Spécial Marche verte

la place Boujloud de Fès ouvre sa porte aux Halqas : sera-t-elle la sœur jumelle de Jamae Lafna ?

La place Boujloud dans la médina de Fès reprend vie et ouvre ses portes pour donner libre court aux spectacles de rue communément appelés Halquates qui transmettent oralement le patrimoine populaire marocain.

11 Août 2004 À 19:44

Restituée aux habitants de la ville, la place Boujloud est telle, par son architecture imposant, un théâtre gréco-romain abritant chaque soir, entre 18h et 20h30, l'inspiration d'artistes populaires en quête de public, comme les gnaouas et Jilala ainsi que les spectateurs en mal d'animation culturelle.

Malgré les bonnes volontés, les spectacles actuels relèvent de l'ordinaire. Ils laissent le spectateur sur sa faim, et donnent une impression de déjà vu ... sur la place mythique de Jamae Lafna de Marrakech.

Ces spectacles risquent à la longue de ne plus présenter d'attraits et feront décaler la place de Boujloud de sa fonction historique de patrimoine culturel oral riche et diversifié.

«Boujloud» ne doit pas être «Jamae Lafna». A juste titre, des responsables locaux avaient soutenu l'idée, celle de ne pas faire de la place Boujloud, «la soeur jumelle de Jamae Lafna» mais d'élaborer une forme qui en serait complémentaire, une sorte de croisée des chemins entre l'ancien et le nouveau.

Tirant son nom des sultans Jounoud qui stationnaient à la Kasbah Moravide, la place devait faire à l'issue des travaux de restauration l'objet d'un programme culturel avant-gardiste pour les années à venir. Ce programme devait prendre en considération des fonctions artistiques plurielles modernes et traditionnelles comme les prestations théâtrales classiques, celles également populaires (halqas). Elle devait également être une source d'inspiration pour les fameux contes, un foyer d'expositions et un centre de restaurations traditionnelles.

D'ailleurs, un appel fut lancé, il y a deux ans, dans le cadre d'une rencontre internationale sur «la ville», initiée par le centre Jacques Berques, aux personnalités présentes pour que cette place restaurée dans le contour de ses murailles et de son illustre mosquée «Al Nasr», le soit également dans son âme et son essence.

C'est pour cette raison que l'appel aurait dû sensibiliser les intellectuels de tous bords, les personnalités appartenant au monde de l'art et de la culture, les universitaires chercheurs dans les domaines du théâtre populaire (halqa), de la poésie et de la socio-économie pour s'arrêter dans ce carrefour et réfléchir de concert sur l'avenir de la place Boujloud.

Leurs propositions compléteront certainement les travaux d'aménagement de ce site et contribueront à en faire un haut lieu du savoir oral, un patrimoine humain inédit, un pôle d'activités florissant et, surtout, une légende fascinante.

Le coup d'envoi donné récemment par les autorités pour inaugurer les prestations artistiques, tire de l'oubli, un site prestigieux qui a fait l'objet de scénarios et de stratégies de sauvegarde multiples en raison de la complexité des éléments à utiliser.

Sur cette place édifiée au temps des sultans almoravides et pour laquelle la Banque Mondiale a soutenu pour la première fois une action culturelle en octroyant un prêt d'environ 9 millions de dirhams pour les travaux de restauration, les habitants des alentours et les touristes étrangers prennent part dans des cercles différenciés aux spectacles improvisés par des troubadours, chanteurs et conteurs d'anecdotes.

Cette nouvelle ambiance, produite par ce début de programme timide, fait que la place Boujloud considérée comme l'un des monuments historiques de la médina de Fès renaît de ses cendres.

Longtemps foyer des marchands ambulants et artère centrale du marché aux puces (Joutya), la place restaurée et réhabilitée, il y a une année, devait en principe être gérée par un cahier des charges pour le maintien de son équilibre et de sa pérennité.

Pour l'instant, cet élément phare dans l'histoire de la capitale spirituelle qui s'étend sur une superficie d'environ 28.000 m2 attend des propositions émanant d'artistes et de groupes spécialisés afin que la place soit un pôle d'attraction et un cercle pluriel foisonnant.

Les prestations qui se déroulent actuellement sont certes un commencement mais ne sont pas celles qui étaient normalement prévues. La place Boujloud était définie par les initiateurs du projet de sauvegarde et notamment par les autorités de l'ex-préfecture de Fès-Médina comme «un foyer culturel oral, un théâtre où se noue et dénoue les tragédies, une estrade de musique et de danses extatiques, une officine, une boule de cristal».
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