son envol avec Osamu Tezuka, père de Astro Boy, la première série télévisée d'animation japonaise. Aussi célèbre au Japon que Hergé en Europe, Tezuka serait « l'homme qui fut à l'origine de cette véritable industrie «cathartique» où explosent tous les fantasmes, des plus doucereux à l'hyperviolence», d'après Bernard Génin.

Dans les années soixante-dix, le style nippon traverse le monde en répandant ses Goldorak et Candy sur toutes les télévisions occidentales. Avant l'arrivée d'un véritable auteur, Hayao Miyasaki, créateur de splendeurs comme Mon voisin Totoro ou Princesse Mononoké. Montant les studios Ghibli, il ouvre une nouvelle ère, plus inventive et poétique, dans l'animation japonaise.

L'Europe n'ayant pas les moyens des Etats-Unis, son premier long-métrage n'est apparu qu'en 1953 : La Bergère et le Ramoneur, fruit de la collaboration de deux poètes, Paul Grimault et Jacques Prévert, débouchera ensuite sur le magnifique, romantique et libertaire, Le Roi et l'oiseau.

Depuis, peu de productions exclusivement françaises jusqu'à ces dernières années, riches en bonnes nouvelles : Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot, sacré mascotte du cinéma d'animation hexagonal, Les Triplettes de Belleville de Sylvain Chomet ou le récent La prophétie des grenouilles, premier long métrage (depuis Le Roi et l'oiseau) entièrement réalisé en France par l'indépendant studio Folimage. «Devant l'invasion américano-japonaise, l'animation européenne s'est organisée» avec la France comme leader. «Les dimensions de ce livre ne permettent pas de faire le tour du monde l'animation» regrette Bernard Génin qui cite en vitesse les initiatives chinoises, polonaises, russes et canadiennes.

Vers la révolution informatique

L'objectif de l'auteur n'est pas seulement de lister chronologiquement les différentes créations animées. Il entend aussi mettre fin à un certain nombre d'idées reçues et ouvrir des pistes de réflexion.

Non, le dessin animé n'est pas seulement une distraction à destination des enfants : " Dès ses débuts, l'animation a inspiré des chercheurs et des plasticiens qui ont prouvé que cet art touchait toutes les générations ”. Et de citer Fritz the cat au Festival de Cannes en 1972 et La Planète sauvage, Prix du Jury l'année suivante.

L'animation est un art très élaboré qui mobilise une foule de techniques et de matière que Bernard Génin passe en revue. Du plat - dessin et peinture - aux volumes : allumettes, poupées, marionnettes, jouets qui inspireront les truqueurs de films (comme dans King-Kong). Le maître de marionnettes est tchèque, Jri Trnka, celui de la pâte à modeler est américain : Will Winton. Ce dernier inspirera Nick Park, l'auteur de Wallace et Gromit. Arrdman, studio créé en 1975 devient le cas d'école de l'animation en plastiline.

« Dans les années quatre-vingt apparaissent les ordinateurs. Ils ne vont pas seulement permettre une nouvelle façon de dessiner. Ils révolutionnent la prise de vue, permettant un contrôle total de la caméra». C'est le grand chamboulement informatique : «Après le «nouveau roman», la «nouvelle cuisine», les « nouveaux philosophes», (…) on voit soudain apparaître les «nouvelles images». le terme désigne ces images «artificielles», numérisées, dictées à un ordinateur qui les visualise sur écran. On découvre un mot nouveau : pixel (de « picture element «), désignant le plus petit élément graphique auquel peut se réduire une image. (…) Toutes les transformations deviennent possibles».

Bernard Génin ne cache pas son scepticisme initial pour les images de synthèses. Le cinéma s'en empare, les décors de Disney basculent (La Belle et la Bête). Mais de Toy Story en Shrek et Fourmiz, le degré de sophistication s'accroît à chaque étape. Et Bernard Génin d'avouer aujourd'hui être bluffé par l'inventivité et la créativité du Monde de Némo (Pixar).

Le journaliste fou d'animations a voulu faire rapide, clair et concis. Son historique donnera de bons repères à qui s'intéresse un tant soit peu à cet art en plein essor. Mais rouages, complexités et subtilités resteront bien sûr à approfondir. Dépassant des barrières que la cinéma ne peut franchir, obligeant les techniciens à devenir artistes, dénichant des dessinateurs et des scénaristes qui ont l'imagination et la poésie au bout des doigts, le cinéma d'animation est plus que jamais un genre à part entière.

Et Bernard Génin de promettre : «Une chose est sûre : le siècle nouveau – qui a commencé avec Les Triplettes de Belleville et Le Monde de Nemo, sera " très animé».
(Bernard Génin, Le Cinéma d'animation, Les Cahiers du cinéma).
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