Fête du Trône 2006

Une injustice à l'origine de la révolution du Roi et du Peuple : le Nord et l'exil de feu Mohammed V

17 Novembre 2004 À 15:01

Il survient parfois des événements dramatiques qui poussent un peuple vers le désespoir. Mais ce qui est supposé apporter à ce peuple le mal absolu,augure finalement de la délivrance et du salut. Selon le verset coranique bien connu que nous pourrions aimer ce qui est un mal pour nous,et vice versa. La Providence a ses raisons qui dépassent bien évidemment celle de l'homme, lequel,à un moment donné,ne perçoit pas immédiatement le sens de ce qui survient. Un peu comme un réalisateur de télévision qui poursuit son travail alors que presque l'ensemble des écrans qui devraient lui montrer toutes les prise de vues effectuées par les caméras dont il dispose,sont éteints. Naturellement, seul Dieu contrôle tous ces écrans,représentant à la fois le passé, le présent et le futur, sans qu'un iota du destin de l'homme lui échappe,et dans le cas d'espèce, sans que le moindre petit détail de l'histoire de la libération de notre pays passe inaperçu pour lui.

Ces propositions constituent un truisme. Mais en apparence uniquement. Car le chercheur musulman reste positiviste,pour des motivations qu'il faudra un jour mettre à nu. Mais là n'est pas notre propos dans notre modeste communication.
L'exil de feu Sa Majesté le Sultan Mohammed Ben Youssef a été vécu par le peuple marocain comme un drame,disions-nous. Cela ne fait pas le moindre doute à l'échelle de tout le Maroc. Mais nous voudrions nous limiter dans ce papier à l'incidence de ce fâcheux événement, dont nous avions dit en quelque sorte plus haut qu'il portait en lui les germes du salut, sur la zone nord,placée sous l'influence de l'Espagne.

Et afin d'atteindre à une certaine intelligibilité, il nous faut avant d'aborder notre sujet,nous pencher et sur l'image du Souverain dans l'esprit de l'homme du nord, et sur les relations bilatérales entre lui et la zone.

L'image du Souverain dans la zone et ses relations avec celle-ci
Vous l'aurez constaté d'emblée,nous ne parlons pas ici des rapports exclusifs entre le Souverain et le mouvement nationaliste du Maroc khalifien,car nous estimons que c'est là une manière réductrice d'aborder la question. Et afin de mieux expliciter notre propos,il nous faut faire un retour en arrière afin de montrer dans quel esprit nous avons mené nos recherches dans l'histoire du mouvement nationaliste marocain dans l'ex-Maroc khalifien. En effet,conscient du fait que ce mouvement social était sous-tendu par des forces profondes,nous avons alors cherché à l'expliquer par une série de facteurs,aussi bien matériels qu'immatériels. Et c'est ainsi que nous avons mis au jour notamment des causes économiques et des causes psychologiques. En pleine application de l'enseignement ô combien précieux de l'Ecole des Annales.

Mais si nous devions,avec le recul, nous pencher sur nos travaux en la matière,pour essayer de voir dans quelle mesure nous avons vraiment mis en pratique la philosophie et les methodes mises à l'honneur par Lucien Febvre et Marc Bloch et leurs disciples,nous nous rendrons compte sans doute que, en dépit de notre conviction relative au bien-fondé des nouvelles théories de ces derniers, nous sommes, plus ou moins consciemment, restés largement dépendants de l'école classique qui attache notamment une grande importance aux acteurs historiques.

Et avec le recul du temps,nous en sommes à nous demander s'il ne nous faut pas reprendre tous nos écrits à la lumière d'une idée simple, inspirée précisément de l'Ecole des Annales,à savoir que le facteur,l'acteur,ou encore le sujet,dans l'histoire du mouvement nationaliste marocain, toutes zones comprises, n'était pas un groupement d'individus, mais plutôt le peuple marocain. En ce sens qu'il faut transcender l'événement politique tel qu'il a été «produit» par des acteurs,en tentant de mettre en «activité» l'idée selon laquelle c'est la société qui a mené la lutte contre le colonialisme, et pas uniquement des dizaines,des centaines, voire des milliers d'hommes.

Nous pourrions trouver un certain nombre d'arguments en faveur de cette manière de considérer ou de reconsidérer le nationalisme marocain,comme notamment la thèse selon laquelle c'est la société qui a porté en son sein ce mouvement, et non l'inverse.

Naturellement, cette théorie ne va pas plaire aux anciens tenants du mouvement nationaliste qui croient dur comme fer que ce sont eux, et eux uniquement,qui ont éveillé la conscience du peuple marocain à leur idéal patriotique,en le formant, en l'éduquant littéralement dans ce sens.

A vrai dire, l'histoire du mouvement nationaliste marocain reste à faire dans une très large mesure, et l'œuvre qui attend les historiens est si large à cet égard que toutes les théories sous l'angle desquelles on pourrait travailler sont les bien-venues. Y compris bien évidemment celle consistant à admettre que ce fut la société qui fut l'artisan de la libération du pays,et pas uniquement un groupement d'hommes aussi déterminés et dévoués que possible.

Alors, pour en revenir aux observations que nous formulions auparavant au sujet de l'opportunité, voire même de la nécessité d'aborder plutôt les rapports entre la zone nord et le Souverain Sidi Mohammed Ben Youssef que ceux intervenus uniquement entre ce dernier et le mouvement nationaliste du Maroc khalifien, le temps donc est venu de faire valoir que d'autres entités que les partis politiques patriotiques de la zone étaient partie prenante dans la question,à commencer naturellement par ce qui constitue en quelque sorte la totalité des entités, c'est-à-dire le peuple,si tant est que ce vocable a un sens immédiatement significatif.
A)L'image du Souverain dans la zone.

Les raports entre le Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef et la zone nord datent du premier jour,soit celui de l'avènement du Souverain, c'est-à-dire du 18 novembre 1927, en ce que le Maroc khalifien fut représenté à la cérémonie de l'intronisation du monarque,à Fès. La délégation de la zone fut présidée par le Grand Vizir Benazzouz. Il faut ajouter que conformément aux traités du 30 Mars 1912 et du 27 novembre 1912,et en dépit de la présence coloniale française et espagnole, le Maroc khalifien continuait à être placé sous la souveraineté, quoique plus symbolique que réelle, du Sultan.

La fête du Trône fut célébrée pour la première fois le 18 novembre 1933. Et cela dans les principales villes du pays,et notamment à Tétouan. C'est dire donc que le Maroc khalifien, et disons-le,le peuple de cette zone,fut associé aux festivités commémorant cet heureux événement. L'image du Souverain en fut rehaussée particulièrement à Tétouan.

Au vrai, Moulay El Hassan Ben El Mehdi, le Khalifa du Sultan dans la zone,a joué un rôle notable dans l'organisation de la fête du Trône, le 18 novembre 1933.
Le mouvement nationaliste ne fut naturellement pas en reste puisqu'il était derrière le comité chargé dans le Maroc khalifien, d'organiser cette fête.
Et d'ailleurs,les relations ,en quelque sorte entre le Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef et les patriotes de la zone,datent d'avant le 18 novembre 1933. C'est ainsi que le plan des revendications en date du 1er mai 1931 que le mouvement nationaliste tétouani présenta aux autorités espagnoles,le 8 juin suivant, soit près de deux mois après l'avènement de la République en Espagne, indique que le Souverain est le «symbole de notre existence». Les 800 signataires dudit programme revendicatif se sont d'ailleurs donné cette dénomination: «(Nous) les indigènes de la zone de Protectorat de l'Espagne au Maroc.

La délégation du mouvement nationaliste marocain comprenant Mhammed Bennouna et Mekki Naciri,ayant participé à la Conférence panislamique de Jérusalem,du 7 au 17 décembre 1931,n'a pas manqué de faire valoir l'attachement indéfectible du peuple marocin à la personne de son Souverain .
Depuis le début de ces années 1930, et jusqu'à l'indépendance du Maroc,l'image du Souverain Sidi Mohammed Ben Youssef dans la zone a été tout le temps des plus favorables. Au point que toutes les activités patriotiques,et naturellement la célébration de la fête du Trône, le 18 novembre de chaque année, lorsqu'il était possible de l'organiser,étaient indissolublement liées à la figure charismatique du Souverain.On pourrait trouver à cet égard une multitude d'illustrations. A noter, en particulier que le journal patriotique El Hayat, dirigé par Abdelkhalek Torres, a consacré,le 18 novembre 1934,dans un numéro spécial, dédié précisément à la fête du trône,sa première page à une photographie de grand format du Souverain et à un éditorial sur l'événement.

Il ne faut certes pas oublier que la zone nord commença à partir du 25 juillet 1934, à célébrer la fête de la désignation de Moulay El Hassan Ben El Mehdi au poste de Khalifa de la zone. L'expresion employée à cet égard est Aid el Joulouss.
De même qu'il ne faut pas oublier que les Espagnols ont tenu à revêtir le Khalifa de tout le prestige et l'apparat réservé exclusivement au Souverain chérifien,mais il n'empêche que ni le peuple, ni le mouvement nationaliste de la zone, ni le Khalifa lui-même ne s'y trompèrent,car ils savaient pertinemment que seul Sidi Mohammed Ben Youssef détenait la souveraineté.
B)Les relations entre la zone et le Souverain

Nous avons évoqué plus haut ces relations,tout au moins à leur début. Le temps est donc venu de les reprendre. Mais si nous avions à les résumer en quelques phrases, nous dirions que depuis le début des années 1930 jusqu'à l'indépendance du Maroc,l'attachement de la zone au Souverain ne s'est jamais démenti.Certes,nous pourrions faire des recherches approfondies pour individualiser toutes les formes prises par cet attachement,en nous penchant notamment sur la liesse réelle du peuple de la zone,lors de la célébration,année après année,de la fête du Trône. Mais il demeure que ces relations entre les deux parties restèrent dans une certaine mesure diffuses.

Et en dépit de ce que nous avons noté plus haut en ce qui concerne les véritables facteurs de la libération du Maroc, nous ne pouvons que reconnaître au mouvement nationaliste du Maroc khalifien un esprit certain d'initiative en matière de rapports avec le Souverain. C'est ainsi qu'en 1937, marquée par les événements tristes que l'on sait, durant lesquels Noguès réprima le mouvement nationaliste, Le leader Abdelkhalek Torrès ne manqua pas, le 18 novembre,de faire parvenir un message au Souverain, par lequel il rappelait l'adhésion du peuple de la zone à sa personne et au trône Alaouite, «et où il demandait la libération des patriotes de la zone sud exilés ou emprisonnés».
Suite au débarquement allié, notamment au Maroc, le 8 novembre 1942,les deux partis politiques patriotiques du nord,le Parti des Réformes Nationales, le P.R.N., et le Parti de l'Unité Marocaine, le P.U.M.,conclurent,le 18 décembre de la même année, un «pacte national». Le quatrième point se fait l'écho de l'obligation de prendre toutes les mesures pour que les sujets marocains jouissent de tous leurs droits, en complète symbiose avec le Trône Alaouite.
La deuxième guerre mondiale permit au mouvement nationaliste marocain, toutes zones comprises, d'abandonner ses revendications réformistes et de devenir définitivement indépendantiste. A noter cet article audacieux de Fkih Daoud dans le journal Errif, du 14 juin 1940, où il réclama sans ambages l'indépendance du Maroc.
Le 18 novembre 1940, Abdelkhalek Torrès envoya,au nom du P.R.N. un télégramme de félicitations au Souverain, où il profita de l'occasion, pour exprimer dans l'écrit la nécessité impérieuse pour le Maroc d'obtenir son indépendance.

Le 14 février 1943, le «pacte national» remit aux représentants de certains pays alliés au Maroc,un manifeste revendiquant l'indépendance du pays.
Cependant, si l'allégeance au Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef des nationalistes de la zone nord n'a jamais fait défaut, tant s'en faut,témoin à cet égard la profession de foi monarchiste, répétée extrêmement souvent par les trois journaux Errif, El Horria et El Ouahda Al Maghribiyyah,il a fallu attendre l'année 1946 pour que la première rencontre intervienne entre le Souverain et un délégué du P.R.N., Mekki Naciri entretenant, pour sa part, des relations avec le Sultan par personnes interposées.

Les rencontres entre les émissaires du mouvement nationaliste de la zone nord avaient pour objet l'échange d'informations, de même que des encouragements réciproques :
-En juillet 1946,le monarque accorda une entrevue à Taib Bennouna,le Secrétaire Général du P.R.N.
-En février 1947,Taib Bennouna et Mohammed Mustapha Afailal rendirent visite au Souverain.
-En 1947,Hassan Ben Abdelwahab et Mohammed el Khatib,tous deux du P.R.N.firent de même.

-Taib Bennouna retourna chez le Sultan,le 26 janvier 1949,le 27 janvier 1951,et enfin,le 30 avril 1953.Nous reviendrons un peu plus loin sur cette dernière mission.
-Mehdi Bennouna se rendit chez le Sultan le 4 septembre 1950.Le Souverain remit au patriote tétouani une très importante somme d'argent,pour sa deuxième mission aux Etats Unis d'Amérique,la première étant intervenue,en 1947.
La déposition du Souverain et la zone
Les liens entre la zone et le Souverain Alaouite ont été de tout temps patents.Nous pourrions trouver mille illustrations pour notre propos.Témoin l'accrochage de sa photographie dans quasiment tous les foyers.

Pressentant le mauvais et l'indigne sort que les autorités françaises du Protectorat allaient réserver au Souverain,le peuple de la zone,s'est empressé de renouveler l'allégeance au monarque dans un document en date du 29 avril 1953,signé par 180 théologiens,chorfa et notables de toutes les régions de la zone nord. Cette action est indiscutablement le fait du P.R.N.Le lendemain,soit le 30 avril, Torrès nota dans son journal que les autorités espagnoles du Protectorat lui demandèrent des explications par écrit au sujet du renouvellement de l'allégeance de la zone nord au Souverain. De même que le leader tétouani précise que Taib Benounna se rendit à Rabat,le même jour,afin de remettre la baïa au monarque.

Le vendredi 21 août 1953,soit le lendemain de l'exil du Souverain,la prière de ce jour sacré fut célébrée notamment à la Grande Mosquée de Tétouan,au nom du monarque légitime.A la prière d'El Asr,le même jour et dans la même Mosquée,Torrès prononça un discours où il affirma que le P.R.N.et tout le peuple marocain resteront attachés à Sidi Mohammed Ben Youssef.

Sur quoi, le P.R.N, et, à sa tête Torrès,organisa une marche populaire pacifique dans les artères de la ville. Les portraits du Souverain déposé étaient brandis alors par les manifestants.

Le mouvement nationaliste marocain,et particulièrement le P.R.N.,se mobilisa de toutes ses forces pour le retour du Souverain. Et les initiatives qu'il prit à cet égard sont innombrables. Moyennant quoi,nous ne pouvons qu'en reprendre les lignes directrices,dans ce papier.
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